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Premier mai: une analyse d’image

Lien publiée le 31 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/12250

Un billet par Christian Beuvain

Pour le 1er mai 1907, le caricaturiste Jules Grandjouan (1875-1968) dessine cette couverture deLa Voix du peuple, le journal de la CGT [Confédération générale du travail, à l’époque syndicaliste-révolutionnaire], fondé en décembre 1900 et dirigé à ce moment-là par Émile Pouget(1860-1931) . Entre 1904, date de son entrée au journal, et octobre 1910, Grandjouan y donne plus de 200 dessins, dont beaucoup en une. Au premier plan de celui-ci, Clemenceau, président du Conseil (octobre 1906) et ministre de l’Intérieur (mars 1906), cherche à rattacher un masque représentant Marianne sur une énorme pieuvre jaune, marquée « capital », dont les tentacules écrasent, étranglent et étouffent des travailleurs, dont certains sont déjà réduits à l’état de squelettes. Marianne est ceinte d’une couronne de laurier, avec le mot « patrie ». Face à eux, une marée humaine, qui s’étend à perte de vue, brandissant des drapeaux rouges, est en passe de les submerger. Pour les militants syndicalistes révolutionnaires de l’époque, le capitalisme, même paré dans l’urgence et la panique des attributs républicains et patriotiques, censés calmer le peuple, ne peut plus masquer ce qu’il est : un système d’exploitation des travailleurs. L’État, en la personne de Clemenceau, « Premier flic de France » selon ses propres termes, est dénoncé comme le garant de ce système. En représentant le capitalisme sous les traits d’une pieuvre1, animal mystérieux, dangereux, à l’affût de ses proies au fond des mers, Grandjouan convoque ici un classique de la symbolique animale dans la caricature politique révolutionnaire, qui ailleurs peut incarner l’État ou tout autre ennemi du genre humain. Le jaune de cette pieuvre renvoie à une couleur péjorative au sein du mouvement ouvrier, depuis la création en 1899 au Creusot et à Montceau-les-Mines de syndicats anti-grévistes vite nommés « jaunes ». A cette couleur honnie s’oppose bien entendu le rouge des drapeaux, qui forment aussi « 1er mai 1907 » au-dessus de la foule. La Charte d’Amiens, votée à une écrasante majorité six mois auparavant (au IXe congrès de la CGT en octobre 1906), consacre l’apogée du syndicalisme révolutionnaire – avec un syndicat conçu comme outil de lutte et de résistance, mais également comme base d’un « autre futur ». La marée humaine représentée par Grandjouan illustre à merveille cet apogée. Pourtant, ce Grand soir articulé autour de la grève générale2, raconté dans un récit, qui se voulait prémonitoire, de Pataud et Pouget (Comment nous ferons la Révolution, 1909, réédité par Syllepse, 2017) se fait attendre, puis s’éloigne à l’horizon. En 1914, Marianne et la patrie gagnent la partie.

1Lire l’excellente étude de Christian Moncelet sur les multiples représentations iconographiques de la pieuvre, http://www.caricaturesetcaricature.com/article-17261296.html

2Lire à ce sujet l’ouvrage d’Aurélie Carrier, Le Grand soir. Voyage dans l’imaginaire révolutionnaire et libertaire de la Belle Epoque, Paris, éditions Libertalia, 2017, dont Frédéric Thomas fit un compte rendu pour ce blog, https://dissidences.hypotheses.org/8676