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Les bolcheviks, l’Islam et les femmes d’Orient
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.autonomiedeclasse.org/antiracisme/les-bolsheviks-lislam-et-les-femmes-dorient/
Alors que l’offensive islamophobe, menée par Macron et l’extrême-droite, avec la complicité criminelle de forces de gauche se prétendant «révolutionnaires», atteint de nouveaux sommets, nous décidons de publier une traduction d’un article de Naïma Omar. Cette militante socialiste révolutionnaire britannique, portant le voile, part de l’expérience historique du parti bolchevik pour discuter de la relation des femmes musulmanes avec les révolutionnaires.
En grandissant, j’avais une vision socialiste de la société, mais je croyais qu’on ne pouvait être à la fois socialiste révolutionnaire et musulmane, ni militer pour l’émancipation des femmes en portant le hijab. Il s’agit d’une croyance assez répandue parmi les musulmanEs, qui supposent que pour être socialiste il faut être athée car tous les socialistes détestent la religion.
Cette croyance semble confirmée en jetant un coup d’œil sur la gauche en Europe et au-delà. Une grande partie a du mal à approcher la question de la religion et celle de l’islam en particulier, et certainEs se sont même alignéEs sur les positions de droite en soutenant l’interdiction du hijab et du voile au nom de l’émancipation des femmes.
Mais il existe une autre tradition à gauche, celle qui s’appuie sur les écrits de Karl Marx sur la religion et qui peut apprendre de la manière dont les bolcheviks ont approché les musulmanEs de l’empire russe durant la révolution de 1917.
Marx a saisi la nature profondément contradictoire de la religion. Dans la « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel », il écrivait que la « misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. »
Des croyantEs au parti bolchevik
La résistance peut donc émerger de la religion et s’exprimer par son travers, même si la religion elle-même est un produit de l’oppression et de l’aliénation. Les bolcheviks de 1917 le comprenaient; alors que le parti bolchevik était non-religieux, l’athéisme n’a jamais été une condition d’adhésion aux rangs du parti, car la religion était traitée comme une affaire privée.
Le dirigeant bolchevik Lénine était particulièrement clair en ce qui concerne la religion. Il traitait celles et ceux à gauche qui, comme les “athées militants” d’aujourd’hui, voulaient offenser les croyances religieuses des gens, de “matérialistes enfantins”. Il encouragea le recrutement de croyantEs au parti, les appelant “des recrues révolutionnaires qui frappent à notre porte”, et qui étaient centrales pour la croissance du parti et de la révolution.
Au moment de la révolution, l’empire russe comptait seize millions de musulmanEs, à peu près 10 pour cent de la population. La population musulmane des provinces Est de l’empire fut radicalisée par la crise du régime tsariste qui lui avait fait subir une oppression terrifiante. Elle mis la liberté religieuse et les droits nationaux au coeur de ses revendications.
La priorité de la liberté religieuse et des droits culturels
La réponse à ces revendications fut une priorité de Lénine et des bolcheviks lorsqu’ils arrivèrent au pouvoir avec la révolution d’octobre 1917.
Vendredi, jour sacré pour les musulmanEs, fut officiellement proclamé jour de repos à travers l’Asie centrale; des monuments, livres et reliques islamiques sacrée qui avaient été dérobés par les Tsars furent retournés aux mosquées. En 1921, une cour de justice islamique parallèle fut établie suivant la loi de la charia, offrant aux gens le choix entre la justice religieuse et la justice révolutionnaire. Les punitions corporelles comme la lapidation et les amputations furent néanmoins interdites.
L’an 1922 vit l’introduction d’un système d’éducation islamique et certaines propriétés qui avaient été nationalisées furent rendues pour un usage éducatif. Des centaines de madrassahs (écoles coraniques) furent fondées.
Ces droits ne furent pas simplement donnés par en-haut; ils firent l’objet de luttes et furent gagnés par les musulmanEs qui se battirent côte à côte avec les bolchéviques durant la révolution.
Les efforts des bolcheviks portèrent leurs fruits et la majorité des dirigeants musulmans offrirent leur soutien au nouveau régime soviétique, et la population musulmane se montre déterminée à se battre et mourir pour le régime durant la guerre civile. En 1919 on comptait près de 250000 soldats musulmans mobilisés dans l’armée rouge sous des officiers musulmans, et des dizaines de milliers formèrent les “escadrons de la charia”. L’armée rouge garantit le droit à l’auto-détermination des peuples indigènes des anciennes colonies tsaristes qui formèrent les nouvelles républiques autonomes.
En septembre 1920 une conférence importante eut lieu à Bakou, en Azerbaidjan: le premier congrès des peuples d’Orient. Un jeune musulman azerbaïdjanais qui servit en tant que sentinelle se souvint qu’il plaçait son fusil de côté au moment de l’appel à la prière avant de retourner “défendre le congrès et la révolution”.
Délégué·e·s du congrès de Bakou en 1920
Au cœur du congrès fut un appel à la “guerre sainte” contre l’impérialisme, ce qui signifiait “la libération de l’humanité entière du joug et de l’esclavage capitaliste et impérialiste, la fin de toutes les formes d’oppression d’un peuple par un autre et de toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme”.
Mais la guerre civile nécessaire pour la défense de la révolution fit payer un lourd tribu au régime. Dès 1922, le régime soviétique parvenait à peine à répondre aux besoins de base de la population. Inévitablement, cela posa des limites pratiques à la capacité des soviets à assurer la liberté religieuse et les droits nationaux des musulmanEs. Les subventions accordées à l’Asie centrale furent coupées, et la fermeture des écoles étatiques obligea les madrassahs à trouver du financement local. Deux ans plus tard, tous les financements étatiques des tribunaux islamiques furent également coupés.
Misère et nécessité
Ces changements venaient d’une contrainte plutôt que d’un changement de politique. Par contre, la montée du stalinisme à partir de la moitié des années 1920 déclencha une guerre ouverte contre la religion et l’islam en particulier. Lénine et Trotsky avaient compris que les libertés religieuses étaient un moyen de faire amende honorable des crimes du tsarisme, mais aussi de faire émerger les divisions de classe au sein même des communautés musulmanes; c’était un préalable nécessaire à la naissance d’une véritable unité de la classe ouvrière. Quant à Staline, il ne fit aucune distinction entre oppresseur et oppriméEs d’une même religion.
Durant et après la révolution russe, les musulmanes avaient fait de grands progrès à la fois vers l’émancipation des femmes et les libertés religieuses. Le premier congrès pan-russe des femmes musulmanes eut lieu à Kazan le 23 avril 1917, et comptait 53 déléguées élues par leurs organisations locales et une audience de 300 femmes. Le congrès vota des résolutions demandant l’égalité des droits politiques entre femmes et hommes, le droit au divorce et l’abolition des mariages des enfants entre autres revendications.
Alexandra Kollontaï et des déléguées au congrès des peuples d’Orient à Bakou en 1920
Les dix résolutions passées au congrès des femmes musulmanes furent débattues durant le congrès des musulmanEs pan-russes en mai 1917, qui consacra un jour entier aux droits des femmes. La polygamie fut placée au centre des débats. CertainEs déléguéEs adoptèrent une position réformiste alors que le congrès des femmes avait pris la décision historique d’une abolition pure et simple de la polygamie.
Les discussions qui eurent lieu au congrès des musulmanEs pan-russes ont mis en valeur l’effet de la révolution sur les femmes; durant les débats sur la polygamie, le délégué Ismail Imanov conclut son intervention en disant qu’on devait accorder aux femmes tous les droits qu’elles réclamaient, car dans le cas contraire elles s’en saisiraient elles-mêmes. Les musulmanEs avaient désormais une voix plus haute que sous les Tsars.
Il est intéressant de constater que cette nouvelle voix évoqua à peine le hijab et le voile. Le congrès des peuples d’Orient représenta la première instance de libération des femmes des restrictions auxquelles elles étaient typiquement soumises dans les sociétés islamiques de l’époque. Mais les déléguées à la conférence ont déclaré que “la question du chador [voile long qui couvre le corps entier], nous pouvons l’affirmer, vient en dernière priorité.”
Après la révolution d’octobre, le Zhenotdel (l’organisation bolchévique des droits des femmes) dirigée par Inessa Armand et plus tard par Alexandra Kollontai, organisa des volontaires, souvent voilées, pour aller travailler avec les femmes dans les populations musulmanes. Elles mirent en place des programmes éducatif et échangèrent avec les femmes locales sur leurs besoins. Certaines ont payé de leur vie leurs efforts pour combattre le sexisme dans des communautés musulmanes reculées.
L’offensive stalinienne contre l’islam sous couvert d’émancipation de la femme
L’offensive de Staline contre l’islam se dissimula sous la bannière de l’émancipation de la femme, en opposition direct au travail effectué par les bolchéviques dès les premiers jours de la révolution. Il lança une campagne appelée Khudzhum le 8 mars 1927, lors de la journée international des femmes. Khudzum signifie offensive ou assaut. La campagne força les femmes musulmanes à enlever leur voile en public.
Les attaques staliniennes n’ont pas libéré les femmes musulmanes mais ont eu l’effet inverse; des milliers d’enfants musulmans, et surtout des filles, furent retirées des écoles soviétiques et quittèrent la ligue des jeunes communistes. En l’absence d’emploi ou d’opportunités, de nombreuses filles ne purent refuser des mariages arrangés ou polygames.
Loin de libérer les femmes, Staline les repoussa vers le foyer familial. Cela correspondait à sa résurrection générale des valeurs familiales traditionnelles à travers la Russie, ou les femmes furent de nouveau encouragées à prioriser leur rôle de mères. Staline rompit ainsi avec la tradition bolchévique et gâcha des acquis importants de la révolution.
Aujourd’hui, les attaques contre les femmes musulmanes en particulier, se cachent encore derrière la bannière de la libération de la femme, que ce soit les inspecteurs des écoles britanniques qui questionnent les jeunes filles sur leur voile, ou des policiers français armés qui forcent les musulmanes à se déshabiller sur la plage.
Malheureusement, certainEs à gauche soutiennent encore ces attaques. Une coalition féministe majeure en France, la CNDF, a essayé d’empêcher des femmes musulmanes voilées de participer aux manifestations de la journée internationale de la femme, s’alliant de fait avec l’État impérialiste français contre ses citoyennes les plus opprimées.
ToutE socialiste digne de ce nom doit se tenir en solidarité avec les oppriméEs lorsqu’ils et elles sont attaquéEs et se battent pour leurs droits. Nous devons tenir bon sur nos principes politiques et comprendre que la question de classe façonne l’oppression et est la clé pour la combattre.
Mère accompagnatrice agressée au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté par un élu et militant fasciste du Rassemblement National
Telle est la tradition bolchévique. Trotsky avait dit que pour changer le monde dans lequel on vit, il faut le voir à travers les yeux des femmes et donc, à travers les yeux des femmes musulmanes nous changerons le monde dans lequel nous vivons.
Naima Omar, traduit par JB
Article paru initialement en anglais dans le magazine Socialist Review n°433, mars 2018.