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Femmes de chambre en grève, à Paris : “Elles ont si peu à perdre qu’elles sont très déterminées”
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Ce 9 septembre, les femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles, dans le XVIIe arrondissement de Paris, entamaient leur 52e jour de grève en présence de Philippe Poutou, venu les soutenir.
Un homme sort de la partie de l'hôtel Ibis Batignolles réservée aux séminaires d'entreprise. Malette à la main, cigarette électronique dans l'autre, costume impeccable, il a l'air mi-amusé, mi-désespéré. Et pour cause : à l'entrée des salles de réunion qui accueillent de sérieux entrepreneurs, ce 9 septembre au matin, une vingtaine de femmes de ménage font un maximum de bruit.
Bouteilles en plastique remplies de platre durci, couvercles de casseroles, boîtes de conserves, sifflets, haut-parleurs : pour une fois, elles ne passeront pas inaperçues, semblent-elles vouloir dire. La caisse de résonnance produite par l'enclavement de l'hôtel, situé entre quatre barres d'immeubles, joue en leur faveur. Depuis le 17 juillet, elles sont 24, employées par STN (un sous-traitant du groupe Accor) à avoir entamé une grève illimitée pour protester contre leurs conditions de travail.
“Souvent les femmes finissent avec des handicaps”
“Mal au dos, mal aux pieds, il faut payer !”, clament-elles en coeur, parfois en dansant pour égayer cette lutte qui ne fait que commencer. “On ne peut pas rester dans cette situation. Il faut diminuer les cadences, et payer chaque heure travaillée. Ici, ça n'existe pas”, nous explique Diallo, qui travaille dans cet hôtel depuis un an et deux mois. Une de ses collègues, âgée de 48 ans, dont douze à travailler comme femme de chambre, ajoute en souhaitant rester anonyme : “Ici on travaille beaucoup, mais ça ne paye pas, et souvent les femmes finissent avec des handicaps.”
La plupart des grévistes revêtent un gilet jaune floqué de la CGT-HPE, le syndicat des salariés des hôtels de prestige et économiques. Celui-ci n'en est pas à sa première expérience en matière de révolte des femmes de chambre. Beaucoup ce matin ont en mémoire la grève de 87 jours du personnel en charge du nettoyage du palace parisien Park Hyatt Vendôme, victorieuse, ou celle de 111 jours menée par les salariées de l'Holiday Inn de la Porte de Clichy, qui ont fini par être embauchées par l'établissement. Une autre grève s'est installée depuis avril, parmi les femmes de chambre de l'hôtel NH, employées de la société Elior Services, à Marseille.
Il faut dire que leurs problèmes et leurs revendications se ressemblent. Comme beaucoup d'autres, les femmes de chambre de l'Ibis Batignolles sont employées par un prestataire externe, la société STN. Elles n'ont donc pas le statut de salariées de l'hôtel, ne sont pas sur la convention collective hotelière, et ne bénéficient pas de ses avantages - comme une une indemnité nourriture, qu'elle réclament.
“C'est un secteur qui bouge énormément, et pour cause : elles sont en bas de l'échelle, et ont tellement peu à perdre qu'elles sont très déterminées”, constate Marion, membre du NPA et du comité de soutien aux grévistes. “Les hôtels rechignent à internaliser, alors que le nettoyage est la base du métier hotelier : ça n'a pas de sens. Mais le dialogue social est inexistant avec des mastodontes comme STN ou Elior. Ils ne veulent pas lâcher le morceau sur un piquet de grève, pour ne pas avoir à le lâcher ailleurs."
“Ils ont créé des salariées de seconde zone”
Les femmes de ménage de l'Ibis Batignolles réclament aussi une baisse des cadences, fixées à trois chambres et demie par heure pour l'instant. “On souffre beaucoup, et ils payent mal”, s'indigne ainsi Blanche-Parfaite, une des employées, qui gagne environ 900 euros par mois. “Il y a un ras-le-bol. Nos tenues ne sont pas changées, des filles malades reçoivent des menaces de mutations, ça ne peut pas continuer”, ajoute-t-elle. Les salariées de cet hôtel ont par ailleurs été gravement marquées par l'agression sexuelle présumée de leur collègue Beby par l'ancien directeur, dans l'établissement, en mars 2017. L'affaire est en cours d'instruction, l'homme a été mis en examen.
Tiziri, animatrice syndicale à la CGT et organisatrice de plusieurs grèves de femmes de chambre, a découvert son existence le premier jour de la grève. “A 9 heures le matin, dans le hall, elles ont voulu rendre hommage à leur collègue violée dans l'établissement. Toutes les femmes ont clamé pendant dix minutes : ‘Beby violée ici.’J'en ai pleuré. Il y a clairement une dimension féministe et antiraciste dans cette lutte, qui trahit a une distribution sexuelle et raciale du travail. Ils ont créé des salariées de seconde zone”, raconte-t-elle.
“On se demande comment elles font pour être aussi déterminées”
Ce jour-là, Philippe Poutou, l'ouvrier de chez Ford (dont l'usine est en train de fermer) et ancien candidat à la présidentielle du NPA, est venu apporter son soutien aux personnes mobilisées. “Il y a un côté fabuleux souvent dans ces luttes, car ça a beau être un milieu ultra-précaire, avec une violence ahurissante dans les rapports au travail, elles ont un culot incroyable. Cela fait du bien, ça fait relativiser nos problèmes. On se demande comment elles font pour être aussi déterminées”, confit le Limousin, venu en direct de Bordeaux.
Les damnées de la terre relèvent bien la tête. Au bout d'un mois, STN leur a fait une proposition par courrier, jugée très insuffisante. Une cagnotte en ligne a récolté 16 500 euros pour soutenir les grévistes. La caisse de grève du syndicat a été mise à contribution pour verser leurs salaires. Malgré les interimaires appelés en renfort par l'Ibis Batignolles, le conflit est donc parti pour durer.