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Pourquoi parler de "part des dépenses publiques dans le PIB" est une imposture

économie

Lien publiée le 10 mai 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.alternatives-economiques.fr/les-economistes-atterres/2021/05/09/pourquoi-parler-de-part-des-depenses-publiques-dans-le-pib-est-une-imposture

On entend souvent dire, y compris de la part d’économistes, que le poids des dépenses publiques dans le PIB est devenu insoutenable. Le ratio entre les dépenses publiques et le PIB est en effet aujourd’hui supérieur à 50 %. Ainsi, on fait croire que les administrations publiques aspirent plus de la moitié des richesses créées chaque année pour fonctionner. Cette idée reçue vise à donner un fondement scientifique à la réduction des dépenses publiques. La Commission sur l’avenir des finances publiques (présidée par Jean Arthuis) s’est dernièrement appuyée sur ce ratio pour justifier sa préconisation de réduction des dépenses publiques.

Nous allons voir que cette idée reçue est une imposture. À l’aide d’un petit exemple, en s’appuyant sur le cadre de la comptabilité nationale, nous démontrerons que le ratio entre les dépenses publiques et le PIB peut même être supérieur à 100 %, ce qui suffit à prouver l’absurdité du mythe de la « ponction » des administrations publiques sur le PIB.

On distingue principalement deux grands types de dépenses publiques[1] :

les dépenses de redistribution du revenu (environ 60 % des dépenses publiques) : les administrations ont alors une fonction d’intermédiaire. Elles collectent des impôts et des cotisations pour les redistribuer aux ménages (mais aussi aux entreprises) sous forme principalement de prestations sociales en espèces (retraites, allocations chômage et familiales, RSA, etc. dont les ménages disposent librement) ou de prestations en nature, appelées aussi transferts sociaux en nature marchands (consultations de médecine libérale et médicaments remboursés, allocation logement…).

- les dépenses qui financent la production non marchande des administrations publiques (environ 30 % des dépenses publiques). Cette partie minoritaire des dépenses publiques est la seule qui a un rapport avec le PIB, à condition de ne pas les interpréter comme une ponction sur un PIB préexistant. D’une part, les dépenses publiques incluent les consommations intermédiaires des administrations publiques (non incluses dans le PIB). D’autre part, ces dépenses financent une production (en permettant le paiement des salaires des fonctionnaires, des consommations intermédiaires…) dont la valeur ajoutée (qui n’est qu’une partie de cette production) est une composante du PIB. Au lieu de payer cette production sur un marché, les ménages paient cette production en payant des impôts. De la même façon qu’il serait absurde d’affirmer que les ménages ponctionnent le PIB en payant leur baguette, il est absurde de dire que les ménages ponctionnent le PIB en payant la production non marchande des administrations avec leurs impôts.

Autrement dit, les dépenses publiques ne peuvent pas s’analyser comme un « prélèvement » sur la richesse nationale : soit elles contribuent à la production de richesse - en permettant la production de services non marchands individualisables (éducation, hôpital public…) ou collectifs (armée, police, justice…) qui bénéficient à la population -[2], soit elles redistribuent la richesse.

Illustrons maintenant notre propos à l’aide d’une représentation fictive et très simplifiée d’une économie. L’objectif de cette représentation est simple : montrer qu’il est tout à fait possible d’avoir une économie avec du privé (un secteur marchand) et une dépense publique en % du PIB supérieure à… 100% !

Nous mobilisons ici des notions simples de comptabilité nationale. Notre économie est composée de deux branches d’activité :

- une branche marchande qui a une production de 90 et des consommations intermédiaires (de produits marchands) de 20 : la valeur ajoutée de la branche marchande est donc de 70. On supposera que cette valeur ajoutée est partagée en 50 de salaires (salaires nets + cotisations) et 20 de profits.

- une branche non marchande qui a une production de 40. Cette production est estimée en comptabilité nationale comme la somme des coûts de production. Ici on supposera que les coûts de production sont les suivants : 30 de salaires des fonctionnaires et 10 de consommations intermédiaires de produits marchands (achats de fournitures pour les écoles…). On suppose, pour simplifier, que cette production non marchande est entièrement une production de services individualisables (dont on peut identifier les bénéficiaires), comme la production d’éducation ou de santé.

Quel est le PIB de notre économie simplifiée ? On distingue « trois approches du PIB », c’est-à-dire trois façons de calculer le PIB (pour atteindre bien entendu le même résultat) :

une « approche production » : le PIB est la somme des valeurs ajoutée des branches[3]. Le PIB est donc égal à 70 (VA de la branche marchande) + 30 (VA de la branche non marchande) = 100

une « approche revenu » : le PIB est la somme des salaires (salaires nets + cotisations) et des profits. Le PIB est donc égal à 30 (salaires des fonctionnaires) + 50 (salaires des salariés du privé) + 20 (profits des capitalistes) = 100

une « approche demande » : le PIB est la somme de la consommation et de l’investissement (on supposera ici que le solde des importations et exportations est nul tout comme la variation de stocks)[4].

Pour appréhender le PIB selon l’approche demande, il faut s’intéresser aux emplois (utilisation) des produits. Ici, nous supposerons que le produit marchand (90) est utilisé comme consommation intermédiaire pour un montant de 30 - 20 par la branche marchande (achat de bois et de vis par les producteurs de tables…) et 10 par la branche non marchande (achat de fournitures par les administrations), consommée de façon finale par les ménages pour un montant de 50 et investi pour un montant de 10. Quant au produit non marchand (40), il est entièrement consommé de façon finale (éducation, hôpital public…) par les ménages.

Selon l’approche demande, le PIB est égal à 50 (consommation par les ménages de produits marchands) + 40 (consommation par les ménages de services publics  non marchand) + 10 (investissement) = 100.

On peut synthétiser notre économie selon les trois approches du PIB avec le « tableau entrées-sorties » simplifié suivant :

Tableau

Dans notre économie, quel est le revenu primaire des ménages ? On supposera que la moitié du profit est distribué aux ménages sous forme de dividendes (10), l’autre moitié servant pour l’investissement. On a donc un revenu primaire des ménages de 80 (leurs salaires) + 10 (leurs dividendes) = 90.

Supposons que la moitié des salaires est payée sous forme de cotisations sociales (40), qui financent des prestations sociales en espèces de sécurité sociale (40) reversées aux ménages.

Supposons également que les impôts sur le revenu des ménages s’élèvent à 70 : 40 financent la production non marchande des administrations, et 30 sont reversées sous forme de prestations sociales d’État (du type RSA aujourd’hui) en espèce.

Les ménages ont un revenu disponible égal à 90 (revenu primaire) – 40 (cotisations) + 40 (prestations de Sécu) – 70 (impôts) + 30 (prestations d’État) = 50.

Avec ce revenu, ils consomment le produit marchand pour un montant de 50 (leur épargne est nulle pour simplifier).

Les ménages ont un revenu disponible ajusté de 90 : au revenu disponible (50), on ajoute les « transferts sociaux en nature non marchands » (40) qui correspondent à la valeur de la production non marchande des administrations dont bénéficient les ménages.

Quel est le niveau des dépenses publiques ? Il faut additionner :

- les prestations sociales en espèce de sécurité sociale : 40

- les prestations sociales en espèce d’État : 30 

- le coût de la production non marchande : 40 (consommations intermédiaires et salaires des fonctionnaires).

On a ainsi un niveau de dépenses publiques de 110, supérieur au PIB (100)… et pourtant l’économie marchande existe dans cette économie.

[1]    Il y a aussi les dépenses d’investissement, le paiement des intérêts de la dette, etc.

[2]    Nous laissons ici de côté la question des rapports entre activités marchandes et non marchandes, à savoir si l’augmentation de la production non marchande se fait (ou pas) au détriment de la production marchande.

[3]    La formule exacte est PIB = somme des valeurs ajoutées des branches + impôts nets sur les produits (nuls dans notre exemple).

[4]    La formule exacte est Production + Importation = Consommations intermédiaires + Consommation finale + Investissement + Variations de stocks + Exportations. Dans notre exemple, cela se résume à Production – Consommations intermédiaires (PIB) = Consommation finale + Investissement