Déclaration des Gilets Jaunes de Nîmes et du Gard
Liberté pour Roland Veuillet et tous les Gilets Jaunes
Un parmi d’autres Roland Veuillet est un militant. Les racines de ses convictions plongent dans le passé, son père s’étant engagé dans la Résistance à 16 ans. Elles plongent dans sa condition ouvrière de métallo à La Ciotat. Elles plongent dans ses études pour devenir Conseiller Principal d’Education, ses lectures et le débat, les luttes qu’il mène. Roland y engage sa personne entièrement. Sexagénaire, il vit à Nîmes, petite ville ordinaire du Midi où s’assoupit le combat et où s’achève peu à peu au soleil la mutation de la classe ouvrière et paysanne. Où s’accumule la précarité de tous les ballottés et migrants venus de France, d’Europe et du Monde. Où s’étale le gâchis dominateur et uniforme de la civilisation capitaliste marchande mondiale, maintenant cybernétiquement augmenté.
Quand en Novembre 2018 débute le mouvement des Gilets Jaunes il n’est pas long à voir qu’il s’agit de la révolte des oubliés et des brisés, de ceux qui se savent spoliés par un ordre sans alternatives, de ceux qui voient leur Etat mis à la ruine et au pillage, de ceux qui veulent un monde meilleur, la douceur et pas le Meilleur des Mondes de brutes. Sans jamais cacher ses appartenances de militant syndical et politique il s’engage à titre individuel sans hésitations. Un parmi d’autres, calme et ouvert, sa présence régulière, son engagement concret, la constance de ses convictions et de ses avis lui acquièrent le respect et l’amitié. Il se prononce pour la fermeté et la résistance collective, jamais pour la violence. Les Gilets Jaunes, rarement unanimes et souvent opposés, sont soudés par le sentiment de révolte et le rejet en général du Macronisme. Pour ceux de Nîmes, Roland est des leurs, tous en témoignent à leur manière.
Expression d’un sentiment généralisé, révolté et visant au blocage pour se faire entendre, le mouvement des Gilets Jaunes, se défiant de toutes institutions, a menacé volontairement l’ordre économique. Ici il a entravé la circulation, libéré les péages, bloqué des usines et des centres de distribution, envahi la rue. Il a naturellement été réprimé, violemment, par l’ordre de la république du président Macron. Instruits par raisonnement et intuition tout autant que matériellement de la domination économique les Gilets Jaunes ont subis comme une guerre sa répression policière et légale. Tous à leur manière l’ont affrontée avec courage sinon en toute lucidité et connaissance de cause. L’histoire de Roland et de ce qu’il subit est l’histoire de ce que beaucoup d’autres ont subit. Cependant Roland n’est pas un gilet jaune ordinaire ou exemplaire, il ne faut la raconter ici que par ce qu’elle dit pour tous.
Contrôles d’identité, menaces verbales, gardes à vue, fouilles au corps, interrogatoires, comparutions sont des humiliations difficiles à vivre pour des gens « ordinaires » et plutôt portés au respect de l’ordre. Les gaz et les grenades, les blindés, les balles de défenses, les légions noires des bataillons policiers chargés d’armes et d’armures sont de claires et brutales menaces dangereusement physiques, mutilantes. Force à la Loi oui, mais à quelles lois demandent les Gilets Jaunes ? Le mépris et la caricature leur ont répondu par-dessus un mur brutal aveugle et sourd, exaltant le sentiment d’injustice.
Dans cette bataille Roland, cohérent avec ses convictions, s’est exposé et a été cible et il y en a des raisons personnelles et politiques. Jamais violent mais pas soumis, il a plus souvent qu’à son tour été en garde à vue.
- 14 Décembre 2018, les lycéens bloquent les établissements et sont violemment réprimés, gazés, tirés au LBD, mis à genoux. Un matin, Roland et un camarade exerçant leur mandat syndical sont postés en observateur à côté du lycée A. Camus, pour tenter d’éviter les dérapages, par les deux parties. La Police vient les voir et pour soit disant discuter, leur demande de venir un peu à l’écart. Un fourgon arrive, Roland et son camarade sont violemment poussés dedans, mis en garde à vue pour « incitation de mineur aux troubles publics », un crime. Sans suite mais menace très claire. Roland porte plainte pour arrestation arbitraire et entrave au droit syndical.
-Le 12 Janvier 2019 lors d’une manifestation surveillée en permanence par hélicoptère, il a été cible d’un tir de LBD à la jambe lui laissant un bel hématome. Isolé et spectateur loin des incidents devant le musée de la Romanité il a alors été visé par des policiers postés en snipers sur les arènes. Il dépose plainte.
-Lors d’une énième évacuation musclée du rond point de Km Delta et alors qu’ après les sommations il se retire avec les autres, marchant « trop » lentement semble t-il, il est saisi dans le dos par des policiers, jeté brutalement à terre, mis en garde à vue. Refus d’obtempérer ! Il est aussi accusé « d’entrave à la circulation » or que ce jour les Gilets Jaunes n’ont pas coupé la circulation et qu’au moment des sommations et de l’arrestation ce soit la Police elle-même qui bloque réellement le carrefour.
-Une autre fois alors que la manifestation n’a même pas pu commencer, dispersée immédiatement par lacrymogènes et charge policière, il a encore été saisi, jeté à terre, un pied sur la tête pour l’immobiliser selon des témoignages entendus. Participation à une manifestation interdite ! A cette époque et bien que seule la manifestation de Janvier ait tournée au désordre elles le sont toutes et la Préfecture étend à son gré le périmètre d’interdiction, parfois au Gard en entier, déniant même aux Gilets Jaunes les plus calmes le droit à manifester.
-Suite à quelques unes de ses gardes à vue, lui seul peut les compter avec certitude, il a été cité à comparaître deux fois et deux fois les jugements ont été reportés pour erreurs de procédures ou de juridiction. Il a protesté, il y a eu des incidents. Il est une première fois expulsé violemment par une dizaine de policiers et mis en détention avant d’être libéré. La deuxième fois il se couche dans la salle, à la manière d’un activiste pacifiste pour protester contre un nouveau déni de justice qui l’empêche de présenter sa défense. « Rébellion » ! La troisième fois il sera incarcéré.
Roland n’hésite pas à rappeler aux policiers la nature politique de la contestation sociale donc le droit à manifestation. Il leur rappelle aussi leurs obligations légales quand il se doit. Provocation ou devoir citoyen pour rappeler à la Police qu’il reste un cadre légal à son intervention ?
C’est ce qu’il a fait devant les grilles de la Préfecture de Nîmes gardées en fin de manifestation par quelques policiers en tenues d’intervention. En fonction de maintien de l’ordre on n’est pas censé provoquer le chaos. Que ce soit « barre toi connard » ou « casse toi pauv’ con » peu importe, inquiétant par son comportement, nerveux et agité, il apparaît que l’homme assermenté qui aurait à ce moment proféré une injure contre Roland est coutumier du fait. Roland signale à l’officier commandant, rajoute que l’agent ne porte pas son matricule. « Acte d’intimidation ».
Roland porte plainte. Le policier mis en cause portera plainte à son tour et cette plainte justifiera le déclenchement d’une enquête, fin novembre 2019.
Elle commence à 6 h du matin par une intervention musclée de 6 agents de la BAC (Brigade Anti Criminalité) à son domicile dont il est absent ce matin là. La porte est défoncée, le chambranle arraché ainsi qu’une large partie du mur sur lequel il était fixé. Deux voisins sont réveillés brutalement pour être témoins de la perquisition. Les lieux sont mis en désordre puis les restes de la porte sont condamnés. Pour signifier une convocation au commissariat!
Empêché de rentrer dans son domicile, quelques jours plus tard pour sa déclaration d’assurance et pour faire prendre en charge de lourds travaux Roland se rend au Tribunal car il doit porter plainte. On lui conseille le commissariat ! Il ira déposer à la gendarmerie de Bernis, village voisin de Nîmes. A la sortie, au pas de la porte, 6 agents de la BAC, l’arrêtent sous motif de « flagrant délit ». Il est conduit sirènes hurlantes en convoi express au commissariat de Nîmes, mis en garde à vue et relâché quelques heures plus tard pour vice de procédure : pas de mandat lors de l’arrestation.
Il est alors libéré de sa cellule et conduit à la sortie du commissariat par un long couloir vide, accompagné d’un policier main sur l’arme et faisant des menaces verbales, apparemment ivre et titubant, ce dont attestent les 15 à 20 personnes venues en soutien qui l’ont vu arriver avec Roland à sa sortie. Il signale les faits, « dénonciation calomnieuse et outrage ».
Quelques temps plus tard, à l’issue de la calme manifestation syndicale du 10 Décembre Roland est de nouveau arrêté dans la rue et toujours par la BAC en rentrant avec une amie là où il est hébergé. Mis en garde à vue pour 24 h, la garde à vue prolongée pour qu’il soit au matin suivant du 12 Décembre conduit au Tribunal sous menace d’une comparution immédiate qu’il aura droit de refuser. Il devra comparaître pour l’ensemble des faits qui lui sont reprochés « acte d’intimidation, participation à un attroupement après sommation de se disperser, entrave à la circulation des véhicules, rébellion, dénonciation calomnieuse et outrage ; le tout pour une période
Cette longue liste fait à dessein passer Roland pour un délinquant irresponsable. Les accusations portées sont pour l’essentiel établies sur des faits tronqués, outrageusement qualifiés. Les témoins à divers titres des actes de Roland l’attesteront sans ambiguïtés si on les sollicite. Assorties de procédures viciées répétées elles relèvent de l’acharnement. La Police a décidé de « se payer » Roland et la Justice est contrainte à suivre avec toute sa pesanteur si ce n’est avec son assentiment, il n’y a là à ce jour aucune digne preuve d’indépendance.
Cette pratique de désinformation est systématiquement utilisée jusqu’à la nausée par le gouvernement et la plupart des médias contre le mouvement. Ajoutée à une violence policière disproportionnée qui inquiète jusqu’aux institutions européennes la menace de l’arbitraire et le coût de la Justice font planer une menace permanente sur les Gilets Jaunes entrés en résistance.
Comment douter qu’au moment où le mouvement syndical se rajoute au combat des Gilets Jaunes qui continue, que le combat de Roland ne soit politique, que l’acharnement s’accélère au moment où les premières tentatives de coordination commencent et répondent à une demande réciproque, malgré les méfiances. Le pouvoir cherche à étouffer toute contestation de son Projet dont la dite réforme des retraites n’est qu’un des volets. Il vise très particulièrement, jusqu’à la persécution, un militant syndical tout autant qu’un Gilet Jaune. Si c’est de bonne guerre, alors c’est la guerre. Contre le mouvement social.
Roland a toujours voulu se défendre lui-même à sa façon, sans avocats. Tout comme la violence il récuse l’instrumentalisation de la Justice par la Police qui punit lourdement des personnes souvent en situation précaires, intermittents du chômage et jeunes abonnés aux minima sociaux, mères célibataires isolées, retraités pauvres, ouvriers et employés qui malgré le travail peinent à boucler les fins de mois avant de penser à la fin du Monde.
Dans un contexte de répression exacerbée de quelles armes dispose t-il sinon de son courage, de sa conviction et de sa bonne foi qu’un réflexe irréfléchi de la corporation policière lui dénie? On lui reproche d’être un activiste théâtral. Les Gilets Jaunes demandent qui fait du théâtre activement quand sont défoncées portes et murs, qui fait du théâtre en noyant sous les gaz un marché de Noël à Montpellier, qui fait du théâtre en condamnant 80 cyclistes en jaune à 860 € d’amende pour avoir fait le tour de l’ Ecusson ?
Ce sont là récents exemples parmi une liste trop longue et très diverses, comprenant infiltrations et manipulations. Quelle est la légitimité d’un pouvoir qui utilise la terreur contre une population qui, faute de dialogue possible, exprime par la grève, la manifestation et les blocages le refus d’un Projet qu’elle récuse?
Roland est désormais incarcéré en préventive, en attente d’une nouvelle comparution, le 9 Janvier 2020. Des avocats de la LDH ont relevés les erreurs de procédures, déposés des recours, ont demandé à le visiter à la maison d’arrêt de Nîmes. A cette heure, sans qu’on nous ait communiqué son numéro d’écrou et alors que ses dernières paroles laissent penser qu’il va entamer une grève de la faim et de la soif nous n’avons pu communiquer avec lui, comme s’il était au secret.
Nos inquiétudes pour Roland sont réelles et justifiées, on cherche à briser un homme . Par delà son cas et devant une répression insensée, dérive totalitaire d’une démocratie mise en échec par un modèle économique qui mène à la crise et l’effondrement, les inquiétudes des Gilets Jaunes doivent être partagées par tous ceux qui par delà leurs convictions politiques et leurs appartenances sociales restent attachés aux droits de la personne et du citoyen. Qui ne dit mot consent.
Pour les Gilets Jaunes de Nîmes et du Gard, 16 Décembre 2019
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