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La catastrophe capitaliste et la lutte pour une organisation mondiale de la révolution socialiste

Lien publiée le 25 avril 2021

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La crise économique, sociale et politique ainsi que le dynamisme de la lutte des classes à échelle internationale renforcent l’urgence de la nécessité d’avancer dans la construction d’un Mouvement pour une Internationale de la révolution socialiste. Une Internationale basée sur l’expérience vivante des nouveaux secteurs ouvriers et opprimés qui commencent à s’affronter aux États capitalistes dans le monde entier.

Ce manifeste a été adopté par les organisations intégrant la Fraction Trotskyste pour la Quatrième Internationale :
Argentine, Partido de los Trabajadores Socialistas (PTS) ;
Brésil, Movimento Revolucionario de Trabalhadores (MRT) ;
Chili, Partido de Trabajadores Revolucionarios (PTR) ;
Mexique, Movimiento de Trabajadores Socialistas (MTS) ;
Bolivie, Liga Obrera Revolucionaria (LOR-CI) ;
État espagnol, Corriente Revolucionaria de Trabajadoras y Trabajadores (CRT) ;
France, Courant Communiste Revolutionnaire (CCR) au sein du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) ;
Allemagne, Revolutionäre Internationalistische Organisation (RIO) ;
États-Unis, camarades de Left Voice ;
Venezuela, Liga de Trabajadores por el Socialismo (LTS) ;
Uruguay, Corriente de Trabajadores Socialistas (CTS).
Ainsi que par les organisations qui sont en processus d’intégration à la Fraction Trotskyste,
Italie, Frazione Internazionalista Rivoluzionaria (FIR) ;
Pérou, Corriente Socialista de las y los Trabajadores (CST) ;
Costa Rica, Organización Socialista Revolucionaria (OSR).

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La crise économique, sociale et politique ainsi que le dynamisme de la lutte des classes à échelle internationale renforcent l’urgence de la nécessité d’avancer dans la construction d’un Mouvement pour une Internationale de la révolution socialiste. Une Internationale basée sur l’expérience vivante des nouveaux secteurs ouvriers et opprimés qui commencent à s’affronter aux États capitalistes dans le monde entier.

En 2013, la Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale a lancé le Manifeste pour un Mouvement International de la Révolution Socialiste – Quatrième Internationale, actualisé en 2017. Suite à cet appel l’Organisation Socialiste Révolutionnaire du Costa Rica, la Fraction Internationaliste Révolutionnaire d’Italie et le Courant Socialiste des Travailleuses et Travailleurs du Pérou nous ont rejoints et prennent part, aujourd’hui, au lancement de ce nouveau manifeste.

Dans le cadre des débats portant sur les accords et les différences entre les courants qui revendiquent la lutte pour la révolution socialiste, nous avons organisé, l’an passé, une Conférence Américaine, réunissant les organisations du Frente de Izquierda y de los Trabajadores - Unidad d’Argentine ainsi que leurs organisations sœurs à échelle continentale.

Le manifeste que nous publions aujourd’hui, rédigé par la Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale, se propose de relancer le débat sur la nécessité d’un Mouvement pour une Internationale de la révolution socialiste. Il s’adresse à l’avant-garde de la jeunesse, du monde du travail et de tous les opprimés qui a pris part aux récentes vagues de rébellions populaires et aux grèves générales dans différents pays. Il s’adresse à celles et ceux qui ont été à la tête de luttes emblématiques comme Black Lives Matter aux Etats-Unis, comme la rébellion populaire chilienne, la lutte contre le coup d’État en Bolivie, la lutte des Gilets jaunes et les grandes grèves contre la réforme des retraites en France, la lutte du mouvement des femmes dans le monde entier, les occupations de terre, les grèves et les blocages. Il s’adresse également à celles et ceux qui luttent, au Brésil, contre le bolsonarisme en toute indépendance des partis du régime, à celles et ceux qui, en toute indépendance du gouvernement de Maduro, combattent l’impérialisme tout en affrontant le régime répressif, autoritaire et antinational, à celles et ceux qui se mobilisent au Mexique contre le gouvernement « progressiste » et contre l’opposition de droite. Nous nous adressons également à la multitude de mouvements qui émergent dans le Sud-Est asiatique à l’avant-garde desquels on retrouve la lutte héroïque de la classe ouvrière du Myanmar, à celles et ceux qui luttent contre l’exploitation et l’oppression partout sur la planète et qui cherchent, aujourd’hui, une alternative politique pour lutter contre le capitalisme, qui refusent l’idée, alimentée par le réformisme et des décennies d’attaques néo-libérales, qu’il ne serait possible que d’arracher quelques miettes. Nous cherchons renouer avec une perspective révolutionnaire, internationaliste et socialiste pour mettre fin à ce système qui ne mérite que de disparaître. Nous nous adressons également aux organisations et militants du mouvement trotskyste, à celles et ceux qui se revendiquent de l’internationalisme et voient l’importance de faire avancer les débats, sur la base des leçons de la lutte des classes, autour de la construction d’un Mouvement pour une Internationale de la révolution socialiste. Dans ce manifeste, nous reviendrons sur quelques démonstrations réalisées aux États-Unis, en France, au Chili et en Argentine, autant de pays choisis en raison de l’intensité des phénomènes de lutte de classe qu’ils ont connus ou en raison de l’influence particulière que peut y avoir la gauche révolutionnaire. A partir de ces expériences, nous souhaiterions synthétiser les principaux combats qui nous semblent devoir être menés aujourd’hui.

La crise en cours et l’actualité de l’époque de crises, guerres et révolutions

La pandémie a conduit à un saut dans la crise économique mondiale, qui était irrésolue depuis 2008, après la faillite de Lehman Brothers. Une fois de plus, les États ont sauvé leurs entreprises alors que des millions de personnes perdaient leur emploi ou étaient obligées de travailler dans des conditions précaires. Aux plus de 2 millions et demi de morts liés au coronavirus, il faut ainsi ajouter les 150 millions de personnes qui pourraient tomber dans l’extrême-pauvreté en 2021 dans le monde entier, si l’on en croit le Forum Économique Mondial.

Le rapport entre cette crise et les contradictions du capitalisme est clair. Ce sont les activités prédatrices sur l’environnement, menées par les grandes entreprises et les États qui pratiquent la déforestation à grande échelle pour développer l’agrobusiness, qui sont responsables de la propagation du virus qui circulait jusqu’alors entre des animaux vivant à l’écart des populations humaines. Les espaces créés pour permettre l’industrie avicole et porcine intensive, mais également celle du soja ou de l’huile de palme, dans le cas du virus Ébola, ont été particulièrement fonctionnels à la propagation de maladies, en l’occurrence aujourd’hui une épidémie qui s’est transformée en pandémie. Dans le cas du Covid, la maladie s’est étendue plus rapidement que n’importe quel virus auparavnt en suivant les chaînes d’approvisionnement mondial « just in time ». Si les virus humains ont souvent suivi les flux de marchandises – la peste bubonique, par exemple, s’est diffusée via les routes commerciales – la vitesse et l’échelle du capitalisme mondialisé a créé un cadre où les maladies peuvent se propager sur l’ensemble de la planète en quelques semaines. Cette situation révèle de façon paradigmatique comment le capitalisme rend impossible d’établir une relation harmonieuse entre l’espèce humaine et la nature et, pire, comment il détruit davantage chaque jour l’environnement. Face à cette situation, des projets politiques portés par l’aile gauche du Parti Démocrate étatsunien, les Verts en Allemagne ou le gouvernement « progressiste » espagnol, mais également des ONG et des bureaucraties du mouvement social alimentent l’espoir d’un capitalisme vert basé sur « New Deal Vert ». Ils essayent d’intégrer à ce projet la direction des mouvements sociaux et de défense de l’environnement, en les transformant en agents « progressistes » du capital. Pourtant, il est clair que les États impérialistes ne se transformeront jamais en promoteurs de l’écologie.

En pleine crise, les grandes bourgeoisies et leurs États ont cherché à recomposer leur pouvoir et à récupérer les pertes générées par la contraction de l’économie mondiale. C’est particulièrement le cas aux États-Unis, où la pandémie et la crise économique ont frappé durement entre mars et juin, l’an passé, avec un effondrement du PIB de 32,9% au second trimestre 2020. Ainsi, Biden vient de faire voter un programme de « relance Covid-19 » de 1.900 milliards de dollars, dont une partie ira directement dans les poches des classes populaires à titre préventif. De façon conjoncturelle et avec des modalités et une portée différentes, tous les gouvernements ont mis en œuvre des mesures similaires, malgré des inégalités claires entre pays impérialistes et pays pauvres. Parallèlement, les États capitalistes ont permis à ceux qui ont spéculé sur la pandémie d’engranger des profits exorbitants en injectant de gigantesques sommes d’argent dans les grandes entreprises et les banques. Un récent rapport de l’Institute for Policy Studies montre ainsi que depuis le début de la pandémie, à la mi-mars 2020, les multimillionnaires étatsuniens ont vu leur fortune s’accroître d’un milliard de dollars. Selon les chiffres de Bloomberg, les cinquante personnes les plus riches du monde ont vu leur fortune croître de 640.000 millions d’euros. Parmi les heureux élus, on retrouve Jeff Bezos, Elon Musk ou Bill Gates. Jeff Bezos a « gagné » 69.000 millions de dollars depuis le début de la pandémie. On retrouve également dans la liste Marc Zuckerberg, de Facebook, ou encore le fondateur de Google, Sergey Brin. En France, les milliardaires parmi lesquels se trouve Bernard Arnault, troisième fortune mondiale, ont gagné près de 175.000 millions d’euros au cours de la même période. Selon le rapport d’Oxfam, les 42 milliardaires brésiliens ont vu leur patrimoine net passer de 123.100 millions de dollars en mars à 157.100 millions de dollars en juillet, tandis que les sept personnes les plus riches du Chili ont vu leur patrimoine total augmenter de 27% pour atteindre les 26.700 millions de dollars.

Parallèlement, l’endettement des États a atteint des chiffres astronomiques. Selon les calculs du FMI, 30 pays ont dépassé les 100% d’endettement public en 2020. Parmi les 20 pays les plus endettés on retrouve de grandes puissances comme le Japon et les États-Unis. Mais la situation affecte particulièrement les pays périphériques et semi-coloniaux, de l’Angola à l’Argentine, accroissant le risque d’une crise de la dette, surtout si les taux d’intérêts venaient à augmenter. La dette privée et la proportion d’entreprises « zombies », qui survivent grâce aux aides publiques et à l’endettement, ont également considérablement augmenté.

Wall Street pouvait ainsi exulter alors que des millions de personnes perdaient leur emploi. Dans toute l’Amérique Latine, 140 millions de personnes, près de 55% de la population active, travaillent dans l’économie informelle. Près d’une personne sur cinq vit dans un logement surpeuplé. Jusqu’à 52 millions de personnes pourraient tomber dans la pauvreté en Amérique Latine et dans la Caraïbe du fait des conséquences de la pandémie. Et pendant que les riches continuent à gagner de l’argent, cette situation s’accompagne de nouvelles attaques contre le monde du travail. La généralisation et l’imposition de la précarité ou l’augmentation de l’âge de départ à la retraite font partie des politiques mises en place ou que l’on tente d’imposer aux travailleurs. Au regard de cette situation, les aides accordées pour que les familles puissent survivre aux pires moments de la pandémie semblent bien misérables, sans véritable accès universel et sur une durée limitée.

L’effondrement des systèmes de santé dans la quasi-totalité des pays pauvres et dans des pays impérialistes comme les États-Unis, l’État espagnol ou l’Italie, démontre le drame social auquel ont conduit des décennies de néo-libéralisme et de privatisations. La « guerre des vaccins », en cours, est une preuve supplémentaire du caractère irrationnel de la production capitaliste. Pendant que l’on disserte sur la « lutte contre la pandémie », des brevets sont mis en place pour empêcher la diffusion des connaissances scientifiques. Ils permettent à une minorité de pays d’être prioritaires dans la distribution des vaccins, accroissant la profonde inégalité entre pays impérialistes et pays opprimés. L’Afrique, expropriée pendant des siècles par les puissances européennes, est peut-être l’exemple le plus terrible de cette misère générée par la division internationale du travail au travers de laquelle les pays impérialistes exploitent les peuples opprimés. Les pays soumis à des blocus, à des sanctions et à des agressions à constantes des États-Unis et de leurs alliés connaissent une situation particulièrement grave, à l’image du Venezuela, de l’Iran, de Cuba ou du peuple palestinien.

Le néo-libéralisme déclinant est à l’origine du développement de tendances à la polarisation politique. On songera à l’émergence d’organisations comme les Proud Boys d’extrême-droite et au grossier assaut des partisans de Trump contre le Capitole. Ce renforcement de groupes proto-fascistes aux États-Unis, marqués par la tradition du Klu Klux Klan, a d’ailleurs ouvert des débats autour de la question de l’auto-défense dans des organisations du mouvement Black Lives Matter. C’est en ce sens que l’affaiblissement du néo-libéralisme ouvre des scénarios de polarisation, de crise au sein des partis bourgeois et de développement de la lutte des classes.

La recrudescence des tensions entre la Chine et les États-Unis, d’une part, et les tensions entre les différents blocs impérialistes, d’autre part, sont annonciateurs de l’augmentation des affrontements entre États. Cette poussée s’exprime à travers le militarisme croissant des principales puissances mondiales. Cette année, les États-Unis dépenseront 740.000 millions de dollars en budget militaire. La Loi sur l’autorisation de la défense nationale pour l’année fiscale 2021 pourrait permettre une augmentation de budget de 3.000 millions par rapport à l’année précédente, permettant de renforcer la stratégie militaire, économique et politique des États-Unis vis-à-vis de la Chine. Les guerres réactionnaires comme au Nagorno-Karabakh, au Yemen ou en Syrie, sont la conséquence de l’émergence de puissances intermédiaires, dans un contexte de déclin de l’impérialisme étatsunien et de sa capacité à remplir son rôle de « gendarme du monde ».

Au Proche et Moyen-Orient, la défaite des Printemps arabes a conduit à l’imposition de régimes dictatoriaux et réactionnaires. Pendant que les États-Unis maintiennent leur présence militaire en Irak et en Afghanistan, le peuple palestinien reste soumis à l’occupation coloniale de l’État d’Israël et privé de son droit démocratique élémentaire à avoir son propre État. Il en va de même pour le peuple kurde.

La crise actuelle a montré autant l’impossibilité d’une croissance évolutive et infinie dans le cadre de la mondialisation néo-libérale que les limites des tentatives de retour à des politiques isolationnistes et protectionnistes. Le cas Trump a mis en lumière la réalité de la rhétorique « populiste » qui n’était que pure démagogie. Durant son mandat, sur le plan intérieur, les services publics ont vu la baisse de leurs financements s’intensifier, alors qu’ils étaient déjà durement attaqués par les politiques des administrations antérieures, notamment en ce qui concerne la santé, l’éducation ou le logement. Sur le plan international, la politique « anti-mondialiste » de Trump s’est limitée à une série de tentatives d’améliorer la position des États-Unis par rapport à la Chine, à la Russie et à l’Union Européenne, en mettant fin aux alliances et aux accords multilatéraux, caractéristiques des administrations précédentes et en particulier de celle d’Obama.

On ne sait pas encore si l’administration Biden réussira à imposer une contre-tendance à l’instabilité croissante qui s’est développée au niveau de la géopolitique internationale. Quoi qu’il en soit, le déclin de l’hégémonie étatsunienne se poursuit. Cette situation est notamment perceptible, du point de vue de la politique intérieure, dans la crise à laquelle font face le Parti Démocrate et le Parti Républicain du fait de la détérioration de la situation sociale, de l’augmentation du racisme ou de la crise sanitaire. Face à la crise, l’administration Biden prend des mesures « keynésiennes » limitées dont il est difficile de mesurer, aujourd’hui, l’impact et la portée. Cependant, elles s’inscrivent dans la continuité du tournant initié par Trump et constituent un saut dans l’abandon de la discipline fiscale néo-libérale et de « l’Etat minimum » qu’ont défendu les Démocrates et les Républicains pendant des décennies. L’un des objectifs de l’ambitieux plan d’infrastructures annoncé par Biden est de permettre aux États-Unis d’être plus compétitifs face à la Chine. Il génère des tensions entre les deux partis et au sein de plusieurs secteurs hégémoniques du capital en raison des augmentations limitées d’impôts et des concessions accordées aux syndicats. Pour l’instant, le plan de 1.900 milliards d’aide d’urgence est un plan de court-terme. Le prochain projet annoncé sera de moyen-terme et soulève déjà l’opposition du Parti Républicain, d’un secteur du patronat et des démocrates modérés du Sénat. A long-terme, les moteurs d’accumulation qui permettraient au capitalisme étatsunien de renouer avec une reprise pour retrouver les conditions d’avant la crise de 2008 ne sont pas clairement définis. Ce qui est clair, c’est que le pari de la classe dominante et de l’administration Biden est de coopter et de canaliser le monde du travail et les mouvements sociaux, en s’appuyant pour cela sur les bureaucraties ouvrières et des organisations du mouvement social.

Au niveau international, on ne peut que souligner les difficultés de la principale puissance mondiale pour imposer ses politiques et recréer le consensus antérieur, lorsque ses alliés structuraient la base de son hégémonie.

La pandémie, de son côté, a agi comme un catalyseur qui a exposé les contradictions du capitalisme à tous les niveaux : entre le caractère social de la production et la forme privée de l’appropriation, dont l’exemple le plus irrationnel – mais pas le seul – est celui des brevets sur les vaccins, entre le caractère international de l’économie et la forme nationale des États qui apparaît dans les éléments de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les tensions entre les États-Unis et l’Union Européenne, mais aussi au sein de l’UE, mais également dans le renforcement de la pression impérialiste sur les pays dépendants dans le cadre des politiques du FMI. Par ailleurs, les processus massifs de lutte de classe dont ont été le théâtre un certain nombre de pays, récemment, montrent la prégnance des affrontements de classe sur la scène internationale. Ces processus, néanmoins, expriment davantage une tendance à la révolte et à la rébellion qu’à des révolutions qui feraient face, frontalement, aux États capitalistes.

Ces éléments actualisent le cadre historique et stratégique de crises, guerres et révolutions à partir duquel le marxisme classique avait caractérisé l’époque de l’impérialisme au début du XXème siècle. D’où l’actualité de la lutte anti-impérialiste et socialiste. En dépit de la restauration capitaliste dans les États ouvriers bureaucratisés et des décennies d’offensive néo-libérale contre les conditions de vie du monde du travail et des masses populaires dans le monde entier, le capitalisme n’a non seulement pas su résoudre ses contradictions et tendances à la crise. Il les a portées à un niveau extrême qui souligne toujours plus l’incompatibilité entre le capitalisme et la survie de l’espèce humaine et de la planète.

Le retour de la lutte des classes

Avant le début de la pandémie, déjà, nous faisions face à une poussée de la lutte de classes dans de nombreux pays. Du Liban à l’Équateur, de la France à la Bolivie, du Chili aux États-Unis, de l’Algérie à Hong-Kong, le monde du travail, les femmes, la jeunesse, le mouvement anti-raciste et de larges secteurs populaires sont descendus dans la rue pour contester les politiques d’« austérité » des gouvernements qui appliquent les recettes du FMI, contre le racisme et les violences policières ou encore contre le coup d’État en Bolivie.

Pendant des mois, la mise en place de mesures de confinement dans la plupart des pays du monde a réduit l’intensité de cette poussée des luttes qui allait en s’intensifiant. Mais la pandémie a également montré le rôle des travailleurs et travailleuses essentiels, sans lesquels le monde ne pourrait tourner, et qui ont pris conscience de leur force. Des secteurs précaires de la classe ouvrière ont commencé à s’organiser dans de nouveaux syndicats ou ont pris la tête de mobilisations et de grèves partielles pour de meilleures conditions de travail dans différents pays. On songera, ainsi, aux travailleurs agricoles, aux travailleurs de la logistique, aux salariés d’Amazon, aux personnels de la santé, du nettoiement ou de l’éducation. Enfin, au pic de la pandémie aux États-Unis, on a assisté au surgissement de l’immense mouvement de masse contre les violences policières et racistes à la suite à l’assassinat de George Floyd.

Par la suite, on a vu des grèves ouvrières massives et la lutte des paysans en Inde, la résistance déterminée du mouvement de masse face au coup d’État militaire au Myanmar ou encore des processus moléculaires mais significatifs de luttes, à l’image de la grève emblématique des raffineurs de Grandpuits contre le géant Total en France ainsi que de multiples processus de lutte et d’organisation dans différents pays comme l’Italie ou l’Argentine. De nouvelles générations ont émergé au cours des combats de ces dernières années, tant dans le cadre de mobilisations ouvrières qu’autour de revendications spécifiques du mouvement des femmes, qui a connu des avancées fondamentales en termes de capacité de lutte et d’organisation. D’autres mouvements ont également gagné en importance, à l’instar de la mobilisation contre la crise écologique, au sein de laquelle la jeunesse joue un rôle central.

Selon une analyse sur la conflictualité sociale menée par l’agence d’évaluation des risques Versisk Maplecroft, 47 pays, soit près d’un quart de la planète, ont connu d’importants « troubles civils » pour la seule année 2019. A cette agitation sociale se sont ajoutées, en 2020, de nouvelles mobilisations et manifestations de masse, qui continuent pour partie, en Biélorussie, en Thaïlande et jusque dans l’extrême orient russe, sans parler des grèves massives en Indonésie ou la rébellion qui a renversé le gouvernement au Pérou et une agitation de fond qui agite une bonne partie du monde.

Entre 2008 et 2020, on a vu d’importants processus de grève générale et de lutte de classe, de l’Inde à l’Afrique du Sud en passant par le Brésil, le Chili, la Colombie, la Corée du Sud, l’Algérie, la France et d’autres pays. Ce faisant, les mobilisations à caractère « populaire » n’ont pas hésité à passer à un niveau supérieur de violence pour faire face à la répression policière.

Aux débuts des années 2010, nous avons identifié un premier cycle de lutte de classe initié par les soulèvements révolutionnaires au Proche et Moyen-Orient et dont l’Égypte et la Tunisie ont été les épicentres. Cette vague s’est étendue à d’autres pays avec des phénomènes tels qu’Occupy Wall Street aux États-Unis ou le mouvement des Indignés dans l’État espagnol. Elle a eu un écho en Amérique Latine avec le mouvement étudiant de 2011 au Chili, ou encore le mouvement « Yo soy 132 » au Mexique. Si ce cycle s’est terminé par des défaites, allant du coup d’État militaire en Égypte aux guerres civiles réactionnaires en Libye et en Syrie, en passant par la canalisation des mobilisations en Grèce, où Syriza a mis en œuvre les plans d’austérité de la Troïka, ou dans l’État espagnol, avec l’aide des néo-réformistes de Podemos, cette séquence a exprimé de premières tentatives, de la part des masses, à réagir à la crise capitaliste.

Dans le cadre d’une certaine atonie de l’économie mondiale, tendant à la récession, 2018 a coïncidé avec le début d’une nouvelle vague de lutte des classes en France, avec l’apparition des Gilets jaunes, dont la radicalisation a infusé les luttes postérieures, à l’image des grèves contre la réforme des retraites de Macron. L’explosion des Gilets jaunes s’est étendue internationalement en 2019 avec la révolte à Hong-Kong et les soulèvements en Argentine et au Soudan. En Irak, pays écrasé par la guerre, des mobilisations massives ont vu le jour, de même qu’au Liban. En Amérique Latine, on a vu des révoltes et des rébellions populaires en Équateur, Colombie, Chili et à Porto Rico, où l’on a assisté au retour de grèves de masse.

Certaines de ces grèves massives ont eu lieu dans le cadre d’énormes mobilisations populaires de rue, comme on a pu le voir à Hong-Kong, au Chili, en Thaïlande, en Ukraine, au Liban ou en encore en Irak. L’Institut Syndical Européen calcule qu’entre 2010 et 2018 il y a eu 64 grèves générales dans l’Union Européenne, dont près de la moitié en Grèce. Plus généralement, l’OIT estime que selon les données collectées dans quelque 56 pays, il y a eu 44.000 arrêts de travail entre 2010 et 2019, principalement dans le secteur secondaire. Ce rapport de l’OIT souligne cependant qu’au vu des données limitées, le nombre de grève pourrait être bien plus important.

La nouvelle vague de révoltes et de rébellions populaires qui ont secoué plusieurs régions du globe a été limitée par l’action des bureaucraties syndicales et des partis réformistes, qui ont cherché à canaliser les initiatives des masses. Elles ont empêché que ces réactions importantes aux attaques des gouvernements capitalistes, par la grève générale ou des affrontements violents avec la police, ne dépassent le stade d’une forte pression sur les régimes en place. Cependant, ces mobilisations sont le ciment des nouveaux processus de lutte de classes et du surgissement d’ailes d’avant-garde ouvrière et populaire qui permettront de recomposer la subjectivité du prolétariat. L’articulation entre lutte de classes et radicalisation politique de secteurs d’avant-garde est un terrain fertile pour le surgissement de partis révolutionnaires et pour une actualité nouvelle des idées du marxisme révolutionnaire.

La puissance de la classe ouvrière

Ces processus de lutte de classe prennent place dans un contexte où la classe ouvrière maintient sa puissance structurelle. Selon l’OIT, la force de travail au niveau mondial a augmenté de 25% entre 2000 et 2019. Les personnes employées sont passées de 2,6 milliards à 3,3 milliards au cours des deux premières décennies du XXIème siècle, soit là encore une hausse de 25%. Parmi ces personnes employées, 53% perçoivent un salaire ou une rémunération contre 43% en 1996, 34% se considèrent comme des travailleurs indépendants (contre 31% en 1996), 11% travaillent dans des structures familiales (contre 23% en 1996), et 2%, enfin, contre 3,4% en 1996, sont également employeurs.

Le capitalisme a intégré à ses « chaînes de valeur globale » jusqu’au travail le plus élémentaire, réalisé jusqu’alors par des membres d’une même famille dans des recoins reculés de la planète. Sur la même période, tandis que le poids des services a augmenté de 60% en deux décennies, la force de travail employée dans l’industrie a augmenté de 40%. A rebours du mythe d’un monde « post-industriel », la force de travail employée dans le secteur secondaire est passée de 393 millions de personnes en 2000 à 460 millions en 2019, ou encore de 536 millions à 755 millions si l’on intègre le secteur minier et le bâtiment. Les communications et les services urbains employaient près de 226 millions de personnes en 2019, contre 116 en 2000.

Les processus de relocalisations d’importantes industries hors États-Unis et Europe et la reconversion de différentes activités ont créé deux grands pôles ouvriers à échelle mondiale. On compte ainsi des millions de travailleurs dans les grandes industries installées en Asie ou dans les pays périphériques, ainsi qu’un secteur très concentré de la logistique et de la distribution dont le poids est particulièrement important dans les pays capitalistes les plus développés, et en particulier dans les grands centres urbains mondiaux. A cela s’ajoute la prolétarisation croissante de secteurs de travailleurs qui, dans le passé, étaient liés socialement et culturellement à la petite-bourgeoise urbaine mais dont les conditions de vie tendent à se rapprocher de celles du monde du travail plus classique : travailleurs de la santé et de l’éducation, fonctionnaires, travailleurs des services, etc. Tandis que des secteurs comme le pétrole, l’énergie, les transports, les ports ou la logistique occupent des positions stratégiques dont la mise à l’arrêt entraîne la paralysie de la circulation de marchandises et des personnes, ceux qui sont liés aux services publics et aux tâches de reproduction sociale (éducation, santé, soins, etc.) sont à la jonction de l’articulation possible entre classe ouvrière organisée et les secteurs les plus modestes des classes populaires des grandes villes.

Cette réalité de la classe et sa force d’un point de vue stratégique contredisent les idées véhiculées par les courants dits post-capitalistes. Ces derniers considèrent que le système actuel va vers une automatisation quasi-totale des processus de production qui rendra superflue la force de travail, remplaçant le travail humain par des machines sans que ne changent les rapports de production. A l’inverse, plusieurs études soulignent combien les dernières décennies ont permis des progrès en termes d’intelligence artificielle, de robotisation et d’automatisation des processus de production mais ont été accompagnées par une augmentation croissante de la journée de travail. A travers différents mécanismes, allant de l’annualisation des heures de travail, la constitution de comptes-temps dans les entreprises et d’autres outils de précarisation et d’attaques contre les conquêtes du monde du travail, le capitalisme a démontré qu’il ne développe la technologie qu’à condition que celle-ci permette d’accroître ses profits, et non en fonction des besoins de la population.

La lutte contre le racisme et le capitalisme impérialiste

Cette puissance sociale du monde du travail ne peut gagner que si elle entreprend de liquider le capitalisme impérialiste. Sur cette voie, elle doit s’articuler politiquement avec les revendications de l’ensemble des secteurs opprimés. La lutte contre le racisme et la xénophobie a montré toute sa force au cours des dernières années. C’est ce dont témoigne la montée en puissance de Black Lives Matter (BLM), aux États-Unis, qui mène une rébellion au cœur de l’impérialisme. Le mouvement BLM a exposé au monde entier le caractère profondément raciste de l’État américain et le lien indissoluble entre capitalisme et racisme : non seulement en raison du caractère meurtrier des polices contre les minorités ethniques, mais aussi parce que le capital en général utilise le racisme pour alimenter l’armée industrielle de réserve et pour diviser la classe ouvrière en travailleurs de première, deuxième et troisième catégorie en fonction de leur appartenance ethnique ou de leur statut d’immigrant. C’est la raison pour laquelle il existe des lois réactionnaires sur l’immigration, des murs entre les pays, des centres de rétention et des expulsions. Tout ceci alimente la violence policière et institutionnelle et c’est ce que les États-Unis imposent au Mexique, aux pays d’Amérique centrale et de la Caraïbe et que les impérialismes européens imposent aux pays d’Europe de l’Est, d’Afrique et d’Asie.

L’Union européenne consacre des milliards à la protection des frontières à travers son agence Frontex afin d’empêcher les réfugiés de traverser la Méditerranée. En conséquence, huit personnes meurent chaque jour en tentant passer en Europe par la mer. L’Union européenne a de fait supprimé le droit d’asile en installant des camps de rétention à ses frontières extérieures et en adoptant un discours visant à diviser les migrants entre ceux qui « méritent » l’asile et ceux qui ne le mériteraient pas. Ainsi, une grande majorité de réfugiés sont hors-la-loi, condamnés à survivre dans des conditions indignes, à la surexploitation et à l’oppression raciste.

Le monde du travail aux États-Unis et en Europe est multiracial. La pandémie a révélé que les travailleurs afro-américains, latinos et caribéens constituent une partie fondamentale des travailleurs dits « essentiels » aux États-Unis, tout comme les travailleurs turcs, arabes, kurdes et africains en Europe.

Dans le contexte de la pandémie et dans le sillage de l’assassinat de George Floyd aux États-Unis, le mouvement le plus massif de l’histoire récente a vu le jour. Il s’est affronté à la police et a souligné une fois de plus que le racisme est un problème structurel intimement lié à l’histoire de la formation du pouvoir de l’État et des institutions du pays. La confluence des anciennes et nouvelles organisations racistes et d’extrême droite qui ont fait irruption sur le devant de la scène politique étatsunienne à travers des rassemblements contre les mesures de confinement ou contre BLM ou encore avec l’assaut contre le Capitole n’est pas le fruit du hasard.

La crise que traverse l’impérialisme étatsunien ouvre de nouveaux scénarios pour la lutte des classes et crée des opportunités pour l’action du prolétariat. Mais une orientation révolutionnaire aux Etats-Unis ne saurait laisser de côté comme l’un de ses principaux drapeaux la question de la lutte pour la libération du peuple noir et contre l’oppression des minorités ethniques et des immigrants. L’aile gauche du Parti Démocrate - alignée sur la bureaucratie syndicale qui a historiquement contribué à soutenir le racisme au sein du mouvement ouvrier - rejette la lutte spécifique contre le racisme, la qualifiant de « politique communautariste ». Les bureaucraties qui dirigent le mouvement noir, en tant qu’agents du Parti Démocrate, séparent la lutte contre le racisme de la lutte contre le capitalisme. Ces deux orientations mènent à une impasse.

Les deux stratégies s’opposent à la lutte contre le racisme systémique et contre l’exploitation capitaliste qui devrait trouver les travailleurs afro-américains en première ligne du combat du puissant et multiracial prolétariat étatsunien.

Il est central de défendre avec force les drapeaux de l’antiracisme, de la lutte implacable contre les groupes proto-fascistes, contre la police raciste et unir ces combats à celui de la lutte de classe contre le patronat, la grande bourgeoisie et l’État impérialiste.

Les exemples historiques des grandes grèves de Detroit en 1968 ont montré que cela était possible. Plus près de nous, on songera aux débrayages organisés par plusieurs sections syndicales en soutien au BLM et pour protester contre le meurtre de George Floyd. C’est ainsi que la grève des dockers de 24h du 19 juin 2020 a paralysé 29 ports de la côte ouest, ou encore que des centaines d’actions ont été menées dans les entrepôts d’Amazon, les supermarchés et les fast-foods par des équipes syndicales pour dénoncer la violence policière raciste. On a également pu voir des manifestants antiracistes fraterniser avec des travailleurs dits essentiels dans des actions communes. Les campagnes régionales menées par la base de certaines organisations syndicales locales pour demander aux directions syndicales de désaffilier les syndicats de police des centrales syndicales sont également un exemple de tendances concrètes à l’unité.

Alors que le mouvement BLM a réduit sa présence dans les rues et a été dévié vers le « vote utile » en faveur de Joe Biden et Kamala Harris, les braises du mouvement sont toujours bien vivantes et s’expriment par l’émergence de dizaines d’organisations d’avant-garde antiracistes dans plusieurs agglomérations, petites et grandes, dans tout le pays. Parmi elles, il y a des organisations qui commencent à se radicaliser politiquement, luttent pour l’indépendance politique du mouvement vis-à-vis du Parti Démocrate et adoptent de plus en plus une perspective de classe pour unifier la lutte antiraciste à la lutte anticapitaliste. C’est le cas, par exemple, de Detroit Will Breathe qui a vu le jour dans cette ville emblématique de la Rust Belt.

Cette avant-garde, qui a émergé dans le feu du mouvement BLM, coexiste avec et fait partie d’un phénomène idéologique à gauche plus large qui s’est développé depuis Occupy Wall Street, avec la candidature de Bernie Sanders et qui a permis un développement spectaculaire des Socialistes Démocratiques d’Amérique (DSA). Si DSA a su répondre à l’imaginaire des « millennials » influencés par les idées du socialisme, l’organisation est aujourd’hui adaptée à la gauche du Parti Démocrate, qui travaille à son tour pour la nouvelle administration Biden.
La persistance de cette avant-garde se conjugue avec l’émergence de grandes luttes locales qui peuvent s’étendre au niveau fédéral. On pensera à la tentative de syndicalisation de plus de 5100 travailleurs d’Amazon, majoritairement afro-américains, à Bessemer, dans l’Alabama. Même la presse bourgeoise a dû reconnaître que la lutte contre Amazon est l’expression des liens profonds unissant la lutte antiraciste et la lutte contre les grands patrons que symbolise la multinationale. La lutte en tant que telle s’est terminée, pour l’heure, sur un échec. Elle ne représente pas moins une première bataille pour imposer un syndicat à cette multinationale, propriété de Jeff Bezos.

En Europe également la lutte contre le racisme est étroitement liée à la lutte contre les politiques impérialistes qui ne font qu’engendrer guerres, exils et morts dans les pays d’Afrique et du Proche et Moyen-Orient. C’est en ce sens qu’il est central de défendre un programme anti-impérialiste qui s’oppose aux interventions militaires et aux exportations d’armes des puissances capitalistes. En 2018, l’Europe a connu une vague de grèves portuaires au caractère exemplaire : les dockers du Havre, de Gênes, de Santander et de Marseille ont refusé de charger le cargo saoudien Bahri-Yanbu avec du matériel de guerre. Ils se sont mis en grève et ont envoyé un message véritablement internationaliste : « Ports fermés pour la guerre - ports ouverts pour les migrants ».

Pour l’unité et l’hégémonie de la classe ouvrière

Alors que la lutte de classe la plus dynamique s’exprime dans de nombreux cas par l’intervention des opprimés dans des mouvements polyclassistes, l’extrême-gauche internationale s’est retrouvée entre les courants ayant défendu une politique abstentionniste et ceux qui s’adaptent de manière opportuniste aux directions desdits mouvements sociaux ou aux bureaucraties syndicales, sans lutter pour une direction ouvrière et révolutionnaire en leur sein.

Face à la rébellion des Gilets jaunes en 2018, la première réponse du gouvernement d’Emmanuel Macron a de taxer le mouvement de manifestations l’extrême-droite. Les dirigeants syndicaux ont adopté cette lecture, y compris la CGT. Cela a également été le cas de certains courants d’extrême gauche. Alors que le caractère hétérogène des manifestants qui se retrouvaient en son sein, les limites de son organisation et le faible niveau de conscience de classe ont fait peser sur le mouvement des Gilets jaunes le danger d’un renforcement de la minorité réactionnaire d’extrême droite qui y intervenait, sa radicalité, ses revendications sur les inégalités économiques et ses aspirations démocratiques lui ont donné un contenu progressiste. Dans ce contexte, le rôle des révolutionnaires était d’essayer de lutter contre la minorité d’extrême droite du mouvement, tant sur le plan politique qu’idéologique, au lieu de lui tourner le dos. C’est la raison pour laquelle en tant que NPA - Révolution Permanente nous avons lutté pour l’auto-organisation démocratique du mouvement, la nécessité de former des comités d’action pour l’étendre et l’unifier aux principaux bastions de la classe ouvrière, de la jeunesse et des quartiers populaires pour faire plier Macron à travers la grève générale. Parallèlement, nous nous sommes battus dans les structures ouvrières et étudiantes où nous intervenons ainsi que dans les syndicats, non seulement pour qu’ils soient solidarisent du mouvement des Gilets jaunes mais également pour qu’ils le rejoignent. Depuis le Collectif inter-gares, hérité de la grande grève ferroviaire de 2018, et le Comité Vérité et Justice pour Adama, nous avons défendu, dès les premières actions des Gilets jaunes, ce qui s’est appelé le « Pôle Saint-Lazare ». Ce pôle de travailleurs, de jeunes et de secteurs des quartiers populaires, appelait à marcher ensemble, depuis la gare Saint-Lazare, pour ensuite rejoindre les Gilets jaunes et manifester avec eux, sur la base de ses propres revendications. Ce pôle a réussi à rassembler plusieurs milliers de personnes dans les rues et des centaines dans les assemblées et a joué un rôle important pour casser l’isolement que le gouvernement et la bureaucratie syndicale cherchaient à imposer au mouvement.

L’importance d’une politique hégémonique conserve sa validité par rapport aux secteurs sociaux qui ne font pas partie du monde du travail mais qui ont des intérêts convergents avec lui. On peut prendre comme exemple le cas de l’alliance entre les raffineurs en grève de Total Grandpuits, en France, et les mouvements écologistes face à la fermeture et la restructuration de la raffinerie, que la multinationale présentait comme au service d’une soi-disant transition écologique. Les grévistes ont démontré que le projet de Total n’avait rien d’écologique. Ils ont dénoncé le rôle du géant pétrolier dans des pays comme le Mozambique et l’Ouganda et ont défendu la perspective selon laquelle seuls les travailleurs pouvaient garantir une transition véritablement écologique et qui ne se mène pas au prix de centaines d’emplois sacrifiés et de la sécurité des travailleurs et des habitants de la région. Dans le même ordre d’idées, on peut souligner la lutte des travailleurs du chantier naval Harland and Wolff en Irlande, qui luttent contre la fermeture et pour la défense de l’ « énergie propre ». Contre le greenwashing et les appels au grand capital, qui est lui-même le principal responsable du changement climatique, ces luttes représentent des exemples pour penser une réponse ouvrière face à la crise climatique. De telles orientations doivent être proposées et généralisées pour la jeunesse, qui se trouve à la croisée de chemins entre le socialisme et la barbarie, dans la lutte contre le changement climatique.

Par ailleurs, la classe ouvrière doit prendre en main le drapeau des peuples indigènes historiquement opprimés par les États capitalistes et la lutte pour la défense de leurs territoires dans toute l’Amérique latine. Nous n’oublions pas que la droite pro-impérialiste qui attaque la classe ouvrière est la même qui a brûlé le Wiphala en Bolivie, soulignant le caractère raciste du coup d’Etat de novembre 2019, et qui s’en est pris aux communautés d’origine aymara, quechua ou tupi guarani. L’histoire des peuples autochtones est une histoire de résistance, comme en témoigne la lutte héroïque du peuple mapuche. L’alliance entre les travailleurs, les paysans et les peuples indigènes revêt une dimension stratégique si l’on entend faire plier les capitalistes et leurs institutions. Cependant, cette alliance est impossible si les travailleurs ne reprennent pas à leur compte. Cela commence par la reconnaissance du droit à l’autodétermination nationale, face à l’échec de l’ « intégration » institutionnelle que les gouvernements bourgeois et les « progressistes » ont soutenue. Cela implique la démilitarisation des territoires revendiqués par les peuples indigènes, la distribution agraire liée à l’expropriation des industries agricoles et forestières. L’exemple de la résistance au coup d’État en Bolivie, qui s’est développée dans le district 8 de l’usine de Senkata, montre le potentiel de l’alliance entre les travailleurs, les paysans et les peuples indigènes.

Dans le même sens, nous entendons souligner l’importance qu’il y a à articuler les combats du monde du travail aux mouvements des femmes et des personnes LGBTI qui se sont massivement développé, à travers le monde. Aucun projet d’émancipation sociale ne peut se refuser de reprendre les revendications des femmes. Il s’agit de revendications centrales et vitales car elles visent à remettre en cause les politiques des États et de la classe dirigeante qui entretiennent l’oppression des femmes sous le capitalisme, ce qui implique l’intensification de la violence de genre, la négation de leurs droits les plus élémentaires, l’imposition de la dégradation des conditions de vie et de travail. Au cours des dernières années, face à l’émergence d’un important mouvement de femmes dans plusieurs pays, nous avons participé activement à de multiples assemblées et plateformes unitaires, soutenu les « grèves des femmes » et lutté pour constituer une aile révolutionnaire, socialiste et de classe au sein du mouvement. En ce sens, nous avons affronté aussi bien les secteurs du féminisme libéral que les secteurs séparatistes - qui se refusent d’unifier la lutte des femmes avec le reste des secteurs opprimés - ainsi que les tendances punitivistes qui cherchent à renforcer les mécanismes répressifs de l’État bourgeois comme réponse à la violence machiste. Nous luttons également contre la cooptation du mouvement des femmes par des « alternatives néolibérales aux apparences progressistes » à l’instar du Parti Démocrate aux États-Unis, du gouvernement PSOE-Podemos dans l’État espagnol ou encore du « féminisme des ministères » défendu par le kirchnérisme en Argentine. Parallèlement, nous avons mis toutes nos forces pour donner une voix aux luttes des femmes travailleuses contre l’exploitation capitaliste, pour le droit au logement ou contre le racisme institutionnel. Pendant la pandémie, les travailleuses et les migrantes ont été en « première ligne » de la lutte contre le coronavirus et aujourd’hui elles méritent d’être en première ligne de la lutte des classes. Pour lutter dans la perspective d’un féminisme socialiste et ouvrier, nous soutenons le courant Du Pain et des Roses/Pan y Rosas dans chaque pays et au niveau international.

En tenant compte de la lutte contre le racisme et de la lutte des femmes, l’unité du monde du travail implique non seulement la lutte pour l’égalité des droits sur le plan économique mais également l’élévation des revendications spécifiques de tous ces secteurs qui font socialement partie de la classe ouvrière. Ce qui, historiquement dans le marxisme, était connu comme une politique d’hégémonie ouvrière, consistant à tisser des alliances entre la classe ouvrière et les autres secteurs sociaux opprimés, en liant leurs revendications à l’objectif de renverser le régime capitaliste, doit continuer à être défendu, aujourd’hui. C’est une condition indispensable pour réaliser l’unité de la classe elle-même.

Polarisation, tendances bonapartistes et défense des libertés démocratiques

Dans le cadre de la crise capitaliste, ces dernières années, des formations de droite nationaliste ou « populistes » se sont développées dans plusieurs pays à travers le monde, mais surtout en Europe et aux États-Unis. On songera, ainsi, aux courants d’ultra-droite liés à Trump ou aux nationalismes des pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque). Leur politique consiste à s’attaquer aux droits démocratiques les plus élémentaires, sur la base d’un discours présenté comme « anti-establishment ». Ils prennent pour cible des secteurs du monde du travail et des classes populaires, les femmes, les immigrés et les communautés LGBTI, ils alimentent les préjugés racistes et xénophobes (antisémites, islamophobes et anti-Roms), en mettant en avant, par exemple, les « racines chrétiennes de l’Europe » dont leurs pays seraient les garants contre les « invasions » étrangères. Tous cherchent à renforcer un appareil exécutif de plus en plus autoritaire à travers, entre autres, une concentration du pouvoir entre les mains du parti au pouvoir, un contrôle par l’exécutif des différents pouvoirs et institutions de l’État, un contrôle de plus en plus restrictif des médias et répression ou encore une modification des lois électorales.

Bolsonaro est au Brésil le représentant de ce courant international de l’extrême droite qui a été promu par Donald Trump, et qui après sa défaite électorale conserve une importante base sociale. Il s’agit d’un politicien qui entretient des relations avec les milices paramilitaires réactionnaires, avec la police et avec des secteurs des forces armées. Le Brésil est l’un des pays qui développe le plus les tendances bonapartistes au niveau international, mais il est également soumis aux effets des crises organiques résultant de la Grande Récession de 2008 et de la pandémie. Bolsonaro est incapable d’établir une hégémonie de l’extrême droite et son gouvernement est un gouvernement instable comme le montrent la crise de la pandémie, les remaniements ministériels forcés et la crise avec certains secteurs des forces armées. La lutte contre ces tendances bonapartistes, qui au Brésil incluent l’autoritarisme judiciaire, doit être menée en toute indépendance politique, de classe, et sur la base de l’auto-organisation. C’est l’une des batailles les plus importantes qui se pose à l’avant-garde. Aux côtés de nos camarades du Mouvement Révolutionnaires des Travailleurs, nous luttons pour un programme ouvrier transitoire contre l’ensemble du régime du coup d’État institutionnel de 2016, contre Bolsonaro, Mourão et les putschistes, dans la perspective d’une Assemblée constituante libre et souveraine, qui permette aux travailleurs, aux femmes et aux Afro-brésiliens, qui se trouvent en première ligne, de prendre toute décision quant aux problèmes structurels du pays, économiques et démocratiques.

Si l’on considère la situation dans sa globalité, cependant, l’extrême droite n’est pas la seule à s’en prendre aux libertés démocratiques. Cela se voit dans le fait que plusieurs gouvernements classés au centre ou même qualifiés de « progressistes » ont défendu les mesures d’état d’exception et la répression des travailleurs et des mouvements populaires. C’est le cas du gouvernement Macron en France qui est responsable des dizaines de mutilations de manifestants dans le cadre soulèvement des Gilets jaunes, du jamais vu au cours des dernières décennies. Cela fait partie d’un tournant dans la répression des grèves et des mobilisations sociales. On songera, également, à la défense de la monarchie espagnole contre l’indépendantisme catalan, ou encore à la justification de la militarisation et des politiques anti-immigration sous couvert de « lutte contre le terrorisme ».

La pandémie exacerbe les mesures de contrôle à travers les confinements, les couvre-feux et l’imposition d’états d’exception. En Amérique latine, la dérive désastreuse du gouvernement Maduro est l’expression la plus frappante de la façon dont la militarisation du régime, loin de combattre l’impérialisme, attaque la classe ouvrière en pulvérisant des salaires qui, mensuellement, ne dépassent pas deux dollars en moyenne.

En tant que révolutionnaires, nous luttons pour une démocratie ouvrière basée sur les organes d’autodétermination des masses exploitées. Nous nous situons en première ligne de la lutte contre toute attaque contre les libertés démocratiques. Dans l’État espagnol, aux côtés de nos camarades du Courant Révolutionnaire des Travailleuses et Travailleurs (CRT), nous avons défendu les revendications légitimes du mouvement démocratique en Catalogne pour le droit à l’autodétermination qui s’est exprimé ces dernières années à travers de multiples manifestations de masse, des mobilisations de la jeunesse et le référendum du 1er octobre 2017. Dans le cadre de cette lutte, nous combattons également à la répression de l’État espagnol centraliste et monarchiste et nous exigeons la liberté de tous les prisonniers politiques. Ce faisant, nous nous opposons à la politique conciliante des directions bourgeoises et petites-bourgeoises du « procés » catalan et nous soulignons la nécessité d’une stratégie d’indépendance de classe. L’horizon de la lutte pour une République socialiste catalane s’inscrit dans la perspective de la lutte pour une Fédération des Républiques socialistes ibériques.

Contre les tentatives de réduire les libertés et les droits démocratiques par des régimes de plus en plus répressifs contre le monde du travail et les classes populaires, nous exigeons la fin de la militarisation, des états d’exception et des couvre-feux qui ne sont d’aucune utilité pour faire face à la pandémie. Nous revendiquons également la fin des institutions oligarchiques comme le sénat et la figure autoritaire du président de la république qui concentre les pouvoirs sur les travailleurs. Nous défendons le droit au suffrage universel, sans restriction aucune, l’élection populaire des juges et des jurés populaires, la formation d’une assemblée unique de représentants élus au suffrage universel dès l’âge de 14 ans, sans discrimination de sexe ou de nationalité, avec des représentants révocables qui doivent toucher le même salaire que n’importe quel travailleur ou travailleuse.

Nous soutenons également l’abolition des lois réactionnaires sur l’asile, la fermeture immédiate des camps de rétention et l’ouverture de toutes les frontières à tous les demandeurs d’asile ainsi qu’un plan d’urgence comprenant un soutien aux réfugiés, l’accès au logement, des droits sociaux et politiques complets et l’accès au travail à égalité avec les travailleurs « nationaux ». Il s’agit là de revendications qui doivent être défendus par la gauche socialiste et révolutionnaire et par la classe ouvrière dans son ensemble.

Nous mettons en avant l’ensemble de ces revendications pour défendre les droits démocratiques en défendant des revendications démocratiques radicales, inspirées des expériences historiques à l’instar de la Convention jacobine ou la Commune de Paris, comme autant de leviers pour accélérer l’expérience des masses avec la démocratie bourgeoise et tarauder la base des régimes capitalistes et leur démocratie au service des riches. Pour affronter, également, tout autant les extrêmes droites les plus réactionnaires que les tendances bonapartistes des régimes dans leur ensemble, en unissant la lutte pour les revendications démocratiques à un programme pour un gouvernement ouvrier.

L’actualité d’un programme de transition pour affronter la crise capitaliste

Les revendications les plus immédiates que nous avons mises en avant doivent s’articuler à d’autres, de caractère transitoire anticapitaliste. Elles doivent chercher à construire un pont entre la conscience actuelle des masses et l’objectif du socialisme de façon à garantir de manière pleine et entière la mise en place des revendications que pose le développement de la lutte des classes. La crise du logement conduit à l’expulsion de millions de familles pauvres de leur domicile, avec la complicité des forces de répression. Face à cela, nous exigeons l’expropriation des logements vides du parc immobilier contrôlé par les grandes entreprises de façon à répondre à cette crise. Nous exigeons également, entre autres, la nationalisation des entreprises stratégiques sous contrôle ouvrier dès lors que ces entreprises augmentent les tarifs des services dans les quartiers populaires. A travers ce programme, nous cherchons à unifier les revendications du monde du travail et à encourager le développement des luttes sectorielles en les liant à une lutte généralisée contre le gouvernement et l’État.

Les problèmes d’articulation entre les revendications de classe et celles d’autres secteurs populaires ont également été abordés par Léon Trotsky, dans les années 1930, dans sa théorie de la révolution permanente et dans le Programme de transition. Le monde d’alors était plus agraire et rural et moins urbain et industriel qu’aujourd’hui. La théorie de la révolution permanente n’oppose pas la lutte pour des revendications sociales ou démocratiques spécifiques à la révolution et au socialisme. Bien au contraire. En soulignant l’importance de ces revendications comme moteurs de la mobilisation des masses, elle rappelle que leur application intégrale et définitive est impossible si on la détache d’une lutte contre le capitalisme qui vise à en finir avec la propriété privée des moyens de production et qui conduise la société vers le communisme. Lorsque nous parlons de communisme, nous nous référons, à l’instar de Marx, à une société de producteurs libres dans laquelle la destruction des rapports de propriété, des classes et de l’État et le dépassement des formes multiples d’oppression permettent à chacun de développer au maximum ses capacités en contribuant, en fonction de ce qui est nécessaire, au travail collectif de la société.

Tout au long de l’année 2020, les grandes entreprises et les gouvernements ont fait payer au monde du travail et aux secteurs populaires la facture de la crise économique et sanitaire. La Fraction Trotskyste souligne l’importance de mesures élémentaires telles que l’abolition des brevets pour permettre la production et la distribution généralisée de vaccins, le paiement intégral des salaires en cas de maladie ou en cas d’arrêt des activités pour cause de confinement, la suspension des échéances en raison de dettes ou crédits contractés par le petit commerce, des impôts progressifs sur les grandes fortunes, la centralisation et la nationalisation des systèmes de santé ainsi que des mesures pour faire face à l’irrationalité des grandes entreprises et de l’impérialisme, comme le monopole d’Etat du commerce extérieur et la nationalisation du système bancaire sous le contrôle des travailleurs. De concert, nous défendons la perspective du non-paiement de la dette extérieure, ignoble, qui oblige les pays à prendre sur les budgets pour financer les multinationales au lieu de répondre aux besoins élémentaires des populations en ces temps de crise.

La bourgeoisie ainsi que les courants réformistes et néo-réformistes affirment que nombre de ces mesures sont « inapplicables » ou relèvent de « l’utopie ». Ce faisant, ils s’appuient sur une sorte de sens commun selon lequel le capitalisme est le seul système possible et que nous pouvons tout au plus demander des aides ou des augmentations de salaire lorsque l’économie est au beau fixe ou, pire encore, nous contenter de demander des indemnités de licenciement en cas de fermetures en période de crise.

Notre programme est socialiste non par attachement à une doctrine. Il l’est parce que nous sommes convaincus que pour défendre les conditions de vie des masses populaires il est nécessaire de prendre des mesures qui remettent en cause les intérêts de ceux qui profitent de l’exploitation et de la précarité du monde du travail et des classes populaires. Face à l’inflation, au coût de la vie et au chantage économique qu’exerce le patronat à l’encontre du monde du travail et des classes populaires, nous avançons la lutte pour l’échelle mobile des salaires et des heures de travail, l’occupation et le contrôle par les travailleurs de toute usine ou entreprise qui ferme ou fait faillite. Il s’agit là d’une question fondamentale pour défendre l’emploi. Face aux licenciements massifs et à la précarité, nous luttons pour le partage des heures de travail sans baisse de salaire pour combattre le chômage, la nationalisation du secteur bancaire sous le contrôle des travailleurs et le monopole du commerce extérieur pour mettre fin à la fuite des capitaux qui ne profite qu’aux grandes entreprises et aux multinationales impérialistes.

De telles mesures ne sauraient s’imposer sans une lutte systématique du monde du travail, structuré autour d’organismes d’auto-organisation et de défense, à savoir des conseils ouvriers et populaires ainsi que leurs milices, et ce de manière à imposer un gouvernement des travailleurs et des travailleuses pour mettre fin à l’exploitation et à la misère auxquelles nous condamnent les capitalistes. La crise actuelle remet au centre des débats nombre de ces revendications qui ont fait partie, historiquement, du programme du mouvement ouvrier et qui ont notamment été systématisées par Léon Trotsky dans le Programme de Transition adopté, en 1938, comme programme de lutte pour la Quatrième Internationale.

La classe ouvrière possède la force sociale et a la possibilité de rassembler les différents secteurs opprimés. Pour ce, néanmoins, elle doit affronter la bureaucratisation de ses propres organisations subordonnées à l’Etat.

Cette question a été abordée par Léon Trotsky dans ses réflexions sur « l’intégration des syndicats au pouvoir de l’Etat ». C’est sur cette base que Trotsky a formulé une politique d’intervention active dans la lutte contre la bureaucratie. Antonio Gramsci, de son côté, a analysé l’évolution du premier syndicalisme et son intégration à l’État, en forgeant la notion d’ « État intégral ». Ces élaborations, qui voient le jour dans la période de l’Entre-deux-guerres, conservent aujourd’hui toute leur actualité.

Au cours de la période de l’offensive néolibérale, certains acquis liés à l’ « État providence » ont été remis en cause dans nombre de pays. Néanmoins, la bureaucratie syndicale a conservé son rôle de représentant de l’État au sein du monde du travail. Parfois cette intégration de la bureaucratie syndicale s’est même approfondie, soit par le biais d’avantages accordés, soit à travers son développement en tant que bureaucratie d’entreprise. Dans les pays où les bureaucraties syndicales ne sont pas aussi puissantes en termes économiques, elles ont néanmoins également emboîté le pas au cours droitier de la social-démocratie et du réformisme. Elles ont validé, pour l’essentiel, les attaques menées par les différentes bourgeoisies au nom du fait que le « rapport de force ne permettait pas de faire davantage » pour les contrer et en divisant, sur des bases corporatistes, les différents secteurs du monde du travail. Face au développement de différents mouvements sociaux, de nouvelles médiations ou directions bureaucratiques ont également vu le jour au sein de mouvements qui ne sont pas directement liés aux syndicats. C’est le cas, par exemple, du mouvement des femmes, du mouvement écologiste ou même des mouvements de chômeurs qui se sont organisés séparément des travailleurs salariés et ont axé leur programme sur la revendication d’aides sociales ou d’autres formes d’assitancialisme étatique.

La bureaucratie syndicale est le principal vecteur de division du monde du travail en différents secteurs qui, bien souvent, semblent même s’opposer directement les uns aux autres. C’est la raison pour laquelle la classe ouvrière doit lutter pour la démocratie syndicale la plus large, en arrachant le contrôle des syndicats aux bureaucraties et en se battant pour l’indépendance de ses organisations vis-à-vis de l’État. Mais pour promouvoir une véritable unification de l’ensemble du monde du travail et pour relier ses revendications à celles des autres secteurs opprimés, il est nécessaire, lorsque l’occasion se présente, de développer de nouvelles organisations qui vont au-delà de la minorité syndiquée de la classe ouvrière. Nous nous référons aux organismes d’auto-organisation à la base qui permettent de regrouper la classe au-delà des divisions entre travailleurs en CDD, en CDI, précaires et intérimaires, « nationaux » et immigrés, syndiqués et non syndiqués. De tels organismes renforcent les tendances d’avant-garde. Ce faisant, cela permet de construire un mouvement ouvrier indépendant de l’État qui ouvre la perspective d’un gouvernement ouvrier et populaire.

Depuis la crise de 2008, on a pu assister à différentes formes d’irruption et d’expression du mouvement de masse en dehors des canaux traditionnels. On songera, par exemple, aux rassemblements de masse des places Taksim ou Tahrir, aux assemblées territoriales au Chili ou encore aux assemblées populaires, « Cabildos », de El Alto, en Bolivie. En tant que Fraction Trotskyste - Quatrième Internationale nous soutenons et œuvrons au développement d’organismes d’auto-organisation qui peuvent se construire dans le cadre des différentes expériences de lutte de classe auxquelles nous avons eu l’occasion de participer. Nous essayons systématiquement qu’ils permettent de créer, dans les faits, des mécanismes de prise de décision et de préparation au combat. Dans les paragraphes qui suivent, nous aborderons quelques exemples.

En Argentine, et ce depuis le début de l’existence de notre courant, le Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) a encouragé la formation d’organisations de base antibureaucratiques. L’un des exemples les plus importants en ce sens a été l’expérience, emblématique, de la lutte de Cerámica Zanon, à Neuquén. L’usine se trouve, depuis vingt ans maintenant, sous gestion ouvrière directe. En 2003, cette expérience a permis de construire l’unité entre le syndicat des céramistes et le mouvement de chômeurs, donnant naissance, par la suite, à la Coordination régionale de l’Alto Valle qui regroupait des travailleurs salariés et des travailleurs au chômage, plusieurs courants militants ainsi que les courants syndicaux lutte de classe qui, à l’époque, dirigeaient notamment les syndicats d’enseignants de la capitale provinciale et de la ville de Centenario. Cette Coordination organisait également les secteurs militants et antibureaucratiques et, de concert, interpellait, en appelant à la grève et à l’’unité d’action, la Centrale des Travailleurs d’Argentine. Ce faisant, elle convergeait régulièrement dans la rue avec les syndicats organisant les fonctionnaires territoriaux de la province. Parallèlement, l’usine, sous gestion ouvrière, a construit une alliance avec le peuple mapuche qui perdure encore aujourd’hui. Le PTS a également défendu la perspective de l’unité entre travailleurs en activité et travailleurs au chômage dans le cadre de l’Assemblée Nationale Piquetera, en luttant pour un mouvement unifié des chômeurs au sein duquel il devrait exister, selon nous, une liberté de tendance pleine et entière et qui devrait défendre la perspective d’un véritable emploi pour toutes et tous. Ce combat, nous le poursuivons encore aujourd’hui. Dans le cadre de ce qui pris le nom de « syndicalisme de base », à savoir les différentes expériences antibureaucratiques qui ont secoué le mouvement ouvrier industriel ainsi que les transports depuis 2004, mais également au cours des luttes des travailleurs de la santé et de l’éducation, nous avons cherché à développer les organisations de base, la coordination entre les différents secteurs du monde du travail ainsi que l’unité avec les autres secteurs populaires. C’est avec ce même esprit que nous sommes intervenus, récemment, dans la lutte pour la terre et le logement, dont l’épicentre a été Guernica, dans la grande banlieue de Buenos Aires. Nous avons cherché à construire l’unité des différents quartiers autour desquels se structurait l’occupation en proposant une assemblée unifiée et non divisée sur la base des courants intervenant dans tel ou tel secteur, en exigeant que les centrales syndicales soutiennent la lutte des familles sans-abri et en promouvant l’unité avec les travailleurs en CDI et le mouvement étudiant. Nous avons été en première ligne pour contrer l’opération de répression menée par le gouvernement kirchnériste et nous avons lutté pour conserver l’organisation qui s’était construite, à la suite de l’expulsion des familles, à travers la proposition de maintenir l’Assemblée des Occupants de Guernica. Actuellement, les militantes et militants du PTS participent activement aux différents processus de luttes ouvrières qui se font jour et qui remettent en question les directions syndicales bureaucratiques. Nous essayons d’y promouvoir la construction d’organismes regroupant les secteurs combatifs tout en exigeant, parallèlement, que les syndicats et les centrales syndicales appellent à des actions contre la baisse du niveau des salaires, pour la santé et pour les conditions de travail, mais aussi en défense des travailleurs et des secteurs populaires qui ne sont pas organisés au sein des structures syndicales. C’est en ce sens que nous soutenons la nécessité d’une politique d’unité entre les salariés et les chômeurs pour dépasser la fragmentation imposée par la bureaucratie syndicale et par l’État.

Au Chili, le Parti des Travailleurs Révolutionnaires (PTR) a été l’un des moteurs du Comité de Mobilisation (« Comité de Emergencia y Resguardo ») d’Antofagasta. Cette organisation a rassemblé des syndicats de la métallurgie, des ports et docks, de l’éducation, des jeunes précaires et des comités de quartier qui se sont retrouvés à la tête, au cours de la grande rébellion populaire de 2019, de l’organisation et de l’appel à la grève générale pour renverser le président Piñera. Ce sont des organismes tels que celui d’Antofagasta qui ont permis de coordonner des secteurs du monde du travail avec la « première ligne des manifestants » incarnée par la jeunesse combative des quartiers populaires. Le point le plus avancé de la mobilisation a été atteint lors de la grève générale du 12 novembre 2019. Une assemblée de 400 délégués représentant différents secteurs a cherché à organiser la paralysie de la ville d’Antofagasta, ce qui a débouché sur la mobilisation de 25 000 travailleurs sur la « Place de la révolution » où s’organisait un pôle combatif qui défendait la perspective du renversement révolutionnaire du gouvernement et dénonçait la trêve criminelle que les organisations du réformisme et la bureaucratie syndicale de la CUT cherchaient à mettre en place. Nous avons également fait partie du Comité de mobilisation (« Comité de seguridad ») de l’hôpital Barros Luco, dans la commune de San Miguel, à Santiago, et qui a servi d’instance de coordination avec les quartiers populaires, les lycéens et les organisations du mouvement social. Pour intervenir au cours des journées de grève générale, le PTR a cherché à promouvoir des instances de coordination dans les principales villes du pays comme Arica, Antofagasta, Santiago, Valparaiso et Temuco.

Au cours de la longue bataille contre la réforme des retraites en France, en 2020, les militantes et militants du Courant Communiste Révolutionnaire (CCR) ont été au centre de la coordination RATP-SNCF qui a représenté un élément déterminant pour le maintien de la grève, et ce malgré l’appel plus ou moins voilé à la trêve, pendant les fêtes de fin d’année, formulé par les bureaucraties syndicales. Cette Coordination a organisé plus de 100 représentants issus de 14 des 21 dépôts de bus RATP, de trois lignes de métro et de deux lignes du RER. Dans une certaine mesure, elle a représenté une voix alternative à celle des directions syndicales tout au long du conflit.

La mise en place d’institutions ouvrières et populaires auto-organisées nous prépare aux combats à venir de la lutte des classes. C’est ce qui permet de chercher à consolider l’alliance entre le monde du travail et les secteurs opprimés, en combattant les bureaucraties syndicales et le réformisme qui ont joué un rôle clé pour faire dévier, du moins partiellement, les rébellions populaires qui ont secoué le monde dernièrement.

La lutte pour développer ce type d’instances d’auto-organisation est étroitement liée au combat pour l’unité des différents secteurs de la classe ouvrière et à sa défense. Il ne saurait, à son tour, être séparé d’une politique en direction des grands syndicats au sein desquels il est nécessaire de développer des fractions révolutionnaires et lutter, parallèlement, pour le Front unique de la classe ouvrière de façon à ce qu’elle émerge comme un acteur de la lutte des classes et que les secteurs les plus combatifs puissent se lier aux masses.

La crise des néo-réformismes et des « progressistes » et la faillite du nationalisme bourgeois

Les expériences telles que celle du gouvernement Syriza, qui a appliqué le plan d’ajustement de la Troïka, ou de Unidas PODEMOS, qui s’est transformé en une béquille du PSOE au gouvernement, ont montré que les tentatives de canaliser les luttes sociales avec des formations politiques opportunistes, qui proposent des réformes minimales dans les cadres du système en éludant toute remise en cause de la propriété capitaliste, est le meilleur moyen pour que les revendications de ces mouvements soient écrasées ou détournées.

Récemment, en Amérique latine, les gouvernements « progressistes » ou « post-néolibéraux » ont surtout cherché à faire cesser que le mouvement de masse ne s’exprime dans la rue (c’est ce qu’il s’est passé en Bolivie, en Equateur et en Argentine ainsi qu’au Venezuela, où le nationalisme bourgeois a eu recours à des mesures nationalistes assez tièdes) ou encore d’agir de façon préventive (comme l’a montré le cas brésilien) de façon à canaliser, dans cadre du système politique bourgeois, le rejet que pouvaient exprimer le monde du travail et les classes populaires vis-à-vis du néolibéralisme et des plans d’ajustement. Par ailleurs, les gouvernements « progressistes » eux-mêmes ont renoué avec le même genre de plans d’ajustement dès lors que les conditions économiques sont devenues plus défavorables pour les politiques « redistributives ».

Depuis le coup d’État institutionnel contre Dilma Rousseff, en 2016, et l’apparition, par la suite, de Bolsonaro et les victoires électorales engrangées par des formations se réclamant ouvertement de la droite, les courants « progressistes » défendent leur bilan comme une politique du « moindre mal » face à des gouvernements en place qui mettent en œuvre des politiques austéritaires ou qui s’alignent ouvertement sur les États-Unis et le FMI. Cependant, dès lors qu’ils reviennent aux affaires, les courants ou partis progressistes poursuivent, pour l’essentiel, les politiques austéritaires, continuent à payer la dette au FMI et s’attaquent aux retraites, comme a pu le faire le Frente de Todos, en Argentine. On songera, également, à López Obrador, au Mexique, qui soutient la politique anti-immigrés des Etats-Unis et a approfondi la militarisation du pays à travers la Garde nationale et la poursuite des actions menées par l’armée.

La politique qu’a menée le Mouvement vers le Socialisme (MAS) en Bolivie est encore plus révélatrice. Après avoir cherché à forcer sa propre réélection, Evo Morales a été renversé par un coup d’État militaro-civil pro-étatsunien. Malgré son poids décisif au sein des organisations du mouvement social, à aucun moment le MAS n’a cherché à mettre en place une lutte conséquente contre le gouvernement putschiste d’Añez. A l’inverse, il a cherché à négocier un accord permettant de nouvelles élections qui se sont finalement tenues dans les conditions dictées par les auteurs du coup d’État. La gestion désastreuse de la pandémie, le revanchisme anti-indigène et les divisions à droite ont permis une nouvelle victoire du MAS. García Linera, lui, parie sur une nouvelle « vague rose » en Amérique latine. Les soutiens du MAS, eux, mettent en avant une « stratégie géniale » déployé par le parti face au coup d’Etat et qui expliquerait la récente victoire électorale aux présidentielles. Tous, cependant, passent sous silence la résistance déployée par les masses pour contrer le coup d’Etat et faite de blocages routiers, de mobilisations et d’affrontements contre l’armée et la police, comme à Senkata. Cette lutte, menée alors que la direction du MAS s’occupait à négocier avec les putschistes, a été déterminante pour le rapport de forces que le gouvernement d’Añez n’a pas pu totalement renverser à son avantage. C’est ce qui explique, avec la gestion catastrophique de la pandémie, la défaite postérieure qu’a dû encaisser la droite.

Au Brésil, le Parti des Travailleurs (PT) a soigneusement évité de mener un combat un tant soit peu sérieux contre le gouvernement Temer issu du coup d’État institutionnel contre Dilma Rousseff, Temer ayant été, lui-même, vice-président du gouvernement PT, Par la suite, le PT n’a pas davantage envisagé d’affronter autrement que par des recours juridiques l’offensive visant à emprisonner Lula, à le priver de ses droits politiques et à l’empêcher d’être candidat aux élections qui ont donné la victoire à Bolsonaro. Lula n’a été libéré que récemment, également sur la base de la crise de Bolsonaro et de sa gestion « négationniste » proprement aberrante de la pandémie. C’est la raison pour laquelle Lula peut à nouveau envisager d’être candidat. Tout au long de ce processus, le PT a néanmoins eu la cohérence de sa politique : mener une opposition, en paroles et devant les tribunaux, mais éviter tout type de lutte par la mobilisation des masses, qu’il s’agisse des syndicats organisés au sein de la CUT que le PT dirige ou des masses populaires du Nord-est brésilien et qui sont la base du Parti des Travailleurs.

C’est au Venezuela que la banqueroute du nationalisme bourgeois promu par Chávez s’est exprimée de la façon la plus nette, confirmant une fois de plus la théorie du programme de la révolution permanente. Dans sa phase de décomposition actuelle, le régime vénézuélien, entendu comme étape ultérieure de la débâcle du chavisme, s’est transformé en un régime quasi-dictatorial avec Maduro à sa tête. Ce dernier mène une attaque en règle contre les masses du pays, qui vivent une situation critique. A la suite de la chute des cours du pétrole, Maduro a fait des choix consistant à payer la dette extérieure scandaleuse plutôt que de répondre aux besoins du peuple et aux besoins d’investissements structurels du pays. C’est ce qui a conduit à l’une des plus grandes catastrophes économiques et sociales qu’a jamais connue le Venezuela, aggravée, à son tour, par les sanctions économiques prises par les États-Unis et par d’autres puissances impérialistes. Maduro défend aujourd’hui des mesures antinationales et anti-ouvrières. Il a ainsi recours à la loi « antiblocage » pour faciliter le rachat à prix cassé d’entreprises vénézuéliennes par des consortiums économiques étrangers mais également pour faciliter le contrôle des transnationales et des créanciers étrangers sur les actions liées au domaine des hydrocarbures et sur les réserves vénézuéliennes. Parallèlement, et dans un cadre général de renforcement de l’autoritarisme, les salaires sont réduits à peau de chagrin et le gouvernement s’acharne contre les secteurs du monde du travail qui s’organisent pour lutter contre sa politique austéritaire.

On pourrait multiplier les exemples de ce type. Ce que nous souhaitons souligner, ici, c’est que les « néo-réformismes », les gouvernements « progressistes » autant que les nationalismes bourgeois qui ne rompent pas avec l’impérialisme et se basent sur la démobilisation des masses maintiennent, pour l’essentiel, l’héritage néolibéral. Cela vaut autant pour les pays centraux que pour la périphérie. Cela vaut bien entendu également pour l’Amérique latine où ces courants respectent les pactes et les traités conclus avec l’impérialisme et défendent l’extractivisme sous toutes ses formes, à savoir l’agrobusiness, l’industrie pétrolière et les grands groupes miniers ultra-polluants. Cela vaut également pour le Frente Amplio qui, au Chili, a soutenu le régime néolibéral en jouant un rôle criminel dans la rébellion populaire en signant l’ « Accord de paix » qui a sauvé le gouvernement Piñera et en votant les lois anti-manifestation qui font qu’aujourd’hui des centaines de prisonniers politiques se trouvent encore incarcérés. Une politique conséquemment anti-impérialiste, qui refuse les pactes et les traités qui lient les pays dépendants et semi-coloniaux à l’impérialisme, qui défend le non-paiement de la dette et la rupture avec le FMI et les organisations financières internationales, qui place le commerce extérieur et le système bancaire sous monopole d’Etat, ne saurait être portée que par le monde du travail et les classes populaires, à travers une mobilisation constante et organisée par en bas et dans la perspective d’unifier la classe ouvrière des pays opprimés à celle des pays impérialistes pour battre en brèche l’impérialisme et le capitalisme.

De la nécessité de construire des partis révolutionnaires et un Mouvement pour une Internationale de la révolution socialiste

Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à un important recul des forces d’extrême gauche qui a également impacté de nombreuses organisations se réclamant du trotskysme. Ce qui a prévalu, au sein de l’extrême gauche, c’est une analyse erronée de la portée des succès engrangés par le capitalisme à partir de la restauration en Russie et en Chine et dans d’autres pays. Il s’agit là du reflet inversé d’une confiance aveugle ayant existé au préalable selon laquelle les conquêtes, en l’occurrence les États ouvriers déformés et dégénérés sous la direction des staliniens et des maoïstes, n’auraient jamais été remises en cause. Par la suite, la bourgeoisie et l’impérialisme ont présenté le néolibéralisme comme un dogme universel qui ne serait plus jamais remis en question. De concert, ils ont proclamé l’éternité du système capitaliste qui était promis à être une grande fête consumériste garantissant l’épanouissement individuel.

Au cours des deux premières décennies du XXIe siècle, on a pu constater combien ces idées véhiculées étaient radicalement fausses. On a également assisté à un retour récurrent de la lutte de classe du monde du travail et de différents secteurs opprimés. L’idée, défendue par les néo-réformismes, selon laquelle il n’est possible de mener une politique que dans les cadres autorisés par le système (ce qu’a défendu Podemos au sein du gouvernement du PSOE, ce dont témoignent les projets du Frente Amplio au Chili ou au Pérou) ou selon laquelle il faut renoncer à toute politique de masse, implique l’abandon de toute lutte sérieuse contre le capitalisme. Par ailleurs, la politique de construction de partis larges et non délimités stratégiquement a également montré ses limites. On songera à la crise et à l’explosion probable du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en France. L’organisation est traversée par le débat entre l’aile regroupant l’ancienne majorité de l’organisation, issue du Secrétariat unifié et qui ne cesse de chercher des accords avec la gauche institutionnelle, y compris le réformisme souverainiste de Mélenchon, et les courants, comme celui de nos camarades du CCR, qui défendent la possibilité et la nécessité d’un parti révolutionnaire des travailleurs en France.

A rebours donc, de ces orientations, nous luttons pour développer des partis révolutionnaires enracinés dans la classe ouvrière, défendant une politique d’hégémonie par rapport à tous les secteurs opprimés, cherchant à créer des fractions révolutionnaires et socialistes dans les syndicats, dans la jeunesse, dans le mouvement afro-descendant et des migrants, dans le mouvement des femmes, dans le mouvement écologiste et au sein des classes populaires. Ces partis révolutionnaires doivent être en capacité de converger avec les expériences les plus avancées de la lutte des classes et défendre, de concert, une politique de masse contre le capitalisme.

C’est au service de cette perspective et pour qu’elle touche des millions de personnes que nous avons décidé de mettre en place le réseau international de journaux numériques La Izquierda Diario. Il s’agit d’un réseau qui vise à faire du journalisme révolutionnaire, à développer, à une échelle de masse, une critique systématique du système capitaliste et de l’impérialisme pour les masses et à mettre en avant les luttes des exploités et des opprimés. Parallèlement, le réseau entend s’ouvrir au débat d’idées pour que l’avant-garde puisse discuter à travers les différentes pages web des voies à défendre pour mener à bien, jusqu’à son terme, le combat pour le socialisme. Notre objectif est également que nos sites respectifs servent à l’organisation d’un mouvement révolutionnaire international en différentes langues. Outre ce réseau de journaux et notre participation à la lutte des classes, nous défendons activement, dans les différents pays où nous intervenons, différentes politiques d’unité de la gauche révolutionnaire sur la base de l’indépendance de classe. En Argentine, nous avons participé depuis 2011 à l’expérience du Front de Gauche et des Travailleurs (« Frente de Izquierda y de los Trabajadores », FIT). Rebaptisé, depuis, Front de Gauche et des Travailleurs - Unité (« Frente de Izquierda y de los Trabajadores – Unidad », FITU), il est composé par le PTS, le Parti Ouvrier, Gauche Socialiste (« Izquierda Socialista ») et par le Mouvement Socialistes des Travailleurs (MST). Le FITU a su transformer la gauche révolutionnaire trotskyste en un acteur à part entière de l’échiquier politique en Argentine. Le FITU constitue, par ailleurs, la seule force d’extrême gauche clairement positionnée en dehors du kirchnérisme et du péronisme sur la base d’un programme et une pratique d’indépendance de classe.

Forts de cette expérience, nous avons défendu à différentes reprises la nécessité d’avancer dans l’ouverture du débat autour de la construction d’un parti unifié de la gauche socialiste révolutionnaire.

Les nouveaux secteurs de la jeunesse, des femmes et du monde du travail qui aujourd’hui commencent à lutter pour un ensemble de revendications dont la résolution intégrale et définitive est impossible dans le cadre du capitalisme, peuvent être le point d’appui pour une nouvelle recomposition de la gauche révolutionnaire à échelle internationale. Nous nous référons tout particulièrement à ce que l’on appelle aujourd’hui la « génération Z », composée de jeunes âgés de 16 à 23 ans et qui avaient moins de 10 ans lorsque la crise de 2008 a éclaté. Elle se retrouve aujourd’hui aux avant-postes de nombre de combats que nous avons mentionnés précédemment dans ce manifeste, et de bien d’autres également. Ces jeunes n’ont jamais rien connu d’autre que la crise et estiment, à juste titre, qu’ils ne doivent rien au capitalisme.

Face à la débâcle à laquelle nous conduit le capitalisme, nous nous devons de défendre un programme et une solution de fond, tant face aux positions défendus par les différents courants du néo-réformisme que face à l’extrême-droite qui, avec leurs vieilles recettes démagogiques et « populistes », cherchent à gagner en influence auprès de segments du monde du travail et de la jeunesse impactés par le néolibéralisme. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous entendons poser la discussion de la nécessité d’un Mouvement pour une Internationale de la révolution socialiste.

Nous devons reprendre le drapeau de la tradition internationaliste du mouvement ouvrier. La Première Internationale a jeté les bases de la lutte pour l’unité du mouvement ouvrier dans le monde. La Seconde Internationale a construit de grands partis et des syndicats de masse, qui n’ont toutefois pas passé l’épreuve de la Première Guerre mondiale. Face à la trahison de la social-démocratie et en s’appuyant sur la révolution russe, l’Internationale Communiste a vu le jour. Lors de ses quatre premiers congrès (1919-1922), elle a jeté les bases de la tactique et de la stratégie révolutionnaires. La Quatrième Internationale, fondée par Trotsky en 1938, a été la seule organisation internationale qui a su incarner la lutte contre le capitalisme et le fascisme, affrontant, parallèlement, la bureaucratisation de l’URSS et proposant une alternative globale au stalinisme. Par la suite, au cours du second Après-guerre, elle s’est divisée en différentes tendances qui n’ont pas réussi à défendre une alternative d’ensemble et qui ont adopté des positions globalement centristes, c’est-à-dire oscillant entre des positions révolutionnaires et réformistes. Cependant, le drapeau de la Quatrième Internationale conserve toute son actualité à la suite de l’échec historique du stalinisme et face à la catastrophe capitaliste. A rebours de toute auto proclamation sectaire, nous soutenons que la construction de partis ouvriers révolutionnaires et la mise en place d’une Internationale de la révolution sociale, qui pour nous implique la refondation de la Quatrième Internationale sur des bases révolutionnaires, ne seront pas le produit du développement évolutif de nos organisations ni de notre tendance internationale. Ce sera, davantage, le fruit de la fusion des ailes gauche des organisations marxistes révolutionnaires et des secteurs de l’avant-garde ouvrière et de la jeunesse orientés vers la révolution sociale qui ne manqueront pas d’émerger et de se multiplier à mesure où s’approfondira la crise et la lutte des classes.

A quelques exceptions près, les nouvelles générations ne connaissent pas cette tradition. C’est la raison pour laquelle celles et ceux qui, parmi nous, se réclament du trotskysme n’exigent de personne d’accepter nos idées avant de faire des expériences en commun, à partir de la lutte des classes et des principales leçons que l’on peut en tirer. Nous partons du principe que les tendances à l’action directe et les changements dans les modes de pensée constituent un point d’appui fondamental pour la construction de partis révolutionnaires dans le monde entier.

La situation du mouvement trotskyste aujourd’hui, majoritairement en retrait ou relativement affaibli, est liée à l’impact de l’offensive néolibérale sur la gauche. Elle est néanmoins aussi et surtout liée à la scission de la Quatrième Internationale au cours du second Après-guerre et à l’adaptation des différents courants qui en sont issus à une situation historique exceptionnelle caractérisée par la « coexistence pacifique » entre l’impérialisme et le stalinisme qui a déterminé pendant des décennies une stabilité comme la bourgeoisie n’en avait pas connu pendant l’Entre-deux-guerres. La poussée des luttes de 1968 à 1981 a montré les limites des « Trente glorieuses », d’une part, et la remise en cause du stalinisme, d’autre part. Cependant, cette poussée a été contenue par un mécanisme de concessions ou de défaites infligées qui ont fait le lit de l’offensive néolibérale qui a façonné le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Pendant de longues décennies, défendre le legs de Trotsky et la théorie marxiste révolutionnaire a représenté un combat à contre-courant. Il s’agissait, pour l’essentiel, de résister et de renouer avec les quelques « fils de continuité » que le trotskisme du second Après-guerre avait laissé en héritage, de façon à renouer avec le passé et avec la tradition léguée par Trotsky sans passer par les lectures déformantes de ses épigones et « interprètes ».

Le développement de la lutte des classes soulève de nouvelles possibilités de jonction entre le marxisme révolutionnaire et le mouvement ouvrier. Pour qu’elles se concrétisent, cependant, il est nécessaire de mener les batailles qui se posent face à nous et de ne pas considérer qu’il suffise de se rattacher à une tradition pour gagner en influence au sein de l’avant-garde et des masses. La tradition du trotskysme doit être recréée en tirant des leçons et en se penchant sur l’expérience de la lutte des classes et la réalité du capitalisme actuel qui s’inscrivent dans le cadre d’une situation internationale complexe et difficile. C’est en ce sens qu’il est de plus en plus urgent de s’atteler à la construction d’une Internationale de la révolution socialiste.

Cette Internationale ne va pas naître de l’unification de différents groupes trotskystes. Elle ne naîtra pas davantage, spontanément, comme le sous-produit nécessaire des luttes sociales. C’est pourquoi il faut construire un mouvement qui défende sa nécessité, qui montre dans chaque expérience de la lutte des classes à l’échelle nationale la nécessité de l’unité internationaliste de la classe ouvrière et d’une organisation capable de mener ses luttes contre le capitalisme sur le même terrain que se situe le capitalisme, à savoir le monde entier.

De notre point de vue, cette Internationale ne peut se baser sur des principes généraux abstraits. Elle ne sera pas non plus une coordination de différents mouvements anticapitalistes. Il ne peut en être ainsi dans la mesure où nous luttons contre la politique des classes dirigeantes qui visent à promouvoir les bureaucraties de toutes sortes et à faire disparaître l’histoire du monde du travail et des secteurs opprimés. Le drapeau de la Quatrième Internationale conserve toute son actualité, car la Quatrième Internationale a été la seule organisation qui a su offrir une alternative théorique, stratégique et programmatique au stalinisme, ce qui est incontournable pour celles et ceux qui entendent penser la lutte contre le capitalisme et pour une société communiste aujourd’hui. C’est au point jonction entre cette tradition et les nouvelles générations qui prennent le chemin des luttes que se trouve la clé de l’avenir pour le monde du travail et pour l’ensemble des opprimés.