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Lendemain du 17 novembre 2019 à Athènes : un goût de sang dans la bouche
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://blogyy.net/2019/11/18/lendemain-du-17-novembre-2019-a-athenes-un-gout-de-sang-dans-la-bouche/
Très dure nuit pour qui aime Exarcheia et la lutte révolutionnaire en Grèce.
LENDEMAIN DU 17 NOVEMBRE 2019 À ATHÈNES : UN GOÛT DE SANG DANS LA BOUCHE
Beaucoup de nos compagnons ont passé la nuit entre quatre murs, après des passages à tabac systématiques. D’autres ont été blessés, dont trois à la tête transférés en ambulance à l’hôpital. D’autres encore ont dû se terrer durant une bonne partie de la soirée, voire toute la nuit, pour ne pas se faire rafler et tabasser par des policiers qui semblaient très excités, comme en plein jeu vidéo de guerre dans tout le quartier.
Au total, plus de 5000 policiers, un hélicoptère et des drones transmettant en permanence la position des insurgés résistant depuis les toits. Des policiers anti-terroristes, des policiers anti-émeutes, des policiers en civil, des voltigeurs, des blindés munis de canons à eaux… L’armada en uniforme qui a convergé vers Exarcheia, pendant les deux manifs successives(1), était beaucoup trop nombreuse et suréquipée pour les irréductibles du quartier rebelle et solidaire.
Exarcheia n’a pas tenu longtemps. Déjà en partie occupée depuis des semaines, elle a rapidement basculé sous le contrôle de la soldatesque prétendument gardienne de la paix. Rares sont les lieux en son sein qui sont encore à l’abri. Ce matin, alors que le soleil n’est pas encore revenu, Notara 26 est encore debout, de même que le K*Vox ou encore la structure autogérée de santé d’Exarcheia (ADYE). Mais ces lieux et quelques autres font figures de derniers bastions dans un quartier hors norme minutieusement dévasté par l’État grec au fil des semaines, dans le but de faire disparaître l’une des sources d’inspiration du mouvement social dans le monde entier.
Aujourd’hui encore, le sang a coulé, y compris celui d’une jeune femme frappée à la tête au point de peindre sur le sol le vrai visage du régime. Non seulement la junte ne s’est pas terminée en 1973, mais le nouveau gouvernement, avec ses ministres dont certains sont issus de l’extrême-droite et sa politique toujours plus autoritaire, se rapproche pas à pas de l’exemple du Colonel Papadopoulos et de sa clique.
Avec les nouveaux moyens technologiques achetés notamment à la France, le pouvoir surveille, traque, piste, inquiète, menace, frappe et arrête comme bon lui chante. Oui, la manifestation en souvenir de l’insurrection de 1973 a eu lieu, nombreuse même, mais encadrée par une quantité impressionnante de flics et de cars de MAT bloquant toutes les issues.
Dans les rues d’Exarcheia, des dizaines de compagnons ont été contraints de s’asseoir par terre ou de se mettre à genoux, mains derrière la tête, sous les coups, les quolibets et les humiliations. Ici, une femme est trainée par les cheveux. Là, un homme est frappé aux testicules. Et puis des flaques de sang, ça et là, aux coins de la place centrale du quartier meurtri.
Dans les médias, c’est le concert de louanges sur toutes les chaînes : Mitsotakis aurait enfin rétabli « l’ordre et la démocratie » partout en Grèce, y compris dans « Exarchistan », la zone de non-droit où sévissent encore quelques centaines de Mohicans. Les breaking news passent sans transition de la victoire du Grec Tsitsipras au Masters de tennis à l’occupation policière d’Exarcheia, complètement paralysée après une trop brève résistance. Mitsotakis salue la victoire de son compatriote tennisman et promet d’en finir avec les derniers squats très bientôt. Selon lui, sa mission dans ce domaine sera bientôt finie.
Il souhaite aussi venger la visite de Rouvikonas, ce dimanche matin, au domicile du ministre de l’économie : Adonis Georgiadis, un ancien du parti d’extrême-droite LAOS. Particulièrement raciste, Georgiadis a notamment déclaré vouloir « rendre la vie encore plus dure aux migrants » pour les dissuader de venir en Grèce. Par cette action volontairement organisée juste avant la manif du 17 novembre, Rouvikonas a voulu montrer, une fois de plus, que, si nous sommes vulnérables, ceux qui nous gouvernent le sont aussi : « Nous connaissons vos adresses personnelles, nous savons où vous trouver ! » a menacé le groupe anarchiste dans son communiqué. La levée de boucliers de toute la classe politique a été immédiate. Par exemple, le PASOK et l’Union du centre se sont dit choqués que des activistes se permettent d’aller perturber la vie privée des dirigeants politiques, quels que soient les désaccords. « Cela nous conforte dans notre volonté de classer Rouvikonas parmi les organisations terroristes » a déclaré un ministre à la télé. Rouvikonas est la prochaine cible prévue, « sitôt que le cas d’Exarcheia sera totalement réglé ».
La loi se durcit contre toutes les formes de résistance. Par exemple, l’usage d’un cocktail Molotov coûte désormais jusqu’à 10 ans de prison, et non plus 5 comme auparavant. Nasser les manifestants est beaucoup plus facile qu’autrefois grâce à la « neutralisation des sentinelles sur les toits », c’est-à-dire des groupes qui, jusqu’ici, observaient et envoyaient un déluge de feu depuis les hauteurs du quartier sitôt que les rues étaient perdues, notamment autour de la place centrale d’Exarcheia. Les positions de la police dans le quartier continuent de progresser. Des employés de la mairie d’Athènes sont envoyés sous escorte policière pour nettoyer les tags sur les murs. Chose qui rappelle « Murs blancs, peuple muet »: l’un des slogans contre la dictature des Colonels. Idem à l’autre bout de l’Europe en mai 1968.
Dans la nuit tiède athénienne, des voix s’interrogent sur la suite, des listes de discussions se raniment, des messages circulent pour exprimer la colère, la révolte et la solidarité, mais aussi des idées, des suggestions, des désirs. Devant le squat de réfugiés Notara 26, la plus grande banderole annonce obstinément : « Vous ne parviendrez pas à évacuer tout un mouvement ! »
Cette nuit, Exarcheia la rebelle a un goût de sang dans la bouche, immobile et silencieuse dans l’obscurité, mais elle est encore vivante.
Yannis Youlountas
Photos : Marios Lolos, Alexandros Katsis, Maria Louka, Radiofragmata, Mimi A Feline, Mimis Oust, Nikolas Georgiou, Alex Aristopoulos…
(1) Comme vous pouvez le voir sur les photos, il y a eu une manif à la mi-journée, puis une autre à la nuit tombée (comme c’est souvent l’usage à Athènes).
À noter : vous trouverez, bien sûr, des séquences vidéos et d’autres explications sur tout cela dans notre prochain film documentaire « Nous n’avons pas peur des ruines ! »
Additif à l’aube : Rouvikonas vient de mener à l’instant deux nouvelles attaques simultanées, à la fois contre Volterra Α.Ε. et contre Elpedison Α.Ε., deux firmes qui sont en train de s’offrir le gaz et l’électricité en Grèce, dans le cadre d’un nouveau plan de privatisation du bien commun qui va très au-delà des étapes précédentes.
Deuxième additif à midi : durant l’invasion policière du centre du quartier, hier soir, par des centaines d’hommes casqués extrêmement violents, un habitant inconnu a ouvert la porte-fenêtre de son balcon à l’étage et a longuement diffusé de la musique d’opéra le plus fort possible. Un moment surréaliste. Une tragédie sur un air de tragédie, dans le sang et les bleus, alors que les coups pleuvaient et que les chasses à l’homme se multipliaient. Les mesures de l’orchestre étaient ponctués des bips et des messages de la hiérarchie dans les talkies-walkies des policiers anti-émeutes. Les chants des sopranos et des barytons se mélangeaient aux cris des victimes effrayées et frappées au sol dans les rues d’Exarcheia. Le spectacle de la terreur.