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Colombie : La colère sociale réprimée dans le sang
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
» Colombie : La colère sociale réprimée dans le sang (les-crises.fr)
La police anti-émeute a lancé des grenades à gaz lacrymogène sur des manifestants à Bogota mercredi, au huitième jour de manifestations antigouvernementales dans tout le pays, après que la foule a attaqué des postes de police dans la capitale pendant la nuit.
Source : Reuters, Oliver Griffin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
À l’origine, les manifestations avaient été organisées en opposition à un projet de réforme fiscale, aujourd’hui annulé, mais les manifestants ont élargi le périmètre de leurs revendications pour y demander des mesures gouvernementales afin de lutter contre la pauvreté, dénoncer les violences policières et les inégalités dans les systèmes de santé et d’éducation.
Les manifestations et les législateurs de l’opposition ont amené le retrait de la réforme fiscale et la démission du ministre des finances. Les organisations internationales ont mis en garde contre les violences policières responsables à ce jour de près de la moitié des 24 décès confirmés, principalement des manifestants.
De nombreux manifestants demandent le démantèlement de la police anti-émeute ESMAD [‘Escadron mobile anti-troubles, NdT], mais certains d’entre eux ont déclaré que ce n’était pas les officiers qui étaient à blâmer individuellement.
« Ils reçoivent leurs ordres de l’État, et ils doivent les suivre », a déclaré James Romero, étudiant de 18 ans, qui a rejoint la foule en train de scander des slogans sur la place centrale Bolivar de Bogota.
Romero a déclaré avoir été frappé à plusieurs reprises dans le dos par un agent de l’ESMAD armé d’une matraque alors qu’il fuyait des affrontements samedi.
« Ce que j’ai ressenti, c’est de la peur – une grande peur. »
Quelques minutes plus tard, la police a tiré des gaz lacrymogènes pour dissuader certains manifestants qui tentaient de pénétrer au sein du Congrès colombien.
Les rassemblements précédents, plus au nord, ont été pacifiques.
Benjamin Paba Al-Faro, 53 ans, psychologue à Bogota, a déclaré qu’il manifestait pour une meilleure éducation et pour assurer la continuité du processus de paix avec les rebelles des FARC désormais démobilisés, ajoutant : « Il ne s’agit pas seulement de faire obstacle à cette seule loi ».
La pauvreté, qui a augmenté, atteignant 42,5 % de la population l’année dernière dans un contexte de confinements dus au coronavirus, a aggravé les inégalités de longue date et annulé certains des progrès récents en matière de développement.
Le nombre de Colombiens vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté de 2,8 millions de personnes en 2020.
Les manifestations et les barrages routiers qui en résultent – entravant les expéditions de café, principale exportation agricole – pourraient affecter l’économie, a déclaré mercredi le directeur technique de la banque centrale.
« Ce sont des effets temporaires, mais en fonction de leur durée et de leur portée, ils pourraient affecter la politique monétaire », a déclaré Hernando Vargas lors d’une présentation.
Un véhicule blindé de la police est photographié lors d’une manifestation contre la pauvreté, au milieu des violences policières à Bogota, en Colombie, le 5 mai 2021. REUTERS/NATHALIA ANGARITA
DES COMMISSARIATS DE POLICE INCENDIÉS
Le président Ivan Duque a déclaré que le gouvernement créerait un espace pour écouter les citoyens et élaborer des propositions concrètes, similaires aux offres faites aux manifestants à la suite des manifestations de 2019. De nombreux groupes – dont les principaux syndicats – affirment qu’il n’a pas tenu ses promesses.
Dans une vidéo diffusée mercredi, Duque a répété les affirmations du gouvernement selon lesquelles les mafias du trafic de drogue étaient derrière les actes de vandalisme et les pillages, et a ajouté que plus de 550 arrestations avaient été effectuées.
« Il n’y aura pas de trêve avec ceux qui commettent ces crimes – c’est la société toute entière qui les traduira en justice », a déclaré Duque.
Au cours d’une septième nuit de manifestations mardi, 30 civils et 16 policiers ont été blessés à Bogota, a indiqué la mairie dans un communiqué.
Plus de deux douzaines de postes de police de Bogota ont été endommagés pendant la nuit et trois d’entre eux ont été complètement détruits, selon la mairie.
Selon le rapport, lors d’une de ces attaques, une foule a tenté de « brûler vif » un groupe de dix policiers en mettant le feu à un commissariat.
Interrogé sur l’attaque, un officier de police de Bolivar Plaza a déclaré à Reuters qu’il était « déçu en tant qu’être humain ».
La maire Claudia Lopez a qualifié d’« incroyables » les destructions et les violences qui ont eu lieu cette nuit dans la ville.
Selon le médiateur des droits humains, les manifestations à l’échelle nationale ont fait 24 morts, dont 15 dans la seule ville de Cali, à l’ouest du pays.
La police nationale ou l’escadron mobile anti-émeute ESMAD ont été citées par le médiateur comme l’entité « présumée responsable » de 11 des décès, dont celui d’un garçon de moins de 18 ans. Un observatoire local des droits humains a déclaré que le nombre de morts était supérieur à 30.
(Reportage d’Oliver Griffin ; Reportages additionnels de Luis Jaime Acosta, Julia Symmes Cobb et Carlos Vargas ; Rédaction de Julia Symmes Cobb et Oliver Griffin ; Montage de Mark Heinrich et Peter Cooney)
Source : Reuters, Oliver Griffin, 06-05-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
« Il y a trop de morts, trop de disparus, trop de blessés. Au Chili, il y a eu 34 morts en 150 jours, en Colombie en une semaine il y a eu 37 morts, 222 cas de violences physiques, 831 arrestations arbitraires, 22 blessures à l’œil… La situation est vraiment horrible, c’est un peuple qui se bat seul contre des forces inimaginables. Les gens en ont marre, les gens veulent la paix, et c’est ça qui est incroyable, ils se battront jusqu’à la mort pour cette paix. »
Source : Blast – YouTube – 10-05-2021
« Colombie : la pandémie est venue exacerber des inégalités déjà intolérables » par Christophe Ventura
Source : QG Media
Les émeutes qui ont éclaté en Colombie, d’une magnitude majeure, brassent des secteurs très larges d’une population éprouvée par le Covid et les réformes structurelles néolibérales, le tout dans un contexte de militarisation croissante de la vie du pays. Alors que la sortie de crise ne se fait toujours pas sentir, Christophe Ventura, directeur de recherches à l’IRIS et grand spécialiste de l’Amérique latine, décrypte pour QG les événements en cours.
Lire l’entretien complet sur QG Media
Depuis le 28 avril dernier, un mouvement social de grande ampleur a pris forme en Colombie contre une réforme fiscale visant les classes populaires et moyennes, et faisant émerger des revendications contre la politique libérale et austéritaire du président Iván Duque, élu en 2018, dans un contexte sanitaire qui pèse sur des structures économiques et sociales inégalitaires.
Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique latine, livre pour QG son analyse de la situation au sujet d’une Colombie où la violence est profondément ancrée, avec un rôle prépondérant de l’armée, de la police et des groupes paramilitaires contre les mouvements sociaux, les syndicats et les partis de gauche. Interview par Jonathan Baudoin
QG : Si la série de manifestations en cours depuis le 28 avril, qui a déjà fait officiellement au moins 27 morts, – certaines ONG parlent de 37 -, et 850 blessés, a pour origine une réforme fiscale, y a-t-il d’autres facteurs explicatifs de cette tension sociale extrême en Colombie ?
Christophe Ventura : Comme souvent, pour ne pas dire toujours, cette explosion sociale part d’un élément déclencheur et engendre la constitution un mouvement plus large, selon le principe bien connu de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ici, il s’agit de la réforme fiscale, que vous venez de mentionner. Mais, en réalité, ce mouvement cristallise une pluralité de mécontentements et de colères, et est pluricausal.
Il est constitué de secteurs divers de la société colombienne, qui se regroupent autour d’une série de revendications qui, aussi diverses soient-elles, ont pour rapport commun l’expression de la question sociale, qui est au cœur des revendications. On va retrouver des organisations syndicales, des associations, des partis politiques, des gens qui ne sont pas organisés – beaucoup – mais qui rejettent tous les politiques du gouvernement d’Iván Duque, associées à l’aggravation de problèmes concrets pour une part importante de la population : déclassement social, baisse des revenus, faim, etc.
Depuis son élection en 2018, le président de droite colombien a une feuille de route tout à fait claire. C’est celle de l’orthodoxie libérale en économie comme on connaît en Europe, avec des « réformes structurelles », une réduction des dépenses publiques, etc. Au départ, comme en France, une réforme des retraites avait provoqué en 2019 un grand mouvement social en Colombie, avant l’arrivée de la pandémie.
Il y avait déjà eu au même moment la mise en place du premier chapitre de la réforme fiscale dont on reparle aujourd’hui, consistant en l’adoption de tout un ensemble de mesures fiscales favorables pour les entreprises et les investisseurs. Puis la deuxième partie de cette réforme fiscale, celle d’aujourd’hui donc, qui a provoqué la réaction de la société.
Cette fois-ci, il s’agit d’augmenter et d’élargir les impôts indirects, – la TVA notamment, l’impôt le plus injuste – et celui sur les revenus, l’ensemble pesant directement sur les classes populaires et les classes moyennes. La troisième partie de cette feuille de route, si elle a un jour lieu, devrait être une réforme organisant une flexibilisation accrue du marché du travail en Colombie. C’est face à tout cela que ce mouvement s’est levé, ou disons est revenu, puisqu’il était déjà là en 2019, avant la pandémie.
Lire l’entretien complet sur QG Media
Source : QG Media – 10-05-2021