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Une usine classée Seveso brûle et les télés regardent ailleurs

Lien publiée le 28 septembre 2019

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Ma vie au post, Une usine classée Seveso brûle et les télés regardent ailleurs

Jeudi, toutes les chaînes info de France couvraient l’incendie qui faisait étouffer l’agglomération de Rouen… jusqu’à l’annonce de la mort de Jacques Chirac. Depuis, c’est la hiérarchisation de l’information qui est en deuil.

« À 15 kilomètres de Rouen, l’air est irrespirable. Il tombe une pluie aux dépôts noirâtres. On se sent complètement abandonnés. » Sur mon écran, les messages de ce type ce multiplient, accompagnés d’effrayantes photos des effets de la pluie d’hydrocarbures. Je parle de mon écran d’ordinateur, pas de mon téléviseur. J’ai ouvert sur Twitter un fil d’actualité des messages incluant le hashtag #Lubrizol, du nom de l’usine rouennaise classée Seveso 2 qui a entièrement brûlé jeudi.

 

Le drame s’est produit à 11h58, comme l’indique fièrement Louis Laforge, présentateur de Franceinfo, dans un tweet : « Quand, en direct à 11h58, en pleine édition spéciale sur l’incendie de l’usine Lubrizol, on me glisse dans l’oreille “Chirac”… une autre journée commence ! » Une autre journée commence pour les télés. La journée de centaines de milliers de personnes touchées par les retombées de l’incendie, elle, se poursuit, mais plus personne ne s’en soucie. À l’antenne, le présentateur subodore : « On va peut-être parler un peu moins de l’incendie. » En réalité, on ne va plus en parler du tout. Pendant des heures, les chaînes d’info ne consacrent plus un mot, plus une image, même pas un bandeau à une catastrophe écologique majeure.

La palme du cynisme revient sans conteste au 13 heures de TF1. À Rouen, un reporter interroge Christophe Castaner, venu certifier à la population l’absence de danger, avec en arrière-plan le gigantesque panache de fumée toxique. Il lui demande… ce qu’il pense de Jacques Chirac.

Partout, tout le temps, il n’y en a que pour un président mort. « Quand Chirac promettait de se baigner dans la Seine », rappelle BFMTV, oubliant qu’un désastre industriel est justement en train de polluer la Seine. « Comment la pomme a changé le destin présidentiel de Jacques Chirac », se souvient encore BFMTV, sans jamais s’inquiéter des pluies d’hydrocarbures qui risquent de changer le destin des producteurs de pommes normands… La préfecture de Seine-Maritime recommande aux agriculteurs de « rentrer leurs animaux, sécuriser leur alimentation et suspendre les récoltes… » Mais seule la chaîne Equidia (!) semble s’en émouvoir, qui publie d’inquiétantes photos de flaques d’hydrocarbures prises dans un centre équestre situé à 35 kilomètres de Rouen.

Sur CNews, LCI et BFMTV, l’hagiographie de Jacques Chirac se poursuit non-stop. On salue un président qui « aimait passionnément les Français dans leur diversité » (Jean-Michel Aphatie), oubliant « le bruit et l’odeur » qu’il reprochait aux immigrés polygames. Oubliant aussi le bruit (des explosions) et l’odeur (des fumées) que d’ironiques Rouennais signalent. On escamote aussi les condamnations de Jacques Chirac pour abus de confiance, détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêt, comme on tait la (ridicule) peine infligée à Lubrizol (4 000 euros), après la fuite d’un gaz toxique, le mercaptan, en 2013.

 

La fine fleur des connaissances de Jacques Chirac est convoquée : l’irréprochable François Fillon vient témoigner de sa peine sur BFMTV. Dont le présentateur oublie de demander à un autre invité, l’ancien cuisinier de l’Élysée, s’il aurait servi du neufchâtel aux hydrocabures à l’ancien président. LCI rend hommage à la passion de « la bonne chère » de Jacques Chirac, BFMTV vante « le plus gourmand des présidents », tout le monde répète jusqu’à l’indigestion son goût pour la tête de veau. Mais personne ne s’inquiète de savoir comment vont être nourris les bovins normands, alors que la récolte de maïs fourrager battait son plein jusqu’à l’arrivée de la pollution de Lubrizol. Personne ne s’interroge sur les communiqués contradictoires des autorités, qui recommandent d’abord aux habitants de laver soigneusement fruits et légumes… avant de rectifier : « Attendre les recommandations de la préfecture avant de consommer les produits de votre jardin. »

 

Un communiqué du ministère de l’Intérieur est tombé : « Aérez votre habitation », « si vous avez à manipuler des objets entreposés à l’extérieur, mettez de gants »,etc. Curieusement, les chaînes d’info, si promptes à relayer la communication de la Place Beauvau quand il s’agit de vanter la répression policière, n’en disent mot. Autour de Rouen, les habitants s’inquiètent : on nous a dit de nous calfeutrer… et maintenant il faut aérer. J’ose croire que c’est parce que le nuage toxique est passé.

Raté. En réalité, il semble que le ministère ait fait preuve d’un excès d’optimisme. La mention « aérez votre habitation » est vite supprimée du communiqué. Sur Twitter, dans la soirée, un habitant d’un petit village au nord de Rouen témoigne : « Je viens de fermer les volets, une forte odeur âcre m’a pris aux narines et à la gorge. Je repense au préfet de Seine-Maritime sur France 3 Normandie ce soir, pas plus perturbé que cela… »

Sur les chaînes nationales, les téléspectateurs n’ont même pas droit au préfet de Seine-Maritime. BFMTV proclame : « La tour Eiffel s’éteint pour saluer la mémoire de Jacques Chirac. » Le journalisme aussi s’est éteint. Ce jeudi 26 septembre, il semble que soit définitivement abandonné le deuxième terme de l’expression « chaînes d’information ». Si, un jour, le cœur d’un réacteur nucléaire entre en fusion, ces gens nous parleront certainement du dernier album posthume de Johnny Hallyday.