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“Comme un bruit qui court” : la fin d’une émission trop militante pour France Inter?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’émission magazine de France Inter consacrée aux luttes sociales, héritière de la mythique “Là-bas si j’y suis”, de Daniel Mermet, pourrait ne pas être reconduite à la rentrée. Son coût de production est jugé trop onéreux au regard des audiences. Et si c’était plutôt son “militantisme” qui gênait la direction ?
En 2014, France Inter avait remercié Daniel Mermet et mis un terme à la (longue) vie de son émission Là-bas si j’y suis. Trois journalistes formés à « l’école Mermet », Charlotte Perry, Antoine Chao et Giv Anquetil, avaient alors pris les rênes de Comme un bruit qui court, pour continuer à « raconter les luttes d’hier et d’aujourd’hui » le samedi de 16h à 17h.
Cinq ans plus tard, l’émission pourrait disparaître. Deux journalistes du trio ont été informés début mai par lettre recommandée (comme le veut la loi, deux mois avant la fin de la saison) que la direction ne pouvait « pas garantir » la poursuite de l’émission sous ce même format à la rentrée 2019. Rien de très précis officiellement, mais les journalistes ont été convoqués individuellement mi-avril par le directeur des programmes, Yann Chouquet (entretien auquel ils ont décidé de se rendre collectivement). Celui-ci leur a indiqué la nécessité de « libérer des cases pour renouveler l’antenne ». Le nombre d’auditeurs (six cent mille) ne serait pas au rendez-vous au regard du coût de production de l’émission. « Pourtant les audiences ne s’effondraient pas : elles se maintenaient, se défend Giv Anquetil. Six cent mille, ce n’est pas mal pour l’horaire. » Les journalistes ont alors proposé de positionner leur émission sur une tranche horaire plus écoutée afin de rentabiliser son coût. Et se sont entendu répondre que celle-ci serait « trop militante ».
Pour la directrice de France Inter, Laurence Bloch, « rien n’est vraiment sûr » pour l’instant. « Nous sommes en construction de grille. » Mais la priorité budgétaire ira avant tout à la nouvelle émission quotidienne sur l’environnement prévue pour la rentrée. Le nouveau « bébé » de France Inter est un ogre exigeant des moyens financiers et des ressources humaines importantes, et qui embrassera, selon la directrice de la station, les enjeux sociétaux traités dans Comme un bruit qui court. Les luttes sociales font partie aujourd’hui d’un ensemble plus grand, estime Laurence Bloch pour qui « faire une émission “ghetto” n’a pas beaucoup de sens. Il faut regrouper les forces ».
”Tous ces slogans… Elle ressemble à un tract de la CGT, votre émission !”
Pour les reporters de Comme un bruit qui court, la pilule est difficile à avaler. « La lutte sociale est une voix qu’ils n’ont pas envie d’entendre », affirme la productrice Charlotte Perry. Elle se souvient : en décembre dernier, les trois compères avaient été convoqués par Laurence Bloch. En cause, l’émission du 8 décembre sur les Gilets jaunes. « Tous ces slogans… Elle ressemble à un tract de la CGT, votre émission ! », leur reproche-t-on. Pour Charlotte Perry, pas question de « masquer les manifs parce qu’elles font mal aux oreilles… Il y a déjà tellement de méfiance vis-à-vis des médias ! France Inter devient une chaîne parisienne destinée aux Parisiens, autour de la culture et de l’humour. Les luttes sociales, ça fait un peu tache entre les paillettes, le champagne et les stars. On nous a dit : “c’est anxiogène” », lâche-t-elle, amère.
« Je travaille sur les archives de Radio France en ce moment, raconte le journaliste Antoine Chao. Je vois comment France Inter s’est comporté pendant Mai 68. La station a refusé de raconter ce qui se passait, il y a eu des démissions de journalistes… Aujourd’hui, on empêche encore une parole populaire. C’est important de continuer de donner la parole aux mouvements sociaux. »
La direction se défend de son côté de vouloir supprimer pour des raisons idéologiques une émission dont elle avait elle-même fixé la ligne éditoriale il y a cinq ans. « Les journalistes ont eu depuis une liberté totale », se défend Laurence Bloch. Exception faite avec la convocation de décembre dernier : une mise au point technique selon elle (des sons datant de la semaine précédente avaient été diffusés en direct, pouvant produire de la confusion). Pas idéologique. « Il n’y a aucune sanction ni volonté de faire taire des voix, assène la directrice. Je suis trop vieille pour cela ! »