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«Minibots»: La monnaie parallèle de Salvini peut-elle remplacer l’euro?

euro Italie

Lien publiée le 13 juin 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/minibots-la-monnaie-parallele-de-salvini-peut-elle-remplacer-l-euro-20190610

Le gouvernement italien a annoncé l’émission de minibots, des mini-bons du Trésor, qui seraient susceptibles de devenir une monnaie parallèle à l’euro. Le décryptage de David Cayla.


David Cayla est économiste et maître de conférences à l’université d’Angers. Il publiait l’année dernière L’économie du réel (De Boeck supérieur, 2018) et est l’auteur, avec Coralie Delaume, de La Fin de l’Union européenne (Michalon, 2017), et de 10+1 Questions sur l’Union européenne (Michalon, 2019).


Le parlement italien a voté une motion demandant au gouvernement d’accélérer l’émission de minibots, des mini-bons du Trésor (Buoni Ordinaro del Tresorio). Quelle serait la forme de cette monnaie?

David CAYLA.- Le projet de minibots n’est pas de créer une monnaie au sens usuel du terme car ce sont des titres qui n’auront pas cours légal, qui ne seront pas convertibles et qui ne seront pas émis par le système bancaire. Il s’agit d’une monnaie fiscale, une reconnaissance de dette, que l’État italien envisage de faire circuler dans l’économie. Concrètement, les minibots serviront à payer les entreprises à qui l’État doit de l’argent par des titres de dette, titres qui seront en retour acceptés pour le paiement des impôts.

L’idée, en réalité, n’est pas nouvelle. En juillet 2009, la Californie, alors en situation de quasi-faillite, avait émis des bons comparables appelés IOU («I owe you», c’est-à-dire «je vous dois»). Au plus fort de la crise argentine, en 2001-2002, les provinces avaient émis des monnaies parallèles sur le même principe, la plus connue étant les bons patacón (Bono Patacón), émis par la province de Buenos Aires.

Les partisans d’un « Italexit » et d’une rupture franche avec l’euro, tel l’économiste et député de la Lega Claudio Borghi, militent pour des titres papier.

Contrairement aux monnaies argentines, les minibots italiens seraient émis sans intérêt et sans échéance. Par ailleurs, on ne sait pas quelle forme ils pourraient prendre, car il y a deux options possibles: soit une émission de titres virtuels exclusivement électroniques ; soit la création de titres papiers qui pourraient circuler sous forme de coupures identiques à celles d’un billet. Les partisans d’un «Italexit» et d’une rupture franche avec l’euro, tel l’économiste et député de la Lega Claudio Borghi, militent pour des titres papier.

Mais pour l’instant, toute cette affaire ne repose que sur une motion du Parlement italien votée juste après les élections européennes et qui demande leur mise en place accélérée conformément au programme de la coalition gouvernementale. La décision d’y recourir ou non, et sous quelle forme, est surtout entre les mains de l’exécutif italien. Or, le ministre des finances italien refuse pour l’instant d’y avoir recours. C’est donc un scénario qui reste très incertain.

Ces bons du trésor peuvent-ils à terme circuler comme une «monnaie parallèle» en Italie?

À partir du moment où cette monnaie fiscale est, comme son nom l’indique, acceptée par l’État pour le paiement des impôts, alors toute personne qui paie des impôts en Italie peut être intéressée par en détenir. Mais sa circulation dépendra aussi de sa forme, matérielle ou virtuelle, de la confiance des individus dans son caractère sécurisé et de son acceptation en guise de paiement. Or, comme les minibots n’ont pas cours légal, il sera possible de les refuser en paiement. De plus, puisqu’ils ne donnent pas lieu à intérêt et ne peuvent servir qu’à payer l’administration fiscale, il s’agira d’une monnaie de second ordre, moins intéressante que l’euro et dont les détenteurs chercheront à se débarrasser au plus vite en la rendant au gouvernement italien dès qu’ils le pourront.

La Commission entend imposer de nouvelles mesures d’austérité, ce que le gouvernement refuse pour l’instant.

L’adage de Greshan selon lequel «la mauvaise monnaie chasse la bonne» n’est valable que si la mauvaise monnaie a cours légal et ne peut être refusée. Dans ce cas, en effet, la «bonne» monnaie est thésaurisée (et donc arrête de circuler) et la «mauvaise» devient très vite le seul moyen de paiement en usage dans l’économie. Mais les minibots que chacun est libre de refuser ou d’accepter n’entrent pas dans cette configuration. Il y a donc de fortes chances pour que les commerçants et les salariés refusent d’être payés dans une telle monnaie. Ainsi, la «mauvaise monnaie» des minibots risque fort de peu circuler en dehors des relations entreprises / administrations. Pour qu’elle circule, il faudrait soit en imposer l’usage (mais cela est contraire à l’appartenance de l’Italie à la zone euro), soit rémunérer les détenteurs avec un intérêt, ce qui la rendrait intéressante à détenir. Mais dans ce cas, si elle devient trop intéressante, elle risque alors d’être thésaurisée et de ne pas circuler non plus.

Est-ce un instrument politique pour l’Italie face à la Commission européenne, qui vient d’annoncer une procédure pour déficit excessif à son égard?

Oui, c’est une menace sérieuse. Le gouvernement se trouve actuellement face à des négociations difficiles avec la Commission qui pourrait imposer à l’Italie une amende pour déficits excessifs. L’adoption du budget avait fait l’objet d’une passe d’arme similaire à l’automne qui s’était soldée par un compromis. Mais, depuis, l’Italie affronte un trou d’air économique et les déficits budgétaires s’aggravent. La Commission entend donc imposer de nouvelles mesures d’austérité, ce que le gouvernement refuse pour l’instant.

Payer ses créanciers directement avec des bons du trésor est un moyen de contourner les marchés financiers. En somme, les minibots pourraient partiellement désarmer la Commission.

Dans ces négociations, la Commission dispose d’un avantage décisif: celui des marchés financiers qui déterminent les taux d’intérêt auquel l’État italien emprunte. En effet, dès que la tension monte avec Bruxelles, le «spread» (qui mesure l’écart de taux entre l’Italie et l’Allemagne) augmente, ce qui signifie que l’Italie doit payer d’avantage pour emprunter. Or, avec une dette publique qui dépasse 130% du PIB, le coût des intérêts est énorme. Pour s’en sortir financièrement, l’Italie doit compter sur les achats de titres publics de la Banque centrale européenne. Or, depuis la crise grecque de 2015, la BCE est apparue comme un acteur politisée. Autrement dit, il est impératif pour l’Italie de trouver un accord avec les autorités européennes si elle ne veut pas voir ses taux d’intérêt exploser et si elle entend continuer de bénéficier du soutien de la BCE.

Dans ce contexte, l’usage des minibots peut être utile. Payer ses créanciers directement avec des bons du trésor est un moyen de contourner les marchés financiers. Et comme il s’agit de titres émis sans intérêt, cela permet de réduire les frais financiers occasionnés par les dépenses publiques. En somme, les minibots pourraient partiellement désarmer la Commission. Mais ils seraient aussi perçus comme un casus belli de la part des autorités européennes, BCE comprise. L’Italie est-elle prête à la rupture, ce qui signifierait financer l’ensemble de ses dépenses publiques (dont le paiement des salaires des fonctionnaires) avec des minibots et, à terme, quitter l’euro? C’est peu probable.

Il serait aberrant, pour l’Italie, de vendre ses réserves d’or au moment où elle envisage de quitter l’euro.

Justement, l’Italie a-t-elle les moyens de quitter la zone euro? Quels sont les scénarios envisageables à l’heure actuelle?

L’euro n’a pas été fait pour qu’on le quitte facilement. Dans 10+1 Questions sur l’Union européenne , le livre que j’ai co-écrit avec Coralie Delaume, nous montrons toutes les difficultés qu’engendrerait une telle entreprise pour la France. Le cas italien est similaire au cas français. Il s’agit d’une grande économie industrielle ouverte aux autres pays européens. Rompre avec l’euro entraînera nécessairement un chaos économique et financier et une multitude de contestations juridiques de la part des créanciers floués.

Par ailleurs, les minibots ne peuvent se substituer à l’euro. Contrairement à ce qu’affirme Jacques Sapir, je ne crois pas que, s’ils étaient émis, ils auraient vocation à circuler dans l’économie et à remplacer l’euro. Pour cela, il faudrait pouvoir les imposer non seulement dans les transactions internes, mais aussi vis-à-vis de l’étranger. Or, une monnaie fiscale ne peut être qu’une monnaie locale, éventuellement intéressante pour les contribuables, mais dénuée de tout intérêt dès lors qu’on ne réside pas en Italie et qu’on n’y paie pas d’impôt. Il faudrait donc pouvoir convertir les minibots en euros, ce qui suppose de les adosser à une banque centrale et d’en faire une véritable monnaie.

Enfin, et surtout, je ne crois pas que le gouvernement italien souhaite sortir de l’euro. Le leader de la Lega et ministre de l’intérieur Mateo Salvini a récemment affirmé qu’il était envisageable de vendre une partie des réserves d’or de la Banque d’Italie pour faire face aux problèmes budgétaires italiens. Une déclaration à laquelle Mario Draghi a répondu, faisant savoir que l’or de la Banque d’Italie n’appartenait pas au gouvernement italien et que toute vente ne pourrait se faire qu’avec l’accord de la BCE. Mais il serait aberrant, pour l’Italie, de vendre ses réserves d’or au moment où elle envisage de quitter l’euro. L’or est en effet de plus en plus recherché par les pays qui souhaitent s’affirmer sur le plan monétaire, comme la Russie ou la Chine qui en multiplient les achats.

L’euro est une monnaie fragile, mal conçue, qui finira sans doute par éclater avec fracas.

Aussi, le scénario le plus vraisemblable est que l’Italie cherche à rééquilibrer en sa faveur le rapport de force très déséquilibré qu’elle entretient avec la Commission en avançant la menace des minibots. Mais je ne crois pas qu’elle ira jusqu’à leur émission et je ne pense pas qu’elle soit prête à quitter l’euro dans le contexte actuel. Il faudrait vraiment que la Commission défende une ligne intransigeante et humiliante pour que le gouvernement italien décide de mettre certaines de ses menaces à exécution. Pour l’instant, il n’a aucun intérêt à se fâcher avec les entrepreneurs ni à organiser le saut dans l’inconnu qu’impliquerait une sortie de l’euro.

Comment se porte l’euro? Si l’Italie en sort, cette monnaie a-t-elle encore un avenir?

L’euro est une monnaie fragile, mal conçue, qui finira sans doute par éclater avec fracas. Mais je ne crois pas que sa fin viendra d’une décision politique italienne, même s’il est évident que la sortie d’un grand pays comme l’Italie la condamnerait à courte échéance.

Je pense en revanche qu’elle aura du mal à survivre à la prochaine crise financière majeure qui touchera le continent européen. Mais il est très difficile de prévoir quand surviendra une telle crise.