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« Les paysans ne sont pas les gagnants de la réforme »
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
ALe système des exploitants agricoles compte 1,3 million de pensionnés pour 450 000 actifs, soit un cotisant pour trois retraités. Stéphane Leitenberger/REA
L’Humanité, 19 décembre 2019
De l’avis du gouvernement, les mesures proposées représentent « un vrai progrès social » pour les agriculteurs. Une affirmation qui ne fait pas l’unanimité dans la profession.
Les agriculteurs, grands gagnants de la réforme des retraites ? Telle est la petite musique répétée par le gouvernement ces derniers temps. Le premier ministre a ainsi « garanti » aux « oubliés du système » que sont les agriculteurs une « pension minimale de 1 000 euros net par mois pour une carrière complète au Smic » dès 2022, puis de 85 % du Smic en 2025. Selon le rapport établi en juillet par le haut- commissaire aux retraites d’alors, Jean-Paul Delevoye, « 40 % d’entre eux verront leur pension sensiblement s’améliorer et leurs prélèvements légèrement diminuer ». Une vraie « révolution sociale », s’est même félicité Édouard Philippe. Vraiment ?
Pas sûr que les principaux intéressés partagent cet enthousiasme. Seule la FNSEA, syndicat majoritaire et fervent soutien du gouvernement, juge cette réforme « ambitieuse ». « Nous étions demandeurs d’une réforme systémique depuis 2013. (…) L’essentiel, c’est d’avoir une amélioration de la retraite, on n’a rien sans rien », estime ainsi Robert Verger, chargé de la question des retraites au sein de la FNSEA.
La nécessité d’une revalorisation des retraites
Seul regret pour le syndicat : que la réforme « oublie les retraités » actuels, au nombre de 1,3 million. Compte tenu de la faiblesse des revenus des paysans, le niveau moyen de pension est extrêmement bas, souvent même inférieur au seuil de pauvreté. Tous les syndicats agricoles s’accordent d’ailleurs sur ce constat et la nécessité de les revaloriser sans attendre. Les annonces du premier ministre « n’apportent pas de réponses à nos revendications pour une revalorisation immédiate des pensions les plus basses, qui sont de 930 euros pour les hommes et 670 euros pour les femmes, et encore pire en outre-mer, avec 350 euros en moyenne », regrette Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne.
En 2003, la loi Fillon sur les retraites prévoyait déjà une pension à 1 000 euros minimum… Une mesure jamais appliquée par les gouvernements successifs. « L’absence de mesures sur ce sujet est d’autant plus incompréhensible que, l’année dernière, la proposition de loi du député PCF André Chassaigne, destinée à revaloriser les retraites agricoles, avait été bloquée par le gouvernement justement sous prétexte d’intégrer cette question à la réforme des retraites », précise Nicolas Girod.
Les 1 000 euros, une escroquerie intellectuelle
Au-delà de cet état des lieux, l’instauration d’une retraite plancher à 1 000 euros cristallise aussi en elle-même les divergences syndicales. Même si cela peut paraître, à première vue, une avancée. Car, pour en bénéficier, il faudra avoir payé une cotisation calculée sur la base d’un revenu annuel d’un peu plus de 6 000 euros pour une carrière complète « alors qu’aujourd’hui, les agriculteurs ne gagnent pas leur vie », rappelle Pierre Thomas, président du Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), qui parle de « poudre aux yeux ». « Le monde paysan n’en a pas les moyens », confirme Nicolas Girod, rappelant au passage que « la loi Egalim n’a pas réussi à imposer un meilleur partage de la valeur ajoutée ». « Le rapport Delevoye convient lui-même que 40 % au moins des agriculteurs ont de très faibles revenus. Cette situation explique d’ailleurs la détresse de certains, poussés au suicide, quand ils voient débarquer les huissiers pour cotisations non payées », argue Armand Paquereau, de la Coordination rurale .
Au-delà, « le compte n’y est pas », notamment pour la Confédération paysanne. « Un système à points qui reproduit les inégalités de la vie professionnelle dans les retraites n’est pas un système équitable et solidaire. On est sûrement les gagnants, on part de tellement bas ! Mais on n’a pas envie, nous paysans, d’être les gagnants sur les retraites des cheminots, des enseignants, etc. Il est possible d’aller chercher ailleurs que ces soi-disant “privilégiés” », insiste le militant, qui plaide pour une retraite plancher « quel que soit le parcours professionnel » et un plafonnement des plus grosses pensions. Il appelle donc à « poursuivre la mobilisation » contre la réforme des retraites « aux côtés des travailleurs et travailleuses qui luttent pour plus d’égalité ».
Alexandra Chaignon