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Le gauchisme lyonnais des années 1968
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.zones-subversives.com/2019/08/le-gauchisme-lyonnais-des-annees-1968.html
L'événement de Mai 68 bouscule le paysage politique et syndical, comme dans la ville de Lyon. Un militantisme gauchiste porte de nouvelles pratiques de lutte dans les entreprises comme dans la vie quotidienne.
Le mouvement de Mai 68 dépasse largement le cadre parisien. Avec 9 millions de grévistes, la révolte se généralise et s’étend sur tout le territoire. Ensuite, les universitaires évoquent désormais les années 1968. Les prémisses du mouvement émergent dans les années 1960 avec la lutte contre le colonialisme en Algérie. La contestation perdure également après Mai 1968. Cette période se manifeste par un bouillonnement politique, social et culturel. Des sociologues et des des historiens reviennent sur la contestation lyonnaise après Mai 68. Ils décrivent cet univers militant dans le livre collectif Lyon en lutte dans les années 1968.
Mai 68 et militantisme gauchiste
Le sociologue Lilian Mathieu se penche sur le Mai lyonnais. Cette révolte bouleverse le paysage militant. Les universités subissent un important afflux d’étudiants. Le syndicat de l’Unef et des groupes gauchistes sont présents dans les facs. Mais c’est le Mouvement du 22 mars lyonnais qui reste le principal détonateur de Mai 68. Ce collectif s’inspire du 22 mars de Nanterre. Il regroupe surtout des anarchistes et descommunistes libertaires mais reste ouvert à toutes les sensibilités.
Les manifestations étudiantes sont suivies par des grèves et des occupations dans les entreprises. Mais la CGT tient au cloisonnement du mouvement étudiant et des grèves ouvrières. Le 22 mars impulse une dynamique de conflictualité. Les étudiants attaquent la préfecture. Mais un commissaire est tué le 24 mai. La jeunesse n’est plus perçue comme victime de la répression, mais comme coupable d’un meurtre. La grève se prolonge peu de temps, avant la reprise du travail début juin.
Après Mai 68, deux pôles politiques s’opposent. Le Parti communiste et la CGT ne cessent de dénoncer les gauchistes alliés au pouvoir. Le Parti socialiste unifié (PSU) s’appuie sur le syndicat de la CFDT. Ce parti semble plus bienveillant à l’égard du mouvement de Mai 68, mais dénonce la violence.
Laure Fleury, Lilian Mathieu et Vincent Porhel présentent le paysage de l’extrême gauche lyonnaise de l’après Mai 68. Les trotskistes de Lutte ouvrière (LO) décident de s’implanter dans les principaux sites industriels. Ses feuilles de boîte dénoncent les incidents qui se sont déroulés dans l’entreprise. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) est active dans les comités soldats. Mais elle est marginalisée par l’antimilitarisme qui revendique la suppression du service militaire et de l’armée. La LCR valorise la lutte féministe et s’implante dans le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC). La LCR tente de créer des « fractions » dans les syndicats de la CGT et de la CFDT. La LCR reste plus implantée dans la fonction publique que dans l’industrie.
Les maoïstes animent surtout les comités Vietnam de base (CVB). Ils tentent également de faire connaître les luttes des travailleurs, notamment auprès du milieu étudiant. La Gauche prolétarienne (GP) incarne le courant spontanéiste de la mouvance maoïste. Durant sa courte existence, elle multiplie les coups d’éclat et les actions provocatrices. La GP tente également de s’implanter dans les usines. Le comité de lutte à Brandt dénonce les cadences et les petits chefs.
Le PSU se situe entre la gauche institutionnelle et l’extrême gauche. Ce parti est présent dans les entreprises et s’implique à la CFDT. Mais il développe également le thème du cadre de vie et crée des associations de quartier. Les militantes du PSU s’impliquent dans la lutte féministe, notamment à travers le MLAC et l’association Choisir. Le PSU lyonnais subit la scission gauchiste de la Gauche ouvrière et paysanne (GOP) en 1974 et le départ des rocardiens vers le Parti socialiste en 1975.
Le mouvance libertaire se compose de différents pôles. Ce qui favorise sa capacité d’influence dans les mouvements sociaux. Deux groupes de la Fédération anarchiste existent sur Lyon. Le groupe Elisée Reclus semble plus âgé et plus populaire. Le groupe Bakounine, plus jeune et étudiant, semble influencé par le renouvellement de la pensée libertaire avec la revue Noir et rouge ou le groupe Socialisme ou barbarie. Les jeunes libertaires sont à la pointe de la contestation en Mai 68 à travers le mouvement du 22 mars. Mais les libertaires lyonnais refluent dans la période qui suit. Des journaux s’attachent à relayer les luttes pour les rendre visibles. Les libertaires soutiennent les luttes des prisonniers, le féminisme, l’antiracisme et l’antimilitarisme.
Luttes sociales
Camille Masclet évoque les mouvements féministes. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) reste attaché à son autonomie par rapport aux organisations politiques. Le MLF participe surtout à la lutte pour l’avortement et pour la libre disposition de son corps. Le MLF critique la famille comme institution bourgeoise qui opprime les femmes. Le travail domestique et la socialisation sexuée qui produit des inégalités sont également remis en cause.
Le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) est présent sur Lyon. Il pratique des avortements dans l’illégalité. Il se compose de femmes militantes qui tiennent les permanences d’accueil mais aussi de médecins davantage paternalistes. Ces deux composantes peuvent avoir des rapports conflictuels. Les médecins, qui sont surtout des hommes, finissent par s’imposer après la loi Veil. Mais le MLAC permet également d’impulser une dynamique féministe autonome. Les militantes qui tiennent les permanences du MLAC lancent des groupes de femmes, qui se diffusent dans les quartiers et les entreprises.
François Alfandri et Sophie Béroud présentent les syndicats CGT et CFDT à Lyon. La CGT est implantée dans l’industrie, notamment dans l’usine Berliet, et dans le commerce. Les effectifs des deux syndicats progressent après Mai 1968 et se développent particulièrement dans les secteurs de la métallurgie et de la chimie. La CFDT se développe à EDF, à la SNCF et aux PTT, notamment après la grande grève de 1974.
La CGT tient à préserver sa position dominante dans le champ syndical. Elle s’adresse aux travailleurs immigrés pour éviter qu’ils se tournent vers l’extrême gauche. La CGT se méfie des gauchistes qui militent dans le syndicat. L’UD CFDT du Rhône se révèle particulièrement combative dans le mouvement de 1968. Elle s’affirme comme proche de l’aile gauche du syndicat incarnée par Frédo Krumnow. La CFDT du Rhône reste attachée à l’autogestion des luttes plutôt qu’à la mise en avant de la structure syndicale. Mais la direction de la CFDT impose un recentrage et exclue des syndicalistes jugés trop combatifs.
Sophie Béroud et Vincent Porhel reviennent sur les luttes ouvrières à Lyon. Le conflit de la Penarroya, à partir de 1972, incarne une nouvelle forme de lutte. Ce sont essentiellement des travailleurs immigrés qui dénoncent les conditions de travail et les conséquences sur la santé. Des assemblées générales permettent à la base ouvrière de s’exprimer et de décider directement. Un comité de soutien apporte une aide logistique et permet de faire connaître cette lutte. Animé par des militants des Cahiers de Mai, ce comité de soutien permet l’implication d’intellectuels. Cette grève victorieuse permet d’importantes améliorations sanitaires. Le conflit de Teppaz, à partir de 1974, annonce les luttes contre les licenciements. Une grève avec occupation caractérise l’influence de la CFDT et de ses idées autogestionnaires. Des assemblées générales ouvertes permettent de prendre des décisions. Des ventes sauvages financent et médiatisent la lutte, dans l’esprit de Lip.
François Alfandri observe les oppositions entre les syndicats à l’hôpital psychiatrique du Vinatier. La CGT affirme davantage une culture ouvrière et regroupe des personnels techniques. La CFDT critique davantage l’ordre asilaire et regroupe des infirmières et personnels soignants. Au moment de la grève de 1974, la CFDT défend un comité autonome de gréviste qui dépasse le cadre syndical et permet l’auto-organisation. Cette coordination reste malgré tout un regroupement corporatiste. Mais la CGT privilégie les vieilles structures et la prise de décisions par une intersyndicale.
Impasse du gauchisme
Ce livre collectif permet une plongée dans la contestation des années 1968 à Lyon. Néanmoins, les universitaires expriment peu de distance critique à l’égard du gauchisme. L’approche sociologique explique ce regard biaisé. L’explosion de Mai 68, la révolte spontanée, reste délaissée. Les universitaires privilégient une sociologie du militantisme plutôt qu’une analyse historique. Ce livre ne permet pas de comprendre les forces et les limites de Mai 68. En revanche, il permet d’observer les limites du gauchisme de la période qui suit.
Ce gauchisme apparaît comme autoritaire et réformiste. Le livre collectif montre une avant-garde militante recroquevillée sur son petit milieu. Même dans les entreprises, les rivalités syndicales priment sur l’autonomie des luttes. Les libertaires sont très présents en Mai 68. Mais le gauchisme des années qui suivent imposent des pratiques autoritaires. Les militants tentent davantage de recruter pour leur secte, perçue comme l’avant-garde qui doit guider les masses, que de favoriser des luttes sociales autonomes.
La démarche originale des Cahiers de Mai est étrangement occultée. Pourtant, l’enquête ouvrière et le soutien aux luttes autonomes apparaissent comme les pratiques les plus pertinentes pour la période actuelle. Les réseaux trotsko-staliniens imprégnés de catholicisme social sont malheureusement privilégiés, malgré leur archaïsme profond.
Le livre insiste sur les dimensions sociologiques et idéologiques des différentes composantes du militantisme. Mais ces universitaires évoquent trop peu les divergences dans les pratiques de lutte. Le livre devient plus intéressant lorsqu’il se penche sur les luttes concrètes des années 1968. Les débats stratégiques autour de la Penarroya ou du Vinavier restent pertinents. Des comités de grève autonomes échappent à l’emprise des syndicats. Ces révoltes sortent du cadre militant pour impliquer une majorité de salariés. Elles permettent d’inventer d’autres formes de lutte qui refusent les hiérarchies et la bureaucratie syndicale. L’auto-organisation de la lutte favorise la politisation et alimente la perspective d’une rupture avec le capitalisme.
Le gauchisme apparaît au contraire comme une variante du réformisme. Le PSU, la LCR ou la CFDT ne sont qu’une extrême gauche du capital. Ces groupuscules veulent avant tout aménager le capitalisme et l’exploitation. Le syndicalisme correspond d’ailleurs bien à cette logique. La routine du militantisme prime sur la perspective d’une nouvelle explosion sociale. Mai 68 exprime une critique totale de la civilisation marchande. Cette révolte remet en cause les rôles, les hiérarchies et les positions sociales. C’est un mouvement global et libertaire.
En revanche, le gauchisme dérive vers une logique postmoderne. Le militantisme des années qui suivent s’appuie au contraire sur des luttes sectorielles et spécialisées. Le féminisme, l’écologie, l’antiracisme, l’antimilitarisme y vont de leurs collectifs spécialisés et coupés d’une critique globale de l’ordre existant. Chaque spécialiste observe la société par son propre petit bout de la lorgnette. La critique de la totalité est abandonnée. C’est au contraire la révolte globale de Mai 68 qui peut ouvrir des perspectives pour changer le monde d'aujourd’hui.
Source : Collectif de la Grande Côte, Lyon en lutte dans les années 1968. Lieux et trajectoires de la contestation, Presses universitaires de Lyon, 2018
Extrait publié sur le site de la revue Contretemps
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Pour aller plus loin :
Vidéo : conférence Changer le monde, changer sa vie. Enquête sur les militantes et militants des années 68 en France, Séance du séminaire général d'Arènes du 5 juin 2018
Vidéo : Vincent Porhel sur Mai 68 et après, mise en ligne le 24 mai 2016
Vidéo : Sophie Béroud, Lyon en luttes dans les années 1968, mise en ligne le 1er mars 2018
Vidéo : Sophie Béroud, Redéployer la conflictualité sociale, interview réalisée à l'occasion de la sixième journée des Etats généraux du Travail, le 6 mars 2018
Vidéo : L.Mathieu, "Le pourquoi des révolutions, causes et conditions de possibilités", conférence mise en ligne par l'Université Populaire Ouverte du pays viennois le 16 avril 2017
Vidéo : Mai 68 : le patronat et le droit syndical, mise en ligne sur le site de france.tv
Radio : Mai 68 à Marseille, Lyon, Rennes et Brest, émission diffusée sur France Culture le 23 avril 2018
Notes de lecture de la revue Mouvement social publiées le 2 février 2019
Lucienne Bittar, Mai 68 à Lyon, publiée sur le site de la revue Choisir le 30 avril 2018
Denis Sieffert et Olivier Doubre et Pouria Amirshahi, Mai 68, (enfin) objet d’histoire, publié sur le site du magazine Politis le 3 mai 2018
Théo Roumier, Retrouver les libertaires de 68, publié sur le site du magazine Politis le 16 février 2018
Articles de Lilian Mathieu publiés dans le portail Cairn
Articles de Lilian Mathieu publiés sur le site de la revue Contretemps
Articles de Lilian Mathieu publiés sur le site Liens Socio
Julien Thibert, Grand Témoin / Vincent Porhel : "On a oublié un peu vite mai 68 à Lyon !", publié sur le site Tout Lyon le 15 mai 2018
Articles de Vincent Porhel publiés dans le portail Cairn
Alban Jacquemart et Camille Masclet, Mixités et non-mixités dans les mouvements féministes des années 1968 en France, publié sur le site de la revue Clio en 2017
Articles de Sophie Béroud publiés sur le site de la revue Contretemps
Articles de Sophie Béroud publiés dans le portail Cairn