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Salvini, les "sardines" et la lutte des classes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En août dernier, le premier gouvernement Conte s’est effondré... pour laisser la place à un deuxième gouvernement Conte. Le premier gouvernement était formé par une alliance du « Mouvement 5 étoiles » (M5S, « anti-système ») et de « La Ligue » de Matteo Salvini (extrême droite). Le deuxième gouvernement Conte rassemble de façon inédite le M5S et le Parti Démocratique (PD, centre gauche), qui était auparavant dans l’opposition.
La crise du gouvernement Conte 1
Ce retournement de situation a été provoqué par la décision de Salvini de faire tomber le gouvernement Conte 1, dans l’espoir de déclencher de nouvelles élections politiques. Son idée était qu’il pourrait ainsi capitaliser sur les très bons résultats de son parti aux élections européennes de mai 2019. Mais le M5S et le PD ont empêché ces nouvelles élections en forgeant une nouvelle alliance gouvernementale.
Le gouvernement Conte 2 est donc formé par une coalition de deux forces qui, auparavant, étaient opposées. Elles justifient ce retournement par la nécessité de garantir la « gouvernabilité » et le « bien » du pays. Mais dans une société divisée en classes, le soi-disant « intérêt national » cache en réalité la défense des intérêts de la bourgeoisie qui, au niveau national et international, s’est félicitée de cette nouvelle majorité.
Le M5S, qui se présentait à ses débuts comme un parti « anti-système », est devenu le principal garant de la stabilité de ce même système. Le leader du M5S, Di Maio, avait proposé la diminution du nombre des parlementaires pour économiser 50 millions d’euros. Or ce chiffre représente seulement un centième de la fortune que l’Etat a donné aux grands patrons à travers différents cadeaux et avantages fiscaux – alors que Di Maio lui-même était au gouvernement. Voilà bien l’hypocrisie à la 5 étoiles !
Parmi les militants et sympathisants de gauche, la première réaction à l’annonce de la chute du gouvernement Conte 1 a été le soulagement. Cela s’explique par la sortie de La Ligue de ce gouvernement, et donc par la « fin » (théorique) des politiques ouvertement répressives et racistes de l’ex-ministre de l’Intérieur Matteo Salvini. Mais ce sentiment a rapidement laissé place à la désillusion.
La politique du gouvernement Conte 2
Plutôt que de barrer la route à l’extrême droite de Matteo Salvini, le nouveau gouvernement lui permet en réalité de consolider son rôle d’opposition au « système ». Salvini accuse les élites de manœuvrer au Parlement pour faire obstacle à l’expression des classes populaires dans des élections. La Ligue est à l’offensive pour faire le plein de voix aux prochaines élections. De plus, Salvini émerge comme le leader de la droite, au vu de l’hémorragie électorale de Forza Italiadirigée par Berlusconi. Selon les sondages, cette formation autrefois dominante n’est désormais plus créditée que de 5 % des intentions de vote.
Le gouvernement Conte 2 a tenté de se présenter comme le « défenseur des travailleurs ». Il a promis la mise en place d’un salaire minimum et de nouvelles protections pour les salariés. Il a également promis (vaguement) de ne pas mettre en place de politiques d’austérité. Mais dans les faits, sa loi de finances de plus de 30 milliards visant à empêcher une augmentation de la TVA à 25 % est bien loin de répondre aux besoins de la population. Celle-ci souffre en effet des coupes budgétaires dans les services sociaux, l’Education nationale ou encore la Santé.
Les masses à la recherche d’une issue politique
En l’absence d’un véritable parti politique pour les représenter, les salariés et les jeunes sont pris en tenaille entre le populisme d’extrême droite de Salvini et les nouvelles attaques du gouvernement Conte 2. Malgré cette impasse, les masses se sont pourtant mobilisées à nombreuses reprises ces dernières années. Au sein de la jeunesse, ce fut lors des mobilisations mondiales pour le climat (les Fridays for future). Il a y eu aussi de puissantes manifestations de femmes contre les violences conjugales et contre les politiques réactionnaires sur la famille appliquées par le premier gouvernement Conte. Et très récemment, a émergé le mouvement des « Sardines ».
La première mobilisation des « Sardines » a été déclenchée à Bologne, à l’occasion de la venue de Matteo Salvini. Il voulait tenir son meeting de campagne pour les élections régionales de l’Emilie-Romagne, qui auront lieu le 26 janvier prochain. 15 000 personnes se sont rassemblées à la Piazza Maggiore, à l’appel d’un groupe de jeunes de la ville. Ils se sont identifiés rapidement sous le nom de « sardines ». Le succès de Bologne a provoqué l’organisation de nombreuses manifestations des « Sardines contre Salvini » dans plusieurs villes italiennes. A Milan, Naples, Gènes ou encore Palerme, la participation a été particulièrement importante. Une grande manifestation a eu lieu à Rome le 14 décembre dernier, sur la fameuse Piazza San Giovanni.
Mais qui sont les « sardines » ? Il s’agit avant tout d’un mouvement d’opinion, qui ne dit pas quels intérêts sociaux il veut défendre, mais qui fait appel à des valeurs comme l’antiracisme, la solidarité, la paix, etc. Sa composition sociale et politique est très hétérogène. La couche dirigeante est formée par des cadres du PD et de ses satellites. Mattia Santori, par exemple, un des leaders du mouvement, a été un partisan de la politique du gouvernement Renzi, qui était au pouvoir jusqu’en 2018.
Mais cela ne constitue pas tout le mouvement. On y trouve notamment des secteurs de la jeunesse. Le mouvement des « sardines » apparait en effet comme le moyen le plus facile de manifester contre le racisme et la démagogie réactionnaire de Salvini. En outre, les manifestations antifascistes et antiracistes n’ont pas manqué ces dernières années, et ce n’est pas un hasard si certaines places publiques qui se sont le plus mobilisées récemment (Bologne en particulier) avaient déjà connu des mobilisations importantes et combatives.
La composition hétérogène des « sardines » se reflète également par le bon accueil qu’ont reçu nos camarades de Sinistra Classe Rivoluzione (« Gauche, Classe, Révolution », la section italienne de la TMI), presque partout où ils sont intervenus. L’apolitisme ostentatoire des promoteurs du mouvement ne représente en effet pas l’ensemble du mouvement. Nos camarades rapportent qu’à Parme, « malgré le fait que le climat a été imprégné de cet esprit du type "tout sauf Salvini", parmi les jeunes avec qui nous avons discuté, nous n’avons trouvé ni ostracisme, ni hostilité envers les symboles et le matériel politique. Mais plutôt de la curiosité envers nos idées et l’envie d’avoir des discussions politiques. »
A travers cette mobilisation, les dirigeants du PD essaient de recréer un espace de centre-gauche doté d’un soutien de masse, qui pourrait être dirigé contre toute forme de radicalité politique. C’est pour cette raison que le Manifeste des « sardines » se dit carrément « antipopuliste ». Et pour se distinguer du « populisme », il se présente comme l’expression d’un « peuple de gens normaux », de tous âges : « nous aimons nos maisons et nos familles, nous essayons de nous engager dans notre travail, dans le bénévolat, dans le sport, dans les loisirs. Nous éprouvons de la passion en aidant les autres, quand et comment nous pouvons. Nous aimons les choses drôles, la beauté, la non-violence, la créativité, l’écoute ».
En réalité, comme nous l’avons vu, la « virginité politique » des promoteurs du mouvement est très discutable. Ces derniers tentent de rejeter sur les travailleurs la responsabilité de l’arrivée au pouvoir de la Ligue en 2018. Ils blâment ainsi les réseaux sociaux et l’ignorance, qui pousseraient le peuple « analphabète » dans le piège de la démagogie populiste de la droite. L’idée que le « peuple ignorant » vote pour la Ligue, parce qu’il serait lobotomisé par les télévisions et les réseaux sociaux, est en réalité propagée par les véritables ignorants, qui sont incapables d’expliquer ce qu’il s’est passé en Italie ces dernières décennies. Le « Jobs Act » (contre-réforme du travail de Renzi), la loi Fornero (contre-réforme des retraites de 2011), les privatisations à répétition, la casse de la Sécurité sociale, la participation aux guerres impérialistes, la spéculation et la dévastation environnementale, etc. Or le centre gauche et le PD en particulier portent la responsabilité de tout ce fatras.
L’absence d’un parti de gauche radicale
C’est cette crise de la gauche qui expliquait la montée du M5S. En l’absence d’un parti de gauche radical capable d’offrir une expression à la colère et la frustration des travailleurs et des jeunes d’Italie, ceux-ci se sont tournés vers d’autres formes d’activité politiques, comme les « sardines », ou vers le M5S. Les ambiguïtés du programme de celui-ci (et l’absence de tout concurrent sérieux à gauche) lui ont permis de se présenter comme un « défenseur des travailleurs ». L’expérience du premier gouvernement Conte a sonné le glas de ces illusions parmi les masses, en même temps que celui du M5S. Le parti a vu sa popularité baisser rapidement et est entré en crise. Un processus qui ne peut que se poursuivre avec le nouveau gouvernement.
Le facteur déterminant dans la situation politique italienne – l’absence d’un parti de gauche radicale – n’est pas un élément immuable, ou le fruit d’un quelconque « virage à droite ». En réalité, un tel parti peut tout à fait émerger à l’avenir sur la base des mobilisations de masse qui agitent la jeunesse, mais aussi de celles qui vont inéluctablement dresser les travailleurs italiens contre les politiques d’austérité des gouvernements bourgeois de toutes tendances. La nécessité d’un tel développement est en fait posé clairement par les mobilisations actuelles, qui soulignent l’absence d’une opposition sérieuse à la fois à l’austérité et au racisme de Salvini, mais aussi par la crise de l’économie italienne. Depuis 2008, plus de 600 000 postes de travail ont été supprimés. Aujourd’hui encore, 160 entreprises sont déclarées en crise, et 210 000 salariés risquent de perdre leur emploi.
En replaçant les questions de classes au centre de l’échiquier politique, un tel parti anéantirait les divisions artificielles qui sont utilisées par la classe dirigeante. L’heure n’est pas aux lamentations, elle est à l’organisation !