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Quels schémas de transition du franc CFA vers l’éco ?

Lien publiée le 27 janvier 2020

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://theconversation.com/quels-schemas-de-transition-du-franc-cfa-vers-leco-130170

Le président de la République de Côte d’Ivoire a annoncé le 21 décembre dernier, en présence de son homologue français Emmanuel Macron, que les pays de l’UEMOA adopteront une nouvelle monnaie, l’éco, en remplacement du franc CFA. Cette annonce a provoqué l’ire du conseil du ministres de la zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) réuni à Abuja le 16 janvier 2020. Il a relevé le caractère non conforme au schéma initial des déclarations d’Abidjan, qui soumet l’entrée dans l’éco au respect préalable de six critères de convergence nominale.

Cependant, si l’objectif ultime est bien la création d’une monnaie pour l’ensemble de la Cédéao, plusieurs schémas de transition du franc CFA vers l’éco sont envisageables.

Nous proposons ici un schéma qui semble avoir inspiré les déclarations d’Abidjan du 21 décembre 2019. Il s’agit de revisiter les grands principes de l’actuel système monétaire et à adopter un élargissement progressif de l’UEMOA à la Cédéao selon un calendrier prospectif de court et moyen termes.

La gestion des réserves et de la parité

En contrepartie de la convertibilité que la France accordait au franc CFA, les pays de la zone franc étaient tenus de déposer au moins la moitié de leurs réserves de change dans des comptes d’opérations ouverts au Trésor français.

Selon le nouvel arrangement institutionnel, ces réserves de change des pays de la zone franc de l’Afrique de l’Ouest ne seront plus centralisés au Trésor françaisdans la mesure où le compte d’opérations qui les hébergeait sera supprimé. Cette centralisation des réserves est fondamentale car c’est le principal acquis de l’histoire du franc CFA. Elle suppose et traduit une grande solidarité politique entre les États de l’UEMOA et il ne faudra pas l’oublier en cas d’adhésion de nouveaux membres.

La question de la garantie extérieure, telle que la France l’exerce dans le contexte institutionnel du franc CFA, a également une forte dimension politique : elle fonde la stabilité du système en théorie et en pratique. Toutefois, tandis que le solde du compte d’opérations a historiquement toujours été positif, en 1993 sa baisse forte et rapide était un indicateur de la nécessité de dévaluer.

On peut en conclure que cette garantie n’est pas indispensable et qu’elle a même eu un effet anesthésiant. Y renoncer créerait une obligation vertueuse de discipline collective pour assurer la convertibilité afin de permettre l’accès aux devises à tout moment et à tout agent financier de la zone.

Ce dernier point a été bien pris en compte par la décision du 21 décembre 2019 stipulant le passage du franc CFA à l’éco, qui, tout en gardant la centralisation des réserves comme principe, en soustrait la gestion à la tutelle française. Supprimer la garantie extérieure entraîne aussi une « révolution politique ». Si l’on conserve le principe de la centralisation des réserves, mais en recentrant leur gestion dans un autre cadre institutionnel, la souveraineté monétaire passe de la France à l’UEMOA puis à la Cédéao. Cela pose la question de la légitimité politique et de la solidarité institutionnelle des organes de l’Union.

Pour ce qui est de la question de la parité, elle a fait l’objet il y a quelques années d’importants travaux pour proposer un système de change flexible, ou mieux ajustable, car fondé sur un index calculé à partir d’un panier de monnaies. Un tel système est évidemment nécessaire et légitime pour maintenir la compétitivité en cas de choc externe. La gouvernance à long terme de cette parité est, là encore, un vrai pari politique.

La tenue du compte de réserve et sa rémunération posent deux questions. Historiquement il a été tenu par le Trésor français, mais il n’était en pratique que le compte miroir de celui tenu par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). En 1999, l’Union européenne et la Banque centrale européenne ont refusé ce rôle lors de la création de l’euro. Il est néanmoins techniquement possible d’organiser un appel d’offres auprès d’une autre institution ou établissement financier, par exemple auprès de la Banque des règlements internationaux.

C’est une question de symbole politique. Ainsi que le changement de nom de la monnaie qui est déjà en passe de se faire, une telle transition faciliterait l’ouverture de la zone aux non-francophones, voire en constituerait la condition politique incontournable. Toutefois, l’impact de la rémunération sur le compte d’exploitation de la banque centrale demandera un examen attentif, de même que le moyen d’assurer une totale sécurité au placement : la qualité du partenaire est à cet égard capitale.

Les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara à Abidjan le 21 décembre 2019. Sia Kambou/AFP

La perspective à moyen et long termes

Il convient de noter que les réformes préalables esquissées ci-dessus auraient un double impact :

  • Lever des symboles historiques permettant de dépasser un clivage entre francophones et anglophones, en particulier l’acronyme CFA qui renvoie aux colonies françaises d’Afrique ou le compte d’opérations qui illustrerait une tutelle française. Une telle initiative prise par l’Union lui donnerait une pleine capacité de négociation vis-à-vis des partenaires de la Cédéao.

  • Moderniser la gestion monétaire afin de faciliter la fusion des mécanismes monétaires (réserves, parité notamment). Cependant, une question à long terme restera à résoudre : celle du calendrier de constitution de la zone monétaire.

Par la suite, une stratégie d’extension en deux étapes pourrait être esquissée :

  • Dans un premier temps, il paraît envisageable d’intégrer les pays pour lesquels l’Union monétaire pourrait se faire avec un gain économique immédiat et un coût politique acceptable, constituant ainsi un embryon de la future zone monétaire Cédéao. Cela revient à privilégier les pays producteurs et exportateurs de matières premières agricoles.

  • Dans un second temps, l’élargissement de cette zone monétaire ouest-africaine à l’ensemble des pays de la Cédéao pourrait être envisagé.

Quelques pistes de calendrier

Il conviendrait de respecter une chronologie prudente qui pourrait être la suivante :

  • Démontrer d’abord qu’il est possible de desserrer les seuils d’inflation et de déficit budgétaire pour les seuls besoins d’une politique d’investissement ;

  • L’introduction d’une flexibilité monétaire encadrée ;

  • La capacité de gérer de nouveaux paramètres macroéconomiques devrait être démontrée pendant quelques années avant de passer à un mécanisme de souveraineté monétaire ;

  • Pour mieux assurer la nouvelle gestion des réserves, la garantie de la France pourrait être maintenue pour une période de transition à définir d’accord parties ;

  • Enfin, pendant toute cette période, il serait souhaitable d’envisager la négociation d’une extension de la zone monétaire à d’autres pays intéressés de l’Afrique de l’Ouest. Le Ghana a déjà annoncé sa volonté d’intégrer l’éco en insistant néanmoins sur l’impératif d’avoir un régime de change flexible.

Ce scénario de transition se fonde sur l’élargissement de l’UEMOA à l’ensemble des pays de la Cédéao. Cependant, un tel élargissement ne pourra faire l’économie d’une réflexion et de simulations relatives aux mécanismes de solidarité entre sous-espaces de la même zone afin de renforcer sa légitimité politique et de lui conférer une réelle efficience économique. À plus long terme, c’est l’un des meilleurs moyens d’impulser les échanges intrarégionaux qui créeront progressivement une synchronisation des cycles économiques au sein de la zone Cédéao.

Un autre schéma de création de l’éco pourrait tout aussi bien être retenu, fondé non plus comme c’est le cas ci-dessus sur le respect des critères nominaux de convergence, mais plutôt sur la convergence réelle, celle du PIB par tête. Dans ce dernier cas de figure, les économies de la Cédéao auraient l’obligation de converger vers le trio de tête que constituent le Cap-Vert, le Nigeria et le Ghana.

La dynamique de convergence serait alors tout autre et les États de l’UEMOA perdraient leur statut de bons élèves de la convergence et donc de tracteurs du processus de mise en œuvre de l’éco.

Mais le Nigeria est-il prêt à assumer un rôle de locomotive de la zone éco ? Pourquoi accepterait-il de jouer aujourd’hui le rôle qu’il n’a pas voulu jouer lors de la mise en place de la seconde zone monétaire d’Afrique de l’Ouest en 2002 ? L’avenir nous le dira.