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Théâtres occupés: les travailleurs de la culture nous montrent la voie
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Commencé début mars par l’occupation de l’Odéon à Paris, le mouvement d’occupation des théâtres s’est étendu à plus de 90 autres théâtres. Le milieu du cinéma est en ébullition, lui aussi. Professionnels de la culture, intermittents du spectacle et d’autres secteurs, salariés de l’événementiel, précaires, étudiants, tous redonnent vie aux théâtres fermés par le gouvernement. A Paris, Orléans et Toulouse, des militants de Révolution sont allés à la rencontre de ces travailleurs et artistes mobilisés.
Révolution : Comme travailleurs de la culture mobilisés dans le mouvement d’occupation des théâtres, qu’avez-vous à dire sur la situation de vos métiers aujourd’hui ?
Olivier Steiner, écrivain (Paris) : Aujourd’hui, la culture est écrasée, asphyxiée. Ses travailleurs sont désespérés et beaucoup ont arrêté. La situation du milieu artistique, c’est une situation de souffrance.
Brigitte Chemin, comédienne (Orléans) : Ça fait un an qu’on est à l’arrêt et privés de perspectives. J’ai beaucoup de conversations avec d’autres artistes, qui n’arrivent pas à dormir, qui font des crises d’angoisse, qui développent des maladies qu’ils n’avaient pas auparavant. Car, au bout d’un an, le moral et le corps commencent à faiblir : il y a urgence à agir ! A côté de l’épidémie de coronavirus, les maladies et les angoisses du confinement sont à l’œuvre, et déclenchent plein d’autres maux.
Révolution : Quelles sont vos revendications ?
Laurent, comédien et militant de la Coordination des Intermittents et Précaires (Toulouse) : Déjà, il y a la prolongation de l’année blanche. [En mai dernier, Macron avait annoncé la mise en place d’une « année blanche » pour les intermittents du spectacle, c’est-à-dire la prolongation de leurs droits aux allocations chômage. Cette année blanche prendra fin le 31 août.]. Une grande partie des intermittents n’auront pas assez cotisé cette année pour percevoir leurs droits après le 31 août. Par ailleurs, beaucoup de jeunes qui devaient entrer dans le métier n’auront pas cotisé.
Au 31 août, si cette année blanche n’est pas prolongée, ce sera dramatique. Tout le monde sera touché dans nos professions : ceux qui auront réussi à travailler auront quand même moins d’heures, et la moitié des intermittents perdront à la fois leurs droits aux indemnités et à l’assurance maladie (notamment la CMU). Le gouvernement va sans doute proposer une clause de rattrapage : tu auras six mois pour faire tes heures et si tu ne les fais pas, ça sera le RSA !
Gérard Tuscher, délégué CGT France TV : On lutte aussi contre la réforme de l’assurance-chômage, qui est un vrai scandale, une terrible régression sociale. Avec l’épidémie, Emmanuel Macron a dû bloquer temporairement la réforme des retraites, et le patronat ne veut pas rouvrir cet épineux dossier pour le moment. Mais Macron doit quand même donner un gage à la droite pour les élections de l’an prochain, donc il annonce une refonte des droits des chômeurs. C’est révoltant, en pleine crise, qu’on diminue les allocations chômage – pour ceux qui la touchent encore – alors qu’on est déjà dans une situation catastrophique et que de plus en plus de gens ont du mal à boucler les fins de mois, à se nourrir, à se loger.
Olivier Steiner : On réclame également une véritable politique culturelle et sociale, car aujourd’hui l’argent éloigne la plupart des gens de la création artistique. Qui va payer 30 euros de RER pour aller voir un spectacle à Paris, un samedi soir, quand l’abonnement Netflix est à 10 euros ? La culture publique est pourtant nécessaire, et elle doit être accessible, car c’est une arme pour détruire l’isolement des gens.
Révolution : Vous demandez aussi la réouverture des lieux culturels ?
Gérard Tuscher : Bien sûr ! C’est totalement incompréhensible qu’on ouvre les magasins, que les gens fassent la queue dans le métro pour aller bosser, mais qu’ils ne puissent pas avoir accès aux lieux de spectacle, dans lesquels on n’a pourtant enregistré aucun « cluster » de l’été à l’automne. Ces lieux sont fondamentaux, car ce sont des lieux de vie, au sens fort du terme, et qu’on ne peut pas vivre éternellement au rythme métro-boulot-dodo.
Vincent Dieutre, réalisateur (Paris) : Quand on est artiste, on n’existe que quand on montre des choses. On n’est pas là juste pour encaisser des subventions : on est là pour travailler, pour monter des concerts et des spectacles. La culture n’est pas un luxe « non essentiel », mais bien un droit à la beauté – un droit fondamental pour tout le monde.
Laurent : Personnellement, je suis sceptique quant à cette réouverture : en tant que comédien je ne demande que ça, mais si ça doit causer des morts, alors non. Et il ne faudrait pas que cette revendication fasse passer les autres à l’arrière-plan, car notre combat est bien plus général et ambitieux. N’oublions pas l’assurance chômage !
Révolution : Comment voyez-vous la suite de cette lutte ?
Gérard Tuscher : Le gouvernement a été surpris par l’extension rapide du mouvement, partout en France. Ce qui est intéressant, c’est que ces lieux ne sont pas seulement des lieux d’expression des salariés de la culture. Il y a plein de gens qui interviennent, comme les travailleurs de la sidérurgie, d’EDF, ou encore des précaires. L’Odéon occupé, à Paris, c’est un lieu de discussion, une agora qui permet à tous les salariés en lutte de se retrouver, de se connaître et d’échanger.
Vincent Dieutre : « Tous à l’Odéon » : quand j’ai entendu cet appel, je ne me suis pas vraiment posé la question de savoir si j’en serai ou non. Ça m’a paru évident, parce que c’est vraiment important pour nous. Comme une personne qui se noie, on a l’impression qu’il y a un petit peu d’air qui arrive et on remonte à la surface, on y va. Les occupations, je pense que c’est un outil fondamental pour résister à la violence sociale, à la violence du système.
Christophe Pellet, dramaturge (Paris) : Après, nous, on est déjà mis à l’arrêt par la fermeture de nos lieux de travail. Mais il faudrait que les gens qui continuent à travailler, les salariés dans les banques, les entreprises, les administrations, s’arrêtent eux aussi et occupent avec nous. Ils ont le pouvoir immense d’arrêter le temps économique s’ils se mobilisent à leur tour.
Olivier Steiner : Le mouvement des Gilets jaunes avait commencé avec une revendication économique, qui était le prix de l’essence. Là, c’est l’inverse, on part de la culture et on voit des revendications économiques s’y greffer au fur et à mesure, comme en Mai 68. En 1968, il y avait une pancarte « Odéon ouvert » sur le théâtre. En 2021, c’est « théâtre occupé ». Les temps changent, et c’est réjouissant !