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L’accord Renault du 15 septembre 1955

Lien publiée le 3 avril 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://ftm-cgt.fr/1445-2/

Célèbre pour avoir initié la généralisation de la troisième semaine de congés payés en France, vingt ans après la loi du 20 juin 1936, l’accord Renault du 15 septembre 1955 est aussi connu pour avoir suscité des débats au sein de la CGT sur l’opportunité ou non de le signer. Cet accord participe pleinement à la politique menée par le patronat et l’Etat pour promouvoir la collaboration de classe et isoler la CGT sur le plan syndical.

Le syndicat Renault, opposé dans un premier temps, revint sur sa position après l’intervention de la commission administrative confédérale et de Benoît Frachon. Il décidait de signer en raison de l’importance des avantages consentis par le patronat (congés payés, amélioration de la couverture sociale et retraite complémentaire pour les ouvriers horaires), et ce, malgré la présence de clauses antigrèves et d’un préambule appelant à la collaboration de classes.

Ce choix s’explique par la prise en compte des aspirations des travailleurs à l’amélioration immédiate de leurs conditions de travail et de vie et par la conviction que le rapport de forces permet de surmonter les obstacles juridiques. Dans le cas présent, la menace du patronat de supprimer les avantages en cas de violation des clauses de la convention d’entreprise ne put jamais être appliquée.

Genèse de l’accord Renault

Le mécontentement ouvrier, extrêmement profond à partir de 1947, suscite d’importantes vagues de grèves jusqu’au milieu des années cinquante. Si les salaires et les conditions de travail sont au cœur des revendications, les luttes pour la paix, contre la répression syndicale et politique sont également fortement présentes : contre le plan Marshall, contre les guerre en Corée et en Indochine, contre la venue à Paris de « Ridgway-la-peste », contre les milliers de licenciements frappant les militants, pour la libération d’Henri Martin, militant emprisonné pour son action contre la guerre d’Indochine, de Jacques Duclos, député et secrétaire général par intérim du PCF ou encore d’Alain Le Léap, secrétaire général de la CGT.

Face à cette situation, patronat et gouvernement pratiquent la politique du bâton et de la carotte : en faisant appel aux CRS, voire à l’armée, en mettant en branle la machine judiciaire et les inculpations ou encore en soutenant la création de syndicats « maison » dits « libres ». Pour ce qui est de la carotte, ils développent une politique dont la forme varie selon les acteurs politiques mais aucunement le fond qui préconise la collaboration de classe et l’anticommunisme. De Gaulle et le RPF défendent ainsi à partir de 1948 l’association capital-travail et la participation, tandis que Pierre Mendès France et la SFIO mettent en pratique en 1954-1955 la politique des « rendez-vous sociaux », au cours desquels sont discutés des hausses de salaires en échange d’importants gains de productivité.

La négociation collective, relancée par la loi du 11 février 1950, est ainsi utilisée par certains secteurs du patronat pour étouffer les revendications et tuer dans l’œuf les luttes. La signature d’accords d’entreprise ou régionaux a minima avec les organisations syndicales minoritaires se multiplient ainsi durant les années cinquante, notamment dans la métallurgie. La fédération CGT parvient tout de même, à force de mobilisations, à s’imposer à plusieurs reprises : convention collective du Haut-Rhin (octobre 1953), du Bas-Rhin (janvier 1954), de l’Isère (avril 1954), de la Loire (mai 1954) et enfin de la région parisienne (juillet 1954).

Chez Renault, dont les directeurs successifs, Pierre Lefaucheux puis Pierre Dreyfus à partir de mars 1955, partagent le même souci de faire de l’entreprise nationalisée la vitrine du « modèle social français », cela se traduit par la négociation de plusieurs accords d’entreprise. Ceux-ci poursuivent quatre objectifs :

  1. Promouvoir la collaboration de classe, en isolant et en fragilisant la CGT par la négociation prioritaire avec les syndicats minoritaires,
  2. Discuter « à froid », en l’absence de tout rapport de force et selon son propre calendrier, les avancées lui garantissant – à moindre coût – la paix sociale,
  3. Empêcher la mise en place de salaires minima et de conditionner les salaires à l’accroissement de la productivité, notamment pour alimenter le marché d’exportation,
  4. Porter atteinte au libre exercice des droits syndicaux et au droit de grève.

L’accord du 15 septembre 1955

Le projet d’accord est préparé sous la houlette de Pierre Lefaucheux au début de l’année 1955. Les dures grèves de Nantes et de Saint-Nazaire de l’été 1955 et la victoire des salariés des Chantiers Navals, incitent la direction à précipiter les choses. Après consultation du ministère de l’Industrie début septembre, le feu vert est donné. Le 13 septembre, les syndicats sont convoqués.

Même si la CGT revendique chez Renault Billancourt plus de 5 600 cartes payées en septembre 1955 et qu’elle a obtenu 60,1% des inscrits et 73,4% des votants au premier collège pour les élections de délégués du personnel, elle se relève difficilement de la répression menée par la direction depuis 1952 et de l’échec des luttes de l’été 1953. Elle revendiquait ainsi 13 353 cartes en novembre 1950.

En août 1955, elle a impulsé une consultation sur deux revendications : un salaire horaire de 40 francs et l’octroi d’une troisième semaine de congés payés et invite les autres organisations syndicales à se joindre au mouvement. Du 8 au 15 septembre, de nombreux débrayages sont organisés pour appuyer les négociations. Après quinze heures de discussion avec la direction, l’accord est signé par FO, la CGC et le SIR[1] le 15 septembre au petit matin, rejoint par la CFTC le soir même. Le syndicat CGT refuse de signer.

Les points positifs de l’accord sont les suivants : troisième semaine de congés payés[2], le paiement des jours fériés, une indemnité journalière supérieure en cas de maladie ou d’accident payée à partir du huitième jour d’absence et s’ajoutant aux prestations de la Sécurité sociale, une ancienneté réduite à six mois au lieu d’un an pour l’indemnisation des accidentés du travail, l’ouverture de négociations pour organiser la retraite complémentaire pour le personnel horaire, une augmentation garantie du pouvoir d’achat de 4 % pendant deux ans.

Les points négatifs de l’accord : l’augmentation salariale est nettement insuffisante, l’échelle mobile des salaires n’est pas prévue, le préambule célèbre les bienfaits de la collaboration de classes et les articles 26 à 28 prévoient une restriction du droit de grève (voir annexe).

Les hésitations de la CGT

Une campagne s’engage, avec la constitution de comités d’action unitaires rassemblant syndiqués et non-syndiqués, l’organisation de débrayages, de meetings et la diffusion de tracts. La mayonnaise ne prend pas.

Mais à la mi-octobre, la position évolue sous l’impulsion de la direction confédérale. Benoît Frachon, intervient au bureau fédéral du 17 octobre 1955 pour souligner le manque de prise en considération des avantages acquis pour les ouvriers et pour dénoncer l’importance trop grande donnée aux clauses d’un préambule dont la valeur dépend du rapport de forces imposé dans l’entreprise.

Cette position, adoptée largement par le bureau fédéral, est discutée le 21 octobre avec le bureau du syndicat. Benoît Frachon et Jean Breteau défendent ce changement tactique et emportent la majorité des voix. Dans L’Humanité du 25 octobre 1955, le secrétaire général de la CGT défend alors publiquement cette position, en affirmant notamment que « les syndicats CGT ne seront pas absents des débats où se discuteront les intérêts des ouvriers. » En effet, l’accord prévoit que seuls les signataires de l’accord pourront s’asseoir à la table des négociations qui doivent s’ouvrir sur l’extension de la retraite complémentaire et l’augmentation des salaires.

L’assemblée générale du syndicat organisée le 28 octobre est quelque peu houleuse[3], et la position défendue d’une signature partielle approuvant l’accord à l’exception du préambule suscite des hésitations et des réserves à la base. Le bureau du syndicat se prononce pour la signature le 7 novembre et obtient 71 % d’avis favorables lors de la consultation organisée auprès des syndiqués. Le 23 novembre, la CGT envoie son adhésion à l’accord en précisant : « sous réserve de tous nos droits : nous ne tiendrons aucun compte de ce préambule qui n’a pas sa place dans une convention collective et qui veut faire violence à la liberté d’opinion du personnel en prétendant lui faire admettre la collaboration de classe. » La direction refuse la restriction et finalement la CGT n’adhère de plein droit à l’accord de 1955 que lors du renouvellement de celui-ci, le 21 septembre 1957.

Postérité de l’accord du 15 septembre 1955

En conclusion, ce « progressisme » affiché par certains secteurs du patronat n’est pas dénué d’arrière-pensées. En lâchant certaines avancées qui figurent en bonne place sur les cahiers de revendications, le patronat entend éviter les mobilisations et démontrer que la collaboration de classes améliore le sort des travailleurs.

Les accords d’entreprise de la période 1955-1965 ont permis d’obtenir de nombreuses avancées sociales : la troisième puis la quatrième semaine de congés payés (accord Renault de 1955 puis de 1962), les indemnités de licenciement, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise (accord Neyrpic de 1962) ou encore la mensualisation des « horaires » (accord Renault). Ces avantages, acquis à l’entreprise, ont été progressivement étendus et généralisés, jouant un rôle non négligeable dans le développement du droit du travail. Ainsi, l’accord Renault du 15 septembre 1955 est étendu le 24 novembre 1955 à l’ensemble de la métallurgie parisienne après négociation entre le GIM et les organisations syndicales, puis à tous les salariés de France par la loi du 28 février 1956.

L’insertion de clauses restrictives au droit syndical et au droit de grève a connu un certain succès, même si elles n’ont pas réussi à empêcher la mobilisation des travailleurs, comme en témoigne le débrayage organisé sans préavis à Renault-Billancourt six mois plus tard à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales pour exiger une augmentation des salaires.

Mais l’essentiel pour le patronat n’était sans doute pas là. Il s’agissait surtout de s’assurer que la productivité s’accroisse rapidement et sans entraves. Le fordisme, dont la logique est la division et la parcellisation des tâches, l’abaissement des coûts de production et donc des prix de vente, le développement d’une consommation de masse sur le marché intérieur comme extérieur, impose en effet l’obtention de gains de productivité importants.

La signature des fameux « contrats de progrès » à partir de 1969 et l’adoption de la loi du 30 juin 1971 sur les conventions collectives par le gouvernement Chaban-Delmas s’inscrivent dans la droite lignée des accords d’entreprise de type Renault. Censé forger « une nouvelle société » et apporter des avancées sociales et salariales en échange de la « paix sociale » et d’un accroissement des cadences, ce projet fit long feu et fut abandonné dès 1972.

L’entrée dans la crise à partir du début des années 1970 se traduit par une chute des investissements, un ralentissement des gains de productivité et une inflation galopante. Dès lors, le « grain à moudre » se faisant plus rare, le patronat se montre moins enclin à lâcher du lest pour pratiquer une politique de « donnant-donnant ».


[1] Syndicat Indépendant Renault, appartenant à la confédération « libre » CGSI.

[2] Elle n’a coûté en fait à la direction qu’un jour et demi à deux jours, puisque cette troisième semaine intègre la bonification d’un jour prévu pour les ouvriers revenant de vacances à temps ainsi que les congés supplémentaires auparavant accordés à certaines catégories de personnel.

[3] Le discours de Benoît Frachon est retranscrit dans La Vie Ouvrière n° 583, 1-7 novembre 1955.

Annexes

Extraits du préambule

L’expérience des dernières années a montré que dans une conjoncture favorable, le fonctionnement normal de l’ensemble des usines et établissements de la Régie nationale des Usines Renault engendrait une prospérité qui avait permis l’amélioration progressive des moyens d’existence du personnel.

Dans ces conditions, les représentants des organisations syndicales (CGC, FO, CGSI) et de la Direction générale de la Régie nationale des Usines Renault, désirant compléter l’accord du 15 septembre 1950, ont décidé d’étudier en commun un certain nombre de moyens propres à améliorer le sort du personnel de la Régie, tout en préservant l’efficacité de l’entreprise et ses possibilités de développement et de progrès. (…)

Article 26

Les représentants de chacune des parties contractantes conviennent de se rencontrer à la requête de la partie la plus diligente dans les trois jours qui suivront la demande, pour étudier tout différend surgissant de l’application du présent accord, qu’il soit d’ordre général ou particulier. Une réponse sera donnée au cours d’une nouvelle réunion intervenant dans les cinq jours ouvrables qui suivront.

Article 27

En cas de conflit limité ou généralisé, les parties contractantes s’engagent à ne recourir ni au lock-out, ni à la grève avant d’avoir épuisé les possibilités conventionnelles, réglementaires ou légales de solution.

Article 28

Il pourra être mis fin de plein droit au présent accord en cas d’inobservation des dispositions de l’article 27 par l’une ou l’autre partie. Dans ce cas, la Régie Nationale des Usines Renault ne sera plus tenue de maintenir les avantages supérieurs à ceux fixés par les conventions ou règlements en vigueur.