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Les leçons des élections européennes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le résultat des élections européennes n’aura pas d’impact significatif sur la politique et l’avenir de l’UE, car celle-ci n’est pas contrôlée par le Parlement européen ; elle est contrôlée par les conseils d’administration des banques et des multinationales européennes (surtout allemandes). Par contre, le résultat de ces élections a d’ores et déjà un impact sur la scène politique française – à droite comme à gauche.
La recomposition de la droite
A droite, le parti de Macron (LREM) a perdu 1,3 million de voix par rapport aux législatives de juin 2017. S’il évite la débâcle et recueille 22,4 % des suffrages, c’est grâce aux voix qui lui sont venues d’électeurs qui avaient voté pour François Fillon en mai 2017. Avec 8,4 % des voix, Les Républicains réalisent le plus mauvais score de l’histoire de ce vieux parti de la bourgeoisie française. Il est au bord de l’explosion, pris en étau entre LREM – qui applique le programme économique de François Fillon – et le RN de Marine Le Pen, qui a recueilli 2,3 millions de voix de plus qu’aux législatives de 2017.
Dans l’immédiat, la crise des Républicains va prendre la forme d’une lutte pour la succession de Laurent Wauquiez. Mais derrière les manœuvres et déclarations diverses, un processus fondamental est à l’œuvre. Sous l’impact de la crise du capitalisme, la droite tend à se recomposer autour de deux pôles : une droite soi-disant « modérée » (dont LREM) et une droite « extrême », avec le RN pour axe central. Autrement dit, une fraction de la droite traditionnelle considère que son salut passe par des alliances avec le parti de Marine Le Pen, voire par une adhésion directe au RN. Et bien sûr, le RN ouvre les bras aux élus Républicains tentés de quitter leur navire en perdition.
La bourgeoisie française se méfie du RN, auquel des millions de jeunes et de travailleurs restent farouchement hostiles. Elle n’a pas oublié les gigantesques manifestations d’avril 2002, lorsque le Front National s’est qualifié pour le deuxième tour des présidentielles. Elle préfèrerait qu’au gouvernement Macron succède un autre gouvernement dirigé par la droite « modérée ». Mais c’est loin d’être garanti, compte tenu de l’irréversible impopularité de Macron. Aussi la bourgeoisie est-elle contrainte, désormais, d’envisager la possibilité d’un gouvernement de droite auquel participerait le RN. En retour, les dirigeants du RN ne proposent plus de sortir de l’UE, mais de la « réformer » ; ils mettent la pédale douce sur leur démagogie « sociale » ; bref, ils se montrent disposés à gouverner conformément aux intérêts de la bourgeoisie française. Ils s’appuient sur l’exemple de l’Italie, où l’extrême droite de Matteo Salvini, qui est au pouvoir, défend les intérêts de la bourgeoisie italienne.
Les Verts et la France insoumise
A gauche, c’est le succès des Verts et, surtout, la contre-performance de la France insoumise (FI) qui suscitent de vifs débats.
Forte de son résultat (13,5 %), la direction des Verts se rêve un grand avenir. Mais dans un contexte de polarisation politique croissante, le « centrisme » électoraliste des Verts – qui cherchent des alliances à gauche et à droite – les discréditera plus ou moins rapidement. Dans les semaines qui ont précédé les élections européennes, Yannick Jadot s’est présenté comme un « anticapitaliste » fermement attaché à… « l’économie de marché ». Ce genre de plaisanteries ne fera pas illusion très longtemps.
De son côté, la FI n’a recueilli que 1,4 million de voix (6,4 %), alors que Mélenchon en avait obtenu 7 millions en avril 2017. Un tel écart ne peut pas être imputé aux seules « circonstances objectives », aux manœuvres de Macron ou à la spécificité du scrutin européen. En fait de circonstances objectives, d’ailleurs, la mobilisation des Gilets jaunes et le rejet massif du gouvernement étaient plutôt favorables à la FI, a priori. Or c’est le RN qui a le mieux capté l’opposition à Macron. Pourquoi ?
Le débat s’est ouvert dans les rangs de la FI. Il est indispensable. Mais il n’est pas vrai que le problème se réduise à l’alternative stratégique : « populisme de gauche » ou « union de la gauche », comme on l’entend trop souvent. Le problème n’est pas d’abord stratégique : il est idéologique et programmatique. Le succès de la FI, en avril 2017, découlait non seulement de sa rupture nette avec le PS, mais aussi – et surtout – de la relative radicalité de la campagne de Mélenchon, qui attaquait vigoureusement les politiques d’austérité et la domination de l’oligarchie capitaliste sur la vie du pays. C’est précisément cette radicalité qui a manqué pendant la campagne électorale des européennes. Par exemple, la position de la FI sur l’UE – avec ses plans A et B – était pour le moins confuse. Et cette confusion reflétait les hésitations d’une position trop modérée.
Dans le contexte actuel, « l’union de la gauche » est une abstraction. « Union » avec qui, au juste ? Avec l’anticapitaliste de marché Yannick Jadot ? Ce serait suicidaire. Avec ce qu’il reste du PS ? Suicidaire. Avec Génération.s et le PCF ? Mais ces derniers sont ouverts à des alliances avec le PS et les Verts. On tourne en rond. La FI doit se tenir à l’écart de cette vieille macédoine électoraliste.
Est-ce à dire que nous soutenons l’option « populiste » ? Non. D’une part, nous rejetons les théories populistes, car elles contredisent la réalité et les impératifs de la lutte des classes [1]. Par ailleurs, le populisme de gauche est une coquille vide, au fond. C’est une abstraction compatible avec toutes sortes de programmes – du plus modéré au plus radical. Or le problème de la FI, précisément, c’est sa modération programmatique. Si elle veut remonter la pente et réaliser tout son potentiel (qui reste énorme), elle doit se concentrer sur l’opposition aux politiques d’austérité, au capitalisme en crise et à l’oligarchie qui contrôle tout, dans le pays. Elle doit apparaître comme une alternative radicale au « système ».
La question environnementale doit être posée dans les mêmes termes : pour sauver la planète, il faut s’attaquer au pouvoir des capitalistes. La FI ne gagnera pas les électeurs des Verts en parlant davantage d’écologie, mais en liant plus étroitement cette question à la lutte contre le capitalisme.
Mouvement ou parti ?
Enfin, la question de la structuration de la FI reste posée. Nous le disons depuis deux ans : la FI a tout intérêt à s’orienter vers la constitution d’un parti. Nous savons que cette idée n’est pas partagée au sommet de la FI. Mélenchon lui-même l’a régulièrement écartée. Mais c’est une erreur à plusieurs titres.
Par exemple, une campagne électorale nécessite la mobilisation coordonnée de forces militantes nombreuses, ce qu’un mouvement – par définition – a beaucoup plus de mal à faire qu’un parti bien structuré, bien organisé, doté de directions locales et nationales élues, responsables et révocables. Les structures lâches de la FI ne sont pas un avantage, mais un inconvénient. Elles ont même tendance à démotiver et démobiliser les militants, qui aspirent naturellement au contrôle démocratique de leur organisation.
Plus grande radicalité programmatique et formation d’un parti contrôlé par ses adhérents : telles sont, selon nous, les deux voies que doit prendre la FI pour favoriser l’émergence d’une puissante alternative de gauche au gouvernement – et, au passage, couper l’herbe sous les pieds de Marine Le Pen.
[1] Lire notre article Mélenchon, le peuple et le salariat.