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ADIEUX AU CAPITALISME - Autonomie, société du bien être et multiplicité des mondes

Lien publiée le 19 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2019/08/adieux-au-capitalisme-autonomie-societe.html

« Il n’y a pas d’alternative : telle est la conviction que les formes de domination actuelles sont parvenues à disséminer dans le corps social. » S’inscrivant dans le nouveau cycle de la critique sociale, amorcé à partir du milieu des années 1990, après les décennies du triomphe néolibéral, Jérôme Baschet propose de partir d’une critique émancipatrice du capitalisme et de son engrenage productiviste-destructif, pour affirmer un projet alternatif, enracinant sa réflexion dans le sol des expériences concrètes, « utopies réelles » mises en oeuvres actuellement à travers le monde. Il s’agit de « penser une organisation sociale capable de soumettre les nécessités productives au principe du « bien vivre » pour tous et aux décisions collectivement assumées qui en découlent ». Une digne colère gronde : la lutte contre le capitalisme est la lutte pour l’humanité.

Le néolibéralisme apparaît désormais comme un état de crise permanent, instrument privilégié d’une « stratégie du choc » qui justifie toutes les réformes. Ainsi la crise financière ouverte en 2007-2008, « première crise globale du monde globalisée », a renforcé la soumission des États aux grands investisseurs financiers. Elle a également démontré que le capitalisme sait déjouer les pronostics de sa fin inéluctable, par sa plasticité, sa capacité à se réorganiser, à dépasser ses propres dysfonctionnements. Une relégitimation, même très partielle, des États est illusoire et servirait surtout à éteindre les critiques et les mobilisations transnationales émergentes. Les régulations ne sauraient être que des inflexions restreintes, dissimulant des dérégulations massives.
À partir des années 1970, le capitalisme, basé sur les institutions disciplinaires des États-nations, bascule vers une généralisation des normes mondiales de l’économie, avec une mise en concurrence des travailleurs à l’échelle mondiale, permettant la reconstitution des taux de profit, accentuant vertigineusement les inégalités sociales.
L’essor de la productivité est tel qu’un cinquième de la population active sera bientôt en mesure d’assurer l’ensemble de l’activité économique, radicalisant la contradiction entre production et consommation, ainsi que le maintien de « l’idole Travail comme fondement de la logique sociale ». L’éthique et l’intérêt général ont été remplacés par des techniques de management qui imposent une mise en concurrence généralisée et permanente : l’intériorisation des normes et la mobilisation intensifiée des volontés comme instrument de production du conformisme social.
À la tyrannie des horloges, imposée à l’origine du capitalisme, s’ajoute « une dictature des temps brefs », « tyrannie de l’instantané et du présent perpétuel ». De même, la marchandisation s’est étendue aux personnes et à la vie même. Jérôme Baschet conclut son analyse, sur laquelle nous passons relativement vite, par la nécessaire urgence de sortir du capitalisme :
« Nous ne voulons surtout pas refonder le capitalisme, mais en finir avec lui.
Nous ne voulons pas sauver le capitalisme, mais nous sauver de lui. »

Comme possibilité d’une organisation non capitaliste de la vie, contre la résignation à l’état de fait, il préconise d’étudier l’expérience rebelle des zapatistes et leur pratique de l’autonomie, sur lesquelles nous nous attarderons peu, renvoyant plutôt les lecteurs à LA RÉBELLION ZAPATISTE du même auteur. Refusant la prise du pouvoir, les communautés construisent leur auto-gouvernement et une réalité sociale neuve, en réduisant autant que possible la séparation entre gouvernants et gouvernés.
Si ce type d’organisation politique est inapplicable actuellement au niveau mondial, à condition de ramener les enjeux de gouvernement à une échelle infiniment plus mesurée, de cesser de perdre son temps à chercher des solutions aux problèmes insolubles que s’ingénie à multiplier la société capitaliste, il est possible de construire une autre forme de vie collective dans laquelle de toute façon la plupart de ceux-ci auront disparu. « Il n’est plus temps de prôner une démocratie participative qui, par la vertu de quelques doses homéopathiques de bonne volonté populaire, viendrait rendre un semblant de vitalité à une démocratie représentative fossilisée. Il ne peut s’agir que de donner au mot démocratie le sens radical sans lequel il continuera de sonner creux : faire de la démocratie le pouvoir du peuple, non pas seulement par l’origine dont il procède, mais dans son exercice même. » La découverte que nous sommes capables de nous gouverner nous-mêmes ruine les fondements de l’État et de la représentation politique moderne définis par Hegel. « Il s’agit de concevoir une forme d’organisation politique fondée sur l’autonomie des communes locales et sur leur capacité à se fédérer, en un emboîtement des différentes échelles d’organisation de la vie collective. » La base d’une telle organisation repose sur des modes d’autoproduction et des circuits les plus courts possibles entre producteurs et consommateurs, sur des médiations successives du bas vers le haut plutôt que par un recours à une instance supérieure unificatrice. Le peuple qui délégue sa souveraineté à l’État devient une fiction car l’appareil étatique s’arroge le monopole de la capacité à définir abstraitement l’intérêt général. C’est pourquoi il est temps de dégager les projets d’émancipation de leur asservissement à la forme étatique « pour faire prévaloir des formes politiques partant de la capacité de faire et de décider de chacun, et ancrées dans la multiplicité concrète des collectifs de vie ». « C’est par la coopération des dignités et des autonomies locales que le bien commun peut enfin commencer à se construire. »

Il s’agit de rouvrir le futur, d’imaginer, sans prétendre le prédéfinir, « un monde postcapitaliste possible, nécessaire et urgent », tout en prenant appui, de façon critique, sur les formes sociales en partie préservées de la logique marchande. « Les conditions techniques de la production autorisent à penser une radicale libération du travail » et d’ouvrir la voie à une société de la dé-spécialsation généralisée, tout en assurant l’essentiel de la production d’aliments et de biens manufacturés ainsi que les services de base requis par la collectivité, grâce à une activité répartie entre tous ses membres et demeurant inférieure à 12 ou 16 heures hebdomadaires. L’entretien des infrastructures de village ou de quartier devra faire l’objet de moment voués aux tâches communautaires. L’éducation pourra être amplement déscolarisée, dans le cadre d’un ensemble d’apprentissages théorico-pratiques accomplis « sur le terrain ». « La société post capitaliste est avant tout une société du temps disponible. » « Il n’est même plus question de travail, activité subie et ordonnant la vie toute entière, qui impose de se dessaisir de ses capacités manuelles ou intellectuelles et de les engager dans un projet dont la maîtrise revient à d’autres. » « La sortie du capitalisme signifie une « déséconomisation » radicale de l’univers collectif. »

Une rupture anthropologique avec l’universalisme des Lumières qui n’est que l’universalisation de valeurs européennes, est nécessaire. Il s’agit de stopper le processus séculaire d’expansion de la sphère marchande, « la guerre contre la subsistance » (Majid Rahnema et Jean Robert). La conception écocentrée et le sens du collectif des peuples indigènes pourraient constituer une source d’inspiration. Leur organisation collective est condensée dans leur revendication du « bien vivre », « affirmation de la vie humaine et non humaine, contre ce qui la nie, à savoir la puissance destructrice de la production-pour-le-profit ». C’est le qualificatif du vivre humain, par opposition à la quantification marchande, c’est le plaisir de l’être et du faire, « l’étique du collectif, qui fait prévaloir la solidarité, l’aide à autrui et la convivialité, au détriment des rapports de compétition et de domination », l’harmonie qui doit prévaloir entre les êtres, entre les humains et la Terre Mère. « Les aspirations émancipatrices inscrites dans l’histoire occidentale et celles qu’ont portées et portent les sociétés non occidentales peuvent se féconder mutuellement, pour mieux faire front au monde de la destruction. Il s’agit en quelque sorte de s’attaquer au système-monde capitaliste par les deux bouts, en alliant le désir de dépassement de ceux qui s’efforcent de sortir de la société de la marchandise et la capacité de résistance créative de ceux qui rechignent à s’y laisser absorber entièrement et défendent avec obstination des formes d’expérience partiellement préservées des rapports marchands. »
« Le monde commun part de l’autonomie des communautés locales, mais il suppose aussi la conscience d’une « communauté planétaire ». » Il s’agit de construire un « pluniversalisme » conciliant « le particulier et l’universel, la force de l’expérience locale et le soucis d’une humanité en quête de son accomplissement, la réalité concrète des solidarités interpersonnelles et la conscience de l’unité du genre humain », sur une « ligne de crête étroite, entre une homogénéisation destructrice de la diversité et des particularismes essentialisants ».
Sortir du capitalisme signifie rompre avec l’ensemble de l’organisation collective, politique et sociale, se défaire « d’une conception de l’homme qui n’est que la naturalisation d’une représentation fondée sur l’intérêt instrumental et destinée à convaincre du caractère indépassable – parce que inscrit dans l’essence même de l’être humain – du capitalisme », renoncer à « l’idée d’une nature (pré- ou extra sociale) de l’homme, la prééminence de l’individu sur la société et, enfin, la distinction entre nature et culture ».

Considérables et semblant insurmontables sont les obstacles qui se dressent pour empêcher la réalisation du « monde du faire réconcilié, de la détente temporelle et de la créativité intersubjective ». Les dominants, peu enclins à renoncer à leurs privilèges, s’assurent un minimum de consentement pour maintenir quelques semblants de crédibilité avec l’idéologie des droits de l’Homme, la croyance dans la liberté d’expression et l’illusion de la démocratie électorale, même si leur fonction de leurre transparaît chaque fois avec plus d’évidence. « Finalement, la vie sociale relève d’un incroyable automatisme qui tient à l’incorporation pratique de ses normes : on agit ainsi parce que les choses sont ainsi. La permanence du système social repose donc sur une étrange tautologie : cela tient parce que cela tient. C’est-à-dire aussi… jusqu’au moment où cela commence à ne plus tenir. » S’enclenche alors un processus de dés-adhésion, de reconnaissance de l’arbitraire du monde social, donné jusque là pour un cadre intangible de vie, ouvrant la voie à la désobéissance, à l’insubordination, à l’expérimentation d’autres formes de subjectivités et d’autres manières d’agir. « Il ne s’agit plus de s’en remettre à un Événement majuscule, concentré dans le temps et reporté à un futur lointain, qu’il s'agisse de la conquête de l’État, d’une insurrection générale ou de l’effondrement du système capitaliste. Mais on ne peut pas non plus se contenter de parier sur la prolifération présente de micro-événements et de gestes singuliers. » La dynamique révolutionnaire commence ici et maintenant, entrelaçant l’immédiateté de ce qui se construit au présent, l’imminence de ce qui se prépare et l’espérance de ce qui n’est pas encore. « Il s’agit, par tous les moyens et sous toutes ses formes possibles, de créer ce que l’on appellera des espaces libérés », de récupérer notre puissance de faire, de l’amplifier en recréant des espaces de coopération au niveau du voisinage, de déjouer les pièges d’une séparation entre réflexion et action, d’oeuvrer à favoriser l’ « irruption autonome de ceux d’en bas », d’accélérer la contagion des dignes colères et la convergence des refus d’accepter l’inacceptable, etc. Il s’agit de résister, lutter contre et construire. Notre opportunité pourrait tenir à la confluence de l’intensification de la crise structurelle du capitalisme, à l’insurrection de la Terre Mère et à notre capacité à défendre et étendre des espaces libérés, phénomènes susceptibles de se combiner et de se renforcer mutuellement. La lutte contre le capitalisme est la lutte de tous les dépossédés, la lutte de « la biocommunauté humaine et non humaine pour sa survie ».
« Nous savons qu’un monde libéré de la double tyrannie de la marchandise et de l’État, de l’argent et du travail spécialisé, est possible, nécessaire et urgent. (…) Rien n’est écrit, mais du moins savons-nous à quoi nous en tenir : le capitalisme ou la vie ! »


À lire, à méditer, à relire, à prêter, à relire encore, à conseiller, à « arpenter » collectivement, à diffuser, à proposer haut et fort en place public, à discuter et surtout, à mettre en oeuvre sans plus attendre. Éminemment salutaire !
ADIEUX AU CAPITALISME
Autonomie, société du bien être et multiplicité des mondes
Jérôme Baschet
210 pages – 15 euros
Éditions La Découverte – Collection « L’Horizon des possibles » – Paris – Janvier 2014
208 pages – 8,50 euros
Éditions La Découverte – Collection « Poche sciences » – Paris – Novembre 2016



 
Ouvrages cités :

CATASTROPHISME, ADMINISTRATION DU DÉSASTRE ET SOUMISSION DURABLE

LA RÉBELLION ZAPATISTE

CRACK CAPITALISM - 33 thèses contre le capital

Du même auteur :

LA RÉBELLION ZAPATISTE

ENSEIGNEMENT D’UNE RÉBELLION : La Petite école zapatiste

ZAPATISME : LA RÉBELLION QUI DURE