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La politique autrement : le municipalisme de la CUP dans les Pays Catalans

Catalogne

Lien publiée le 10 octobre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/municipalisme-cup-pays-catalans/

Nous publions ici un entretien avec Silvia Pagès Serarols (membre du Secrétariat National de la Candidature d’Unité Populaire [CUP], conseillère municipale de Sant Joan Les Fonts, province de Gérone) et Pep Medina (membre de la CUP de Granollers, province de Barcelone), réalisé à Barcelone le 30 novembre 2018 par Alfredo Gómez-Muller (philosophe, études latino-américaines), au siège de la CUP. La version originale, en espagnol, a été publié sur le site colombien Palabras Al Margen.

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Présentation par Alfredo Gómez-Muller

L’un des aspects les plus significatifs de l’hétérogène mouvement des « Gilets jaunes » en France est sans doute sa profonde méfiance vis-à-vis de la « politique » en général et donc la permanente réaffirmation de son autonomie à l’égard de tous les partis politiques, y compris ceux d’opposition qui semblent proposer des alternatives au régime ultra-néolibéral actuel. Une méfiance qui peut dans certains cas s’exprimer par une sorte de répugnance à l’égard de la politique comme telle, vue comme une pratique de la tromperie, les fausses promesses, la démagogie et les arrangements plus ou moins discrets avec les groupes de pouvoir en place, au nom du « réalisme politique ». Les gens que se réunissent dans les carrefours et dans les rues disent vouloir s’exprimer sans « intermédiaires » professionnels, et rejettent l’initiative individuelle de ceux qui ont prétendu s’auto-désigner représentants du mouvement vis-à-vis des autorités, se servant de la mobilisation pour leurs propres intérêts particuliers. Quelles que soient les ambiguïtés de ce mouvement qui semble actuellement entrer en une phase d’épuisement, il y a sans doute quelque chose de sain dans cette prise de conscience de l’abîme qui sépare le monde « politique » institué des aspirations réelles des « gens de la rue ». Quel que soit le jugement qu’on puisse porter sur le mouvement, il a le mérite d’exprimer d’une manière particulièrement claire (et souvent dramatique) la crise de la « politique » instituée ou plus précisément de la forme établie de faire de la politique, indépendamment de ses contenus particuliers de « droite » ou de « gauche ».

Par ailleurs, le rejet de la « politique » sans plus semble s’accompagner dans ce mouvement d’une certaine négation du politique comme tel, c’est-à-dire des espaces publics de concertation locale, régionale, nationale et internationale en vue de la prise de décisions communes relatives à la définition du commun ainsi qu’à la redistribution sociale des biens communs. Dans sa première phase de déclin le mouvement a fait un pas vers le politique en présentant une pétition en vue de faciliter le référendum d’initiative citoyenne, laquelle a pu obtenir un soutien considérable dans les réseaux. Hormis cette proposition, le mouvement abandonne le politique aux politiciens professionnels, qui sont déjà en compétition pour récupérer le mécontentement social dans les prochaines élections. Reste ainsi posée de nouveau non seulement la question fondamentale du politique mais aussi celle, plus pratique et immédiate, de la possibilité d’une « autre » politique. Deux questions que peut difficilement éluder tout projet de construction d’alternatives au nihilisme capitaliste actuel.

La question des formes alternatives de faire de « la » politique possède une longue histoire que part du XIXe siècle. Depuis cette époque l’anarchisme « classique » a soutenu que la seule politique alternative est celle qui se fait en dehors des institutions politiques établies, et contre elles ; c’est une forme d’apolitisme politique qui a dû néanmoins assumer en diverses circonstances historiques les formes instituées du politique ou du moins d’une partie d’entre elles (guerre civile espagnole, république des conseils de Bavière, etc.). Plus récemment ont apparu d’autres réponses possibles, qui peuvent parfois reprendre des expériences anciennes voire « prémodernes » d’organisation du pouvoir social. Parmi elles il y a le municipalisme, qui dans son versant libertaire a été pensé par Murray Bookchin comme forme politique de l’écologie sociale, et qui depuis 2014 inspire la pratique du confédéralisme démocratique dans certaines régions du Kurdistan syrien. En Espagne, l’un des effets du mouvement des « Indignés » ou du 15-M (2011) a été la multiplication de candidatures municipalistes basées sur des formes de démocratie directe, qui cherchent à favoriser un contrôle social sur l’économie locale et la protection de l’environnement. Dans les Pays Catalans apparaissent dès les années quatre-vingt diverses initiatives municipalistes promues par la gauche indépendantiste, lesquelles acquièrent des formes plus élaborées de coordination à partir de 1986 avec la création de l’AMEI (Assemblée Municipale de la Gauche Indépendantiste). De cette dynamique municipaliste surgit en 2000 la Candidature d’Unité Populaire (CUP) comme instance de coordination des candidatures locales. Devant l’accroissement des candidatures et des cercles locaux à travers tout le territoire des Pays Catalans, la CUP devient en 2008 une organisation politique nationale à caractère assembléiste et municipaliste qui depuis 2012 participe également aux élections pour le Parlement de Catalogne. Aujourd’hui la CUP se compose de plus de 170 assemblées locales regroupées pour la plupart dans 14 assemblées territoriales, et dispose (seule ou dans le cadre de la coalition électorale CUP-Pueblo Activo) de 361 conseillers municipaux en 143 municipalités, 17 maires et 4 députés au Parlement de Catalogne ; elle est également présente dans le gouvernement de 10 municipalités. L’expérience politique de la CUP et plus particulièrement son intention de dépasser la dichotomie entre la politique « au dedans » et « en dehors » des institutions mérite à notre avis d’être prise en compte par tous ceux qui tentent d’imaginer et de mettre en œuvre de nouvelles formes d’action politique. Il ne s’agit évidemment pas d’un modèle qu’il faudrait appliquer mécaniquement à d’autres réalités, mais d’une expérience qui invite à penser et à imaginer, ou plutôt à penser « imaginativement ». Pour tenter de mieux cerner ce qu’il peut y avoir d’alternatif dans la proposition municipaliste-assembléiste de la CUP, nous avons dialogué à Barcelone avec deux de ses membres. Nous présentons ce dialogue sous forme d’entretien, dans le texte suivant.

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Entretien

(Silvia Pagès Serarols = SPS ; Pep Medina = PM ; Alfredo Gómez Muller = AGM)

AGM – Le municipalisme semble être un aspect central du programme et de l’organisation de la Candidature d’Unité Populaire (CUP). Peut-on caractériser le socialisme que vous défendez comme un socialisme municipaliste ?

PM – La CUP en tant que projet politique surgit sur la base de pratiques d’assemblées (asamblearia). Nous estimons que tout le monde a à participer en politique, car de fait tout dans la vie est politique, toutes les conditions matérielles de la vie sont politiques, et dans ce sens ce sont las classes populaires elles-mêmes qui doivent acquérir du pouvoir (empoderar), parvenir au pouvoir et exercer leur souveraineté dans tous les sens. Dans le projet municipaliste de la CUP l’une des questions de base est celle de l’assembléisme, la lutte à partir de la base matérielle elle-même où se trouvent les personnes. Dans ce sens nous ne croyons pas que tout doit s’appuyer sur la lutte institutionnelle et sur l’occupation des administrations actuelles du système ; nous considérons que le moteur du changement est la mobilisation des classes populaires de tous les Pays Catalans. À la différence d’autres partis et organisations politiques, nous ne pensons pas que le pivot du municipalisme soit uniquement la municipalité, mais plutôt les mouvements sociaux et de base pouvant exister dans chaque village et chaque ville, y qui avec leur mobilisation font bouger la société vers le projet politique que nous proposons. Le municipalisme tel que nous l’entendons est de base au sens de la mobilisation depuis chaque municipalité, depuis chaque communauté. Nous entendons aussi que tant que la mobilisation populaire n’entraînera pas ces questions, le fait d’entrer dans les municipalités peut être un outil pour transférer la voix de la rue dans les institutions en vue de produire des changements non seulement conjoncturels, comme ceux que peuvent faire les municipalités, mais aussi structurels en général. Dans ce sens nous entendons le municipalisme. Il est l’unité de base dans laquelle évolue la CUP dans chaque municipalité.

AGM – Comment avez-vous construit votre conception du municipalisme ? Quelles en sont les sources, aussi bien pratiques qu’historiques et politiques ?

SPS – Nous venons de la création d’associations et d’entités, d’une auto-organisation par le bas, depuis toujours. Dans cette dynamique ont émergé au fur et à mesure des projets municipalistes, qui à un moment donné se sont rassemblés et ont créé les Candidatures d’Unité Populaire. Nous avons aussi regardé en dehors, nous sommes une organisation internationaliste, nous tentons de créer des synergies et surtout des solidarités entre des peuples et des luttes, dans la lutte commune contre le grand capital. Je crois que l’un de nos miroirs est l’EZLN[1] et son grand principe selon lequel c’est le peuple qui commande et le gouvernement qui obéit, ainsi que son organisation en caracoles[2] qui est pour nous un exemple important. Personnellement je pense que nous avons aussi d’autres modèles plus proches, comme le confédéralisme féministe et socialiste qui existe dans le Kurdistan. Nous avons pas mal de rapports avec ce mouvement kurde, par l’intermédiaire de camarades (des femmes) qui se réunissent avec des personnes de l’IPY (Unités de Protection des Femmes) du Rojava et d’autres régions de Syrie et de Turquie. Le fait d’avoir réussi à implanter ce socialisme de confédérations où les femmes ont acquis du pouvoir (empoderado) de telle manière qu’elles jouissent de l’égalité totale dans tous les domaines, et cela en plein milieu d’une guerre, est un grand exemple pour nous. Nous croyons que le municipalisme s’accorde mieux aux petites entités où le travail direct avec les personnes est possible, où nous pouvons réellement écouter les gens. Dans des espaces plus grands, comme par exemple la Catalogne, le travail en assemblées est très difficile, et plus encore si nous parlons des Pays Catalans où il faudra établir une confédération entre divers pays. Ce que nous cherchons, c’est que les petites unités soient réellement horizontales, qu’elles fonctionnent par assemblées et que ce soit le peuple souverain qui gouverne, de sorte qu’il n’y ait que des représentants dont la fonction est d’exécuter ce qui a été décidé collectivement, et rien d’autre. Nous avons un projet de souverainetés qui définit également notre modèle socialiste. Nous devons être souverains en tout : souveraineté technologique, souveraineté économique, souveraineté alimentaire. Au départ ce sont des projets de petite envergure qui visent à rendre notre société indépendante, et nous sommes en train de les mettre en œuvre dans quelques-unes des municipalités où nous gouvernons et qui brisent peu à peu les liens qui les attachent au système capitaliste. Et cela est en train de nous faire gagner. La municipalité de Navás a mis en œuvre plusieurs de ces souverainetés : elle a municipalisé le service des déchets et a assuré la souveraineté alimentaire pour les écoles ainsi que pour d’autres services publics. Nous avons obtenu que l’alimentation soit en grande partie écologique et provenant des producteurs du village même ou des alentours. Une alimentation de km 0, et donc nous évitons le gaspillage en CO2 tout en travaillant pour la souveraineté économique du village. Cela fait déjà plusieurs années que nous travaillons à ce projet de souverainetés, qui définit notre socialisme.

AGM – Tu as mentionné l’expérience du Chiapas, du néo-zapatisme, et celle du Kurdistan. Dans cette dernière le travail de Murray Bookchin, un auteur anarchiste des États-Unis, a joué un rôle important. À ce propos je voudrais vous demander s’il n’y a pas également d’autres sources du municipalisme et de l’assembléisme de la CUP, des sources plus proches, d’ici même, de la Catalogne. Je pense en particulier à ce qu’a été en Catalogne la Confédération Nationale du Travail (CNT) dans les années 20 et 30. Y a-t-il une mémoire de cette expérience de la CNT dans votre projet ?

SPS – Tout à fait. Nous sommes marqués par ces luttes et concrètement par le mouvement anarchiste CNT. Le soulèvement populaire de 1936 contre le coup d’État a été réellement spectaculaire. Nous avons vu dans les collectivisations la défense de la rue et des droits qu’on savait qu’on allait perdre si le franquisme gagnait la guerre. Nous avons vu la construction du pouvoir (empoderamiento) de toutes les classes populaires en vue de défendre des droits ainsi qu’une république qu’on était en train de créer et qui avait de bonnes choses, comme par exemple, les dispositions permettant aux femmes de voter pour la première fois. Cela a été une expérience importante ; elle a fait émerger des alternatives que nous avons pris en compte au moment où nous nous sommes développés comme organisation et comme mouvement.

PM – La base libertaire est très enracinée dans notre projet. Même si nous nous déclarons socialistes, nombre de nos militants ont une origine assez libertaire, et de fait le mouvement libertaire influe pas mal dans notre projet politique. Nous sommes héritiers de la révolution ouvrière qui a eu lieu ici en Catalogne en 1936, et, plus tard, de la résistance dans la clandestinité. Au cours de ce qu’on appelle la transition de l’État espagnol, la gauche indépendantiste a commencé à ressurgir et à reprendre ces héritages, avec beaucoup de vicissitudes car dans les années soixante-dix et quatre-vingt comme dans les années quatre-vingt-dix nous avons continué de subir une forte répression de l’État espagnol, qui repose sur une base franquiste et de répression des peuples. C’est au cours de ce « resurgissement », et surtout à partir de l’an 2000 lorsque nous avons entrepris de construire le projet connu sous le nom de CUP, que nous avons récupéré une bonne partie de cet héritage du passé, tant celui de 1936 que celui de la transition.

AGM – Pourriez-vous définir votre socialisme comme un socialisme libertaire ?

SPS et PM – Non.

SPS – La gauche indépendantiste a son propre syndicat, qui est la Confédération Ouvrière Syndicale (COS), mais de nombreux militants de l’organisation sont dans d’autres syndicats comme la CGT et la CNT, qui sont les syndicats libertaires, anarchistes. Mais la CUP ne se définit pas comme socialiste libertaire.

AGM – Malgré l’héritage libertaire ?

SPS – C’est un héritage de la base et de la lutte ouvrière…

PM – De lutte ouvrière plutôt que de principes idéologiques. Nous ne parions pas pour la suppression de toutes les structures. En fait, dans la mesure où nous sommes un mouvement très horizontal, on y trouve aussi une très grande hétérogénéité idéologique. Nous nous situons dans le spectre du socialisme, mais il y a évidemment des opinions diverses à propos de ce que doit être le socialisme. Nous tentons d’établir des accords dans le cadre des Assemblées nationales que nous organisons chaque année, et dans lesquelles se définit la stratégie politique qui nous régit en tant que CUP.

AGM – Plusieurs pratiques que vous avez évoquées, comme celles de la démocratie directe, l’assembléisme, le municipalisme au sens de la démocratie horizontale, le coopérativisme, etc., étaient présentes dans la CNT, elles ont des racines anarchistes.

SPS – Nous partageons assurément avec le mouvement libertaire l’idée de la construction d’un pouvoir (empoderamiento) populaire, de donner tout le pouvoir aux gens, de faire en sorte que les gens qui se trouvent dans les administrations soient des représentants du peuple. La CNT a ses représentants comme nous avons les nôtres, ou comme nous tentons de les avoir. C’est très compliqué après tant d’années de démocratie représentative, d’être habitué à voter tous les quatre ans. Il est vrai que nos pratiques se ressemblent beaucoup, mais il y a aussi de notre côté quelque chose de très socialiste : nous venons du Chiapas, d’autres projets. C’est dans le cadre du Mouvement du 15-M[3] que nous nous sommes souvent retrouvés ; avant cette date nous partagions des espaces, mais nous étions assez éloignés les unes des autres. Dans le 15-M, qui a été cette révolution d’aller sur les places et de les occuper, nous nous sommes toutes retrouvées. Je crois qu’il marque un point d’infléchissement, dans lequel nous nous sommes retrouvées et avons commencé à travailler d’une autre manière, réunies par les différentes luttes des classes populaires. Par exemple, des gens qui étaient dans les mouvements libertaires ont commencé à participer à des Assemblées locales de la CUP, et des gens qui étaient dans les Assemblées locales de la CUP ont commencé à participer à d’autres luttes des mouvements sociaux ou à des rassemblements. Il s’est créé une série de synergies ainsi qu’un réseau qui est aujourd’hui beaucoup plus complexe, plus difficile à détruire par la répression politique. Dans ma région nous travaillons coude à coude avec la CNT, qui est le syndicat majoritaire de la région. Le 15-M a créé un point de rencontre entre les différentes luttes ; il a été un moment très important et je crois qu’il a laissé une certaine continuité, même si elle n’est pas très apparente.

AGM – La structure organisationnelle de base de la CUP est l’Assemblée locale, qui est autonome et se régit par des principes communs à toute la CUP.

PM – Dans les années quatre-vingt apparaissent des assemblées et des candidatures locales dans tous les Pays catalans. Elles étaient très isolées mais partageaient un ensemble d’idées suffisamment communes ; c’est ce que l’on appelle la gauche indépendantiste. Il arrive un moment où elles commencent à se coordonner, et cela devient l’embryon de la CUP, qui au départ se nomme AMEI (Assemblée Municipale de la Gauche Indépendantiste). La CUP naît comme une instance de coordination de ces assemblées et de ces candidatures locales, qui se répartissaient dans tous les Pays catalans. Au fil des ans cette coordination devient plus complexe et l’on commence à penser qu’il est nécessaire d’avoir un programme-cadre pour toutes les candidatures. Viennent ensuite des nouveaux statuts qui au fur et à mesure sont réformés, et l’organisation devient de plus en plus complexe jusqu’à nos jours où nous avons plus de 200 assemblées dans tous les pays catalans (170 Assemblées locales et des groupes de soutien qui sont des futures assemblées, et nous avons deux mille militants au total). C’est ainsi que surgit la structure de base de l’actuelle la CUP, qui a une base assembléiste municipaliste tout en étant une organisation politique à caractère national. Les Assemblées locales sont souveraines, nous n’avons pas de militants nationaux. Les militants militent dans leurs Assemblées locales, à travers lesquelles ils participent aux prises de décisions nationales de la CUP. Tout est basé sur cela.

SPS – Aucun militant ne peut militer dans la CUP nationale s’il ne participe pas à un projet municipaliste. C’est une bonne chose dans la mesure où nous affirmons ainsi que l’important dans notre organisation est le municipalisme. Bien sûr, parfois l’information entre les niveaux local et national peut ne pas circuler suffisamment bien. Nous avons parfois des difficultés pour transmettre aux Assemblées locales l’information que nous avons au niveau national, et pour faire en sorte qu’elles sachent comment accéder à l’équipe de personnes qui travaillent à l’échelle nationale pour l’organisation et pour les Assemblées locales. Nous avons obtenu qu’un réseau soit créé au sein des équipes de gouvernement, de manière à ce que les diverses Assemblées locales puissent s’entraider et mettre en place des projets communs, mais il est difficile de faire participer les Assemblées locales à des dynamiques de parlement. Cependant les choses que nos députées ont à dire au sein du parlement catalan supposent ce lien avec le local. Elles ne disent pas : « je vais voter ceci car je pense cela » ; leur discours et leur vote au parlement expriment ce que pense l’organisation. Nous avons ici quelque chose à améliorer de quelque manière.

AGM – Le problème de l’articulation du local avec le national revient donc à celui de l’articulation entre les Assemblées locales, territoriales et nationale. Celle-ci se réunit une fois par an et élit un Secrétariat national.

SPS – Maintenant cela a changé. Dans la mesure où nous devons prendre des décisions sur beaucoup de choses pendant l’année, nous avons un autre organe qui se réunit chaque mois et qui est le Conseil politique. Il est élu par les Assemblées territoriales. Chaque Assemblée territoriale envoie au Conseil un certain nombre de représentants, qui sont porteurs du vote pondéré de toutes les Assemblées locales.

AGM – Leur nombre est égal ?

SPS – Non, il dépend du territoire, du nombre d’Assemblées locales, du nombre de militants…

PM – Nous disposons de critères, de coefficients. Le point principal est la différence entre l’Assemblée nationale et le Conseil politique en tant qu’organe. L’Assemblée nationale est l’organe le plus souverain car tous les militants y sont représentés (un militant égale une voix) ; le Conseil politique est un organe où il y a plus de délégations et de collégialité ; c’est là où siègent les représentants des Assemblées locales.

AGM – Il y a aussi un Secrétariat national.

SPS – Oui, c’est l’exécutif politique des décisions politiques prises au Conseil politique et à l’Assemblée nationale. À présent il n’est plus élu lors de l’Assemblée nationale, comme on faisait avant, mais par un vote télématique. Autrefois on votait dans une urne lors de l’Assemblée, pour profiter de la présence des militants, et maintenant on le fait électroniquement. Les dates ne coïncident plus avec celles de l’Assemblée nationale. Le principe demeure le même : un militant égale une voix.

AGM – Ce vote a lieu chaque année ?

SPS – Tous les quatre ans. Mais habituellement les élus n’achèvent pas leur mandat de quatre ans, parce que la participation fonctionne sur la base du volontariat, le militant ne touche pas de salaire.

AGM – De combien de membres se compose-t-il ?

SPS – Ils sont quinze.

AGM – Provenant de tous les territoires ?

SPS – Ils ne peuvent pas tous être du même territoire, et il y a donc une pondération ; je crois qu’ils sont trois par territoire. Il y a une pondération par territoire et par genre. Dans tous les organes le 40 % des personnes qui y font partie doivent être des femmes. Le pourcentage des militantes femmes n’atteint pas le 30%, ce qui fait que nous avions des assemblées très masculinisées ; c’est pour cela que nous avons dû faire cela. En juin dernier nous avons fait la première assemblée nationale des femmes, afin de définir un peu en termes féministes les critères d’admission à l’organisation. Je crois que nous sommes l’une des rares organisations de Catalogne et dans l’État espagnol qui prend en charge la question des agressions machistes au sein de l’organisation, par nos militants. Nous avons une Commission nationale féministe qui se charge de traiter ces problèmes ; elle ne peut pas juger mais elle a la faculté d’expulser les agresseurs et d’aider les femmes ayant été agressées, de manière à ce qu’elles puissent rester dans l’organisation.

AGM – Les membres du Secrétariat national gardent-ils leurs activités habituelles au sein de leurs Assemblées locales ?

PM – Ce sont des militants de la CUP qui étaient dans leurs Assemblées locales et qui décident de contribuer volontairement au fonctionnement de l’organisation sur le plan exécutif, sans toucher un centime pendant ces quatre années.

AGM – Mais ils restent toujours dans leur Assemblée locale ?

SPS – Je suis membre du Secrétariat national, et je suis par ailleurs conseillère municipale dans mon village. Je faisais autrefois partie d’une administration supérieure qui est le Conseil de district —la Catalogne est divisée en districts (comarcas)— mais j’ai dû le laisser car je ne pouvais pas être membre en même temps du Conseil de district, conseillère municipale, venir ici je ne sais combien de jours par semaine, et travailler. La plupart des personnes qui font volontairement partie du Secrétariat national sont aussi des militants dans leur Assemblée locale, travaillent et viennent à Barcelone quelques jours par semaine.

AGM – Ces membres du Secrétariat national qui sont élus pour quatre ans, doivent-ils rendre des comptes régulièrement à la base qui les a élus ?

SPS – En principe nous devrions rédiger des rapports tous les six mois, racontant le travail que nous avons fait. Ce sont des rapports d’activités pour le Conseil politique, où tu dois rendre des comptes. Par ailleurs tu travailles aussi dans le cadre d’un domaine, et les actes de nos réunions au Secrétariat national sont publics pour les militants, elles sont mises sur un site et ils peuvent chaque semaine accéder au document et savoir ce que nous avons décidé, qui a fait telle ou telle contribution, etc. Ils disposent donc de toutes les informations concernant ce que nous faisons. Les membres du Secrétariat national prennent les décisions sur la base de ce qui a été décidé par les militants ; nous ne disposons pas d’un pouvoir de décision politique, notre fonction est exécutive.

AGM – Et si les militants de la base décident de révoquer une personne qu’ils ont élue au Secrétariat national ?

PM – Cela n’est jamais arrivé. Il existe des mécanismes, mais cela n’est jamais arrivé.

SPS – Jamais cela n’est arrivé. Nous avons une Commission des garanties qui est chargée de veiller à ce tout le monde fasse ce qui est conforme à l’organisation, et les militants pourraient faire convoquer la personne par la Commission des garanties.

AGM – Le Conseil politique est-il composé tant par des représentants des Assemblées territoriales que par des délégués du Secrétariat national ?

SPS – Le Conseil politique nomme un bureau (Mesa) qui assume une tâche de dynamisation et d’organisation du Conseil ; dans ce bureau siègent deux personnes faisant partie du Secrétariat national, mais elles ont des fonctions purement exécutives et ne disposent pas de voix ; elles recueillent les décisions du Conseil politique et les transmettent au Secrétariat.

PM – Les représentants des Assemblées territoriales qui vont au Conseil politique soulèvent toujours des questions de supervision, et c’est la raison pour laquelle sont toujours présents au bureau ces représentants du Secrétariat national. Ils peuvent ainsi recueillir toutes les plaintes et les suggestions. Nos militants sont très actifs. Parmi nous le concept de militant est très valorisé, en ce sens que les gens qui assument le projet sont très volontaristes et veillent toujours au bon fonctionnement des choses. Nombre de participants aux Assemblées locales suivent toujours de près chaque décision qui se prend, chaque vote qui est fait. Ce sont des militants très critiques, très exigeants.

SPS – Cette supervision est très bien, car cela t’aide à rester toujours alerte, à ne pas faire des bêtises. Le Conseil politique est le lieu où les Assemblées locales, les Assemblées territoriales, le groupe parlementaire et le Secrétariat national peuvent présenter des propositions en vue d’un débat ou d’un vote. C’est un lieu où il y a chaque mois un débat politique et où les décisions sont prises, et c’est ensuite le Secrétariat national qui les exécute.

AGM – Le nombre de délégués au Conseil politique varie-t-il ?

SPS –Une Assemblée territoriale a au plus six représentants, et au moins trois. Il y a différents éléments qui pondèrent le vote : le nombre de districts qu’a le territoire, le nombre d’Assemblées locales, et, jusqu’à récemment, le nombre de mairies. En ce moment nous sommes en train de modifier les statuts en vue d’une assemblée d’organisation qui se tiendra en février prochain.

AGM – Les membres du Conseil politique sont-ils également élus pour quatre ans ?

SPS – Ils sont élus chaque année, mais tu peux siéger au maximum quatre ans. Chaque Assemblée territoriale choisit son système : pour certaines les délégations sont par roulement, pour d’autres elles sont permanentes.

AGM – En ce qui concerne le groupe parlementaire, j’ai vu que les députés sont élus pour une période seulement : aucun député ne peut se représenter comme candidat.

SPS – La chose est similaire pour les mairies…

PM – Pour n’importe quelle charge ou poste à la CUP.

SPS – Les salariés (trabajadores) de la CUP peuvent seulement avoir un contrat pour quatre ans, et ne peuvent pas recommencer à travailler dans le cadre d’une autre fonction. Ils doivent attendre quatre années, et après ils peuvent de nouveau se présenter. Pour ce qui est des charges électives (conseiller municipal, etc.), on peut les assumer au maximum pendant deux mandats, ce qui équivaut à huit années, à l’exception des petits villages de moins de cinq mille habitantes, où l’on peut occuper la charge pendant douze ans.

PM – Il s’agit là d’exceptions qui figurent dans le code éthique, et elles doivent être approuvées. Nous avons un code éthique qui nous oblige à la limitation des charges afin de ne perpétuer personne dans aucune charge politique, et afin de ne pas transformer la participation politique en un modus vivendi, car nous entendons que la politique n’est pas une profession.

SPS – C’est là le plus important. La plupart des militants exerçant une charge élective ne touchent aucun salaire, car ils ont leur travail et aussi parce qu’ils consacrent leurs heures d’activité militante à la mairie ou à l’espace où ils se trouvent. L’argent qu’ils reçoivent va à Assemblée locale, c’est une source de financement des Assemblées locales, qui provient des institutions, et une partie du pourcentage va à la CUP nationale.

AGM – Le conseiller municipal reçoit-il un salaire ?

SPS – Cela dépend de la municipalité…

PM – Je parle de mon cas : nous touchons un salaire si nous sommes déchargés (liberados), c’est-à-dire si l’Assemblée locale o territoriale estime qu’elle a besoin d’un militant qui se libère à certaines heures afin de se consacrer à cent pour cent ou à cinquante pour cent à l’organisation; c’est le concept de « déchargé » (liberado) que l’on trouve dans n’importe quelle organisation de gauche. Dans notre cas de la CUP nous nous régissons par un code éthique de limitation temporelle, comme nous l’avons dit, mais aussi de limitation des salaires. Le salaire est donc limité par un coefficient et nous ne pouvons pas toucher plus que ce qui est stipulé, qui équivaut à 2,5 du salaire minimum interprofessionnel de l’État, soit quelque 1400 euros.

AGM – Ce sont-là les salaires des personnes qui travaillent pour la CUP.

SPS – De toutes les personnes qui travaillent pour la CUP.

PM – Ils peuvent le toucher directement auprès de la CUP, mais il se peut qu’il ou elle soit le ou la maire d’une municipalité…

SPS –….et qui aura sans doute un salaire supérieur, mais comme cette personne aura une limitation de salaire, cette partie du salaire ira à l’Assemblée locale.

PM – Une Assemblée locale peut décider par exemple qu’elle a besoin d’un « déchargé » pour tenir le bar de l’Ateneo[4], ou pour s’occuper de la communication, ou encore pour être l’assesseur politique d’une autre personne. Elle peut décider aussi que le conseiller municipal (regidor) assume lui-même le travail d’assesseur et qu’il consacre du temps à la mairie, et donc que cette personne doit être « déchargée ». Dans ce cas c’est bien le conseiller municipal qui perçoit un salaire, mais toujours dans le cadre du code éthique et donc de la limitation et de la durée et du salaire.

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Image bandeau : Susanna Sáez via El Mundo.

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Notes

[1] Ejército Zapatista de Liberación Nacional, organización política y militar promotora de la insurrección indígena y popular iniciada el 1° de enero de 1995 en el estado de Chiapas (México).

[2] Organización territorial y administrativa formada hacia 2003 en la región de Chiapas (México) por agrupaciones de municipios autónomos rebeldes Zapatistas.

[3] Mouvement 15-M: mouvement de protesta ciudadana que se desarrolla en España a raíz de una manifestación convocada el 15 de mayo de 2011 en la Plaza del Sol de Madrid. Conocido igualmente como “movimiento de los Indignés”.

[4] Sorte de centre culturel populaire.