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L’étrange victoire d’Extinction Rebellion
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/L-etrange-victoire-d-Extinction-Rebellion
Extinction Rebellion a mené une magnifique action... dans l’indifférence à peu près totale du gouvernement et des médias de l’oligarchie. C’est que ses revendications, trop vagues, ne sont guère menaçantes, et que sa séparation, pour l’instant, des autres luttes, affaiblit la portée de son énergie.
Le mouvement international Extinction Rebellion a remporté une victoire. De Londres à Berlin, de Paris à Sydney, des milliers de personnes ont occupé pendant une semaine des places centrales de ces capitales, dans une ambiance festive et pacifique, sans que les autorités répriment ces occupations menées au nom de la lutte contre le changement climatique et contre l’extinction de la biodiversité.
Ce succès n’est certes pas un événement isolé : il s’inscrit dans un mouvement climatique qui, depuis l’automne 2018 a pris une ampleur nouvelle, marquée par des marches réunissant de manière répétée des centaines de milliers de personnes à travers le monde (500.000 rien qu’à Montréal le 30 septembre dernier) ou des « grèves pour le climat » dont Greta Thunberg a été l’initiatrice étonnamment suivie.
Ainsi, on a pu, à Paris, occuper pendant vingt-quatre heures un centre commercial majeur sans en être délogé par la police, puis s’installer plusieurs jours et bloquer la place centrale de la capitale sans susciter de réaction d’un gouvernement pourtant accoutumé à la violence policière la plus cruelle.
Mais le mouvement n’a suscité, du moins en France, qu’un intérêt mesuré des médias et rien obtenu du gouvernement. Celui-ci ne s’est même pas senti obligé de communiquer à propos de ce mouvement de « désobéissance civile ». De son côté, la maire de Paris, Anne Hidalgo, non seulement n’a pas protesté contre ces « désobéissants » du Châtelet mais leur a apporté son soutien.
Le pouvoir a toléré l’occupation parce qu’elle ne le menaçait pas
Une première explication de cette étonnante indifférence est que l’occupation a été acceptée par le pouvoir parce qu’elle ne le menaçait pas. A la différence du mouvement Nuit debout, qui s’était heurté en 2016 à une pression constante de la police et, après un temps de sympathie, à une critique acerbe des médias de l’oligarchie, Extinction Rebellion est bercé d’une tolérance qui témoigne qu’il ne remet fondamentalement en cause aucun intérêt véritable.
Une deuxième hypothèse, qui n’est pas contradictoire avec la précédente, est que le gouvernement avait trop à faire avec les graves événements du moment – les assassinats à la préfecture de police, l’invasion du Kurdistan syrien par la Turquie, le rejet de Mme Goulard par le Parlement européen – pour se préoccuper de pacifiques écologistes qui avaient de surcroît prévenu que leur occupation cesserait spontanément à la fin de la semaine. Cela ne l’a pas empêché, loin des regards, d’expulser sans ménagement une occupation de longue date dans l’Aveyron, en lutte contre le développement sans limite de l’éolien industriel.
De surcroît, M. Macron n’allait pas refaire l’erreur de brutaliser sous les yeux des caméras des écologistes aussi peu menaçants. C’est que les élections approchent, et il importe, tant à Paris qu’au niveau national, de ne pas laisser à des Hidalgo ou autres verdâtres le monopole de la compréhension climatique.
Donc, Extinction Rebellion a remporté une victoire, mais qui semble ne servir à rien. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », écrivait Corneille. Et peut-être n’y avait-il non seulement pas de péril, mais pas d’adversaire. XR, donc, demande « la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre » et « l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes ». Fort bien, mais… à qui ? Aux industriels, au gouvernement, au capitalisme, aux pêcheurs, aux riches, aux consommateurs, aux bûcherons, aux automobilistes, aux fermes-usines, aux touristes qui prennent l’avion,… ? Qui est censé arrêter – sans même parler du comment ?
Les « revendications » s’adressent essentiellement au gouvernement, qui semble jouir d’une autonomie parfaite, comme s’il n’était pas le jouet d’intérêts multiples et de lobbies : ce ne serait que par mauvaise volonté, ou par ignorance, qu’il ne fait pas ce que lui demandent gentiment des centaines d’écologistes ayant apporté un petit bateau bleu sur un pont de la Seine.
Quant à la lutte pour le climat et pour la biodiversité menée par Extinction Rebellion, elle semble de même étrangère aux autres luttes, comme celle contre les violences policières ou contre les inégalités, qui sont pourtant au cœur du rapport brutal qui se joue dans la destruction du monde. C’est ce que lui ont rappelé « bien amicalement »plusieurs collectifs, Désobéissance Ecolo Paris et le Collectif Adama ou, en Angleterre, l’Environmental justice bloc. Il est vrai, cependant, que le mouvement lui-même a spontanément commencé à intégrer cette réalité, comme dans l’occupation du centre commercial Italie 2, samedi 5 octobre, beaucoup plus divers et radical que l’occupation qui a suivi la semaine suivante, ou à la fin de celle-ci, quand des Gilets jaunes sont venus rejoindre le mouvement en installant une cabane au centre de la place du Châtelet.
Extinction Rebellion – dans la foulée d’Alternatiba, d’ANV-COP21, des marches et grèves pour le climat – manifeste l’arrrivée d’une nouvelle génération de militantes et militants : elles et ils sont effrayés par la découverte qu’elles et ils font de la gravité de la crise écologique, et s’engagent avec détermination et courage. La capacité d’Extinction Rebellion à unir, à s’organiser, à trouver des formes joyeuses d’engagement dans la rue, doit être saluée et encouragée. Mais si ses membres ne veulent pas devenir les idiots utiles du capitalisme vert, ils doivent aussi découvrir l’âpre réalité du moment actuel : il y a conflit, et ni le gouvernement ni les intérêts économiques ne sont gentils. Ils ne changeront pas parce qu’ils seront convaincus, mais… parce qu’ils seront contraints et forcés.