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Manifestations à Hong Kong : des similitudes avec les gilets jaunes ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Anne-Sophie Chazaud
Philosophe, haut fonctionnaire et auteur d’un livre à paraître aux éditions L'Artilleur consacré à la liberté d’expression
Malgré les différences politiques et sociales, la philosophe Anne-Sophie Chazaud estime que le traitement des manifestants hongkongais et des gilets jaunes par les autorités chinoises et françaises sont comparables.
La révolte populaire est toujours plus belle aux yeux de certains vue de loin et parée de ses oripeaux exotiques. Elle en devient romanesque et les âmes lyriques s’enflamment. Ainsi, une vingtaine de députés LREM, n’écoutant que leur courage, ont-ils appelé dans une lettre ouverte à ce que la France s’implique de manière plus bruyante au sujet de la situation à Hong-Kong, invitant les parties prenantes à ce que "le dialogue prime sur la violence" et se revendiquant pour ce faire de la légitimité conférée par le fait d’être les "héritiers de la Révolution française et du pays des droits de l'Homme". Rien que ça. Intention louable dont l’enfer est pavé.
SYMPATHIE OCCIDENTALE
De fait, et c’est un honneur, on sait que les manifestants hongkongais ont repris comme l’un de leurs hymnes la chanson extraite de la comédie musicale Les Misérables, "A la volonté du peuple" qu’ils ont par exemple entonnée dans l’aéroport qu’ils avaient investi le 9 août puis à d’autres reprises et dont ils ont été délogés manu militari. Les images de cette inspiration hugolienne ont fait le tour du monde.
Les défenseurs de la social-démocratie sont particulièrement sensibles au sort d’une population qui, bien qu’habitant un territoire rétrocédé à la Chine , bénéficie d’un statut particulier lui garantissant des libertés démocratiques inexistantes dans la République dite populaire mais servant également de sas facilitant l’accès de Pékin aux délices du néo-libéralisme le plus carnassier dans lequel elle excelle.
Sur ces entrefaites, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a rappelé l’attachement de la France au "respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales" ainsi qu’aux garanties que le statut particulier de Hong-Kong assure à sa population sur le plan des libertés publiques. A la bonne heure !
Alain Robert quant à lui, surnommé le "Spiderman français", s’en est allé grimper sur une des tours de la ville pour y accrocher une banderole en faveur de la paix.
De fait, le mouvement des citoyens hongkongais bénéficie, légitimement, de toute la sympathie occidentale, d’autant qu’à tort ou à raison il résonne dans les représentations collectives en écho aux événements tragiques de la répression de Tian’anmen en 1989.
A ce titre, les défenseurs de la social-démocratie sont particulièrement sensibles au sort d’une population qui, bien qu’habitant un territoire rétrocédé à la Chine depuis 1997, bénéficie d’un statut particulier lui garantissant des libertés démocratiques inexistantes dans la République dite populaire mais servant également de sas facilitant l’accès de Pékin aux délices du néo-libéralisme le plus carnassier dans lequel elle excelle. Il s’agit alors pour les défenseurs étrangers du mouvement d’opposition démocrate de s’afficher comme les apôtres du monde libre face au supposé communisme, rejouant ainsi une facile guerre froide de caricature, quand bien même le système chinois contemporain - avec lequel ils s’entendent comme larrons en foire pour faire des affaires - n’aurait plus grand-chose à voir avec le dogme marxiste-léniniste ni même avec son héritage, sauf à considérer que l’ultra-matérialisme ne pouvait que déboucher sur le néo-libéralisme le plus effréné, ce qui ne serait toutefois pas absurde.
Néo-libéralisme sur fond de globalisation et de dérégulation auquel sont pourtant si attachés les valeureux députés en marche se réclamant par ailleurs et sans vergogne de la Révolution française pour s’en aller appeler au dialogue antirépressif aux antipodes. Néo-libéralisme de prédation qui permet par exemple la nouvelle colonisation et le dépeçage des ressources de l’Afrique par la Chine, son infinie capacité à acheter des parts capitales des patrimoines et intérêts nationaux étrangers lesquels, gérés on le sait depuis longtemps maintenant par des élites en sécession, semblent tout heureux de s’abandonner au plus offrant à l’instar de ce qui se déroula lors de la privatisation-fiasco de l’aéroport de Toulouse (et dont l’exécutif souhaite réitérer la si probante expérience avec les Aéroports de Paris).
INDIGNATION À GÉOMÉTRIE VARIABLE ET RHÉTORIQUE SEMBLABLE
Pourtant, ces mêmes âmes légitimement troublées par les événements asiatiques qui durent à présent depuis plus de dix semaines sont restées au mieux étonnamment silencieuses face à la répression qui s’est abattue en France, sous leurs yeux, à l’encontre de la révolte populaire des gilets jaunes laquelle a également duré de longues semaines (et qui, en réalité, n’est pas terminée), et, s’il n’est pas question de comparer la situation de la Chine et celle de la France, on peut toutefois, en s’intéressant à l’aspect factuel, constater un très grand nombre de similarités entre les deux mouvements.
Dépourvus d’encadrement, fondés au départ sur une revendication précise qui s’est ensuite élargie à une demande pour davantage de démocratie, contraints face à l’absence de dialogue de se durcir quelque peu, très durement réprimés par un système policier mis à la disposition d’une politique violente, se transformant également en mouvement de dénonciation de ces violences policières, cibles, enfin, d’une rhétorique propagandiste de la part du pouvoir. Car il n’y a pas que les capitaux, les marchandises et les hommes qui, à l’ère contemporaine circulent librement : la soif de souveraineté des peuples s’étend précisément à proportion qu’on cherche à les en priver.
Où étaient, alors, tous ces romantiques soutiens des libertés publiques et de l’universalisme révolutionnaire qu’il faudrait s’en aller répandre à l’autre bout du monde lorsqu’on le combat à coups de LBD sous ses fenêtres ?
Le slogan "Œil pour œil", par exemple, repris par les manifestants de Hong-Kong en dénonciation d’un tir de police qui a provoqué l’énucléation d’une des leurs fait très fortement écho aux plus de vingt éborgnés de l’opposition populaire française. On n’a pas entendu les députés LREM ni les zélateurs du parti de l’Ordre fût-il nommé républicain s’émouvoir de cette désastreuse gestion de crise, non plus qu’aucun ministre rappelant son attachement aux libertés publiques et aux droits de l’homme.
Pas davantage que lors des innombrables arrestations dites "préventives" qui ont été autant d’entraves au droit de manifester, silence étendu lors de l’invraisemblable tentative de transfert de l’exercice de cette liberté fondamentale au pouvoir administratif, heureusement censurée à temps par le Conseil constitutionnel. Où étaient, alors, tous ces romantiques soutiens des libertés publiques et de l’universalisme révolutionnaire qu’il faudrait s’en aller répandre à l’autre bout du monde lorsqu’on le combat à coups de LBD sous ses fenêtres ?
Des centaines de blessés, des gazages intempestifs, des milliers d’arrestations et de gardes à vue, en bien plus grand nombre qu’à Hong-Kong, une justice la main sur la couture du pantalon pour faire appliquer ces dispositions répressives à la demande expresse de la Garde des Sceaux : au vrai, le bilan de la répression est pour l’heure infiniment plus lourd côté français.
Dans les deux cas, les autorités et leurs soutiens actifs utilisent une rhétorique de diabolisation des opposants, visant à les présenter comme des extrémistes : "terroristes" pour les Chinois, "radicalisés" pour les Français, accusés sournoisement de tous les maux et suspects de tous les vices tels qu’antisémitisme, homophobie, racisme et toute la panoplie des abominations possibles. On dénoncera par ailleurs abondamment leur violence tout en usant contre eux de violence extrême, selon une bonne vieille technique propagandiste usée jusqu’à la corde, au besoin en fabriquant et diffusant de fausses informations comme ce fut le cas avec la fausse attaque de la Pitié-Salpêtrière. Enfin, la manipulation anti-démocratique ne serait pas complète sans une accusation d’ingérence étrangère : on se souvient en l’occurrence des fantasmes d’ingérence tous azimuts, d’abord américaine, puis russe (si ce n’est toi, c’est donc ton frère), derrière les gilets jaunes ; la Chine accuse quant à elle les États-Unis.
De braves apôtres de l’Ordre sont d’ailleurs en train de se mobiliser à Hong-Kong afin de soutenir le gouvernement chinois et les policiers.
Tout est mis en place, par ces méthodes répressives et cette rhétorique hystérisante, pour ne pas avoir à dialoguer véritablement – ce qui signifie prendre le risque effectif de changer de politique –, pour pousser le mouvement de facto à se durcir et pouvoir ainsi progressivement le disqualifier en le décrédibilisant. En divisant l’unité du peuple, aussi. De braves apôtres de l’Ordre sont d’ailleurs en train de se mobiliser à Hong-Kong afin de soutenir le gouvernement chinois et les policiers : on trouvera en effet toujours dans tous les pays du monde et de tout temps des personnes qui préfèreront prudemment se garder du côté du manche. En revanche, que celles-ci se revendiquent de l’héritage de la Révolution française ou des droits de l’homme relève au mieux du ridicule, au pire de l’indignité.