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Le droit fondamental de résister à l’oppression, nouvel enjeu pour le Conseil constitutionnel
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le Conseil constitutionnel a censuré, le 20 mai, plusieurs articles de la loi « Sécurité globale », notamment celui sur la diffusion d’images des forces de l’ordre. Pour autant, d’autres jugés problématiques ont bien été validés.
Saisi par les parlementaires, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs articles de la loi « Sécurité globale », le 20 mai. Parmi les plus significatifs, le fameux article 52, ex-article 24, qui créait un « délit de provocation malveillante à l’identification » d’un agent des forces de l’ordre, ce qui risquait d’être interprété comme une interdiction de filmer et photographier une intervention policière violente. Les Sages affirment que « le législateur n’a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l’infraction ». « C’est une décision intéressante, qui repose un cadre sur les libertés publiques », expose Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer Libertés à Amnesty international France. Elle se félicite aussi, entre autres, de l’annulation de l’article 48 sur les caméras embarquées, sur lequel l’ONG avait également concentré son plaidoyer.
La censure de l’article 1er du texte de loi est également saluée. Cet article visait à expérimenter, pour cinq ans, l’attribution de larges compétences judiciaires à la police municipale et aux gardes champêtres. Des dispositions contraires à la Constitution : « Le législateur n’a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale » écrivent les Sages dans leur décision. Traduction : ces nouvelles compétences étaient créées en dehors de tout contrôle judiciaire, ce qui pouvait laisser place à l’arbitraire.
« Notre mobilisation a été forte et utile »
La complémentarité entre un mouvement social très actif à l’automne dernier, et les nombreuses contributions écrites d’avocats et d’organisations en soutien à la saisine des parlementaires, a-t-elle joué dans cette décision ? « Certainement », soutient Dominique Noguères, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme. « Nous avons mis l’éclairage sur un certain nombre de points que le Conseil constitutionnel a bien été obligé d’examiner. Notre mobilisation a été forte et utile ». Pour Élie Lambert, secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires, « il y a eu une telle cristallisation du débat public autour de la diffusion de l’image des forces de l’ordre que le Conseil constitutionnel a dû en tenir compte ».
Certes, des dispositions significatives de la loi ont été censurées. Un « gros revers pour le gouvernement », juge Anne-Sophie Simpere. Pour autant, « avancer en mettant en avant les articles les plus saillants est une stratégie pour faire passer d’autres mesures tout aussi inacceptables » rappelle Élie Lambert. L’article 52, « c’était le chiffon rouge » estime Sophie Mazas, avocate au barreau de Montpellier. « Ce qui est beaucoup plus grave, c’est ce que le Conseil constitutionnel a autorisé ».
« Démagogie sécuritaire »
Dans son communiqué suite à la décision du Conseil constitutionnel, la coordination nationale Stop Loi Sécurité Globale qualifie celle-ci de « semi-victoire pour les libertés ». De fait, de nombreux articles problématiques, passés plus inaperçus dans le débat public, ont, eux, été validés. C’est le cas, par exemple, de celui autorisant le port d’armes par les policiers et gendarmes dans les établissements accueillant du public, en dehors de leur service. Ou encore de l’article 43, autorisant les agents chargés du maintien de l’ordre à accéder aux images de vidéosurveillance des espaces communs dans les immeubles d’habitat collectif.
Le Conseil constitutionnel a également validé l’article 50, supprimant les crédits de réduction de peine (prévus par le Code de procédure pénale) pour les personnes condamnées pour des infractions d’atteintes à des élus, magistrats, ou représentants de la force publique. « Là, on rentre dans une espèce de démagogie sécuritaire » déplore Dominique Noguères, rappelant la situation déjà explosive dans les prisons françaises. La vice-présidente de la LDH inscrit cette disposition dans un discours actuel sur le prétendu « laxisme » de la justice, évoquant les récentes manifestations de syndicats policiers.
Certaines validations sont partielles, comme pour l’article 1 bis A, devenu l’article 2. Introduit tardivement dans le projet de loi, il avait soulevé l’attention de plusieurs associations dénonçant une criminalisation de l’occupation de locaux par des sans-abris comme par des militants. Le Conseil constitutionnel a annulé le premier paragraphe de cet article 2, qui triplait les peines encourues pour violation du domicile, considérant qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Mais le second paragraphe, qui étend le périmètre du « domicile d’autrui » aux locaux professionnels, agricoles, commerciaux ou industriels, n’a pas été censuré. « La loi "Sécurité globale" s’inscrit dans une volonté d’attaque ciblée contre le mouvement social. On interprète donc cet article comme un outil contre-insurrectionnel » – l’occupation de locaux étant un levier de lutte historique –, rappelle Lorraine Questiaux, avocate au barreau de Paris.
Le gouvernement a déjà passé plusieurs commandes de drones, « avant même toute évaluation »
« On a surtout gagné du temps » estime l’avocate Sophie Mazas. À titre d’exemple, plusieurs alinéas de l’article 47 portant sur l’usage de drones ont également été annulés par les Sages. Mais celui-ci n’invalide pas, en soit, le principe de leur utilisation. Il exige surtout des garanties suffisantes concernant le respect de la vie privée. « C’est une censure partielle, qui constitue aussi un mode d’emploi » souligne ainsi Sophie Mazas. Autrement dit, la porte est laissée grande ouverte à la réécriture des articles. « On voit bien qu’il y a des portes de sortie possibles pour le gouvernement, en instaurant des garanties. Or, nous ne voulions pas de garanties, mais bien la suppression de cette techno-police » martèle Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. D’autant que le gouvernement a déjà passé plusieurs commandes de drones, « avant même toute évaluation » rappelle Anne-Sophie Simpere. Le dernier appel d’offres du ministère de l’Intérieur date du 12 avril : il prévoyait l’achat de près de 650 drones pour 4 millions d’euros.
Il en est de même pour le volet sur la sécurité privée, important dans la loi, bien que moins connu du grand public. L’article 29 étend les missions de surveillance sur la voie publique aux agents de sécurité privée, dans le cadre de la lutte antiterroriste. La seule limitation donnée par le Conseil constitutionnel est géographique : « Cette mission de surveillance itinérante ne saurait (…) s’exercer au-delà des abords immédiats des biens dont les agents privés de sécurité ont la garde ». Or, à quoi correspond ce secteur géographique ? « Qui va le définir ? Sur quelle base ? » interroge Dominique Noguères. Et très concrètement, « comment va-t-on pouvoir contrôler que tel agent de sécurité privé est intervenu un peu au-delà des bâtiments dont il avait la garde ? » ajoute la magistrate Sarah Massoud.
En somme, il subsiste dans la décision du Conseil constitutionnel un certain flou, « laissant place aux interprétations et à l’insécurité juridique » résume Dominique Noguères. Surtout, la logique globale n’a pas été remise en cause. « Toute la lame de fond sécuritaire, au prétexte de la lutte antiterroriste, est validée » observe Sarah Massoud, qui inscrit cette décision dans la continuité de la jurisprudence depuis la loi SILT (loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme) de 2017. Idem pour « le renforcement de la privatisation de la police, la militarisation et la surveillance de masse de l’espace public,… »
Des dispositions censurées pourraient réapparaître dans la loi « Séparatisme »
Dès le lendemain de la décision du Conseil constitutionnel, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé qu’il proposerait au Premier ministre « d’améliorer les dispositions » invalidées. Effet de communication, ou véritable engagement dans un travail de réécriture ? Difficile de le savoir, pour l’heure. Dans tous les cas, « c’est significatif d’une défiance pour l’État de droit que de vouloir faire passer ce texte par tous les moyens » juge Dominique Noguères.
Ces dispositions censurées au nom de la Constitution pourraient-elles passer par d’autres textes ? L’article 18 du projet de loi « Séparatisme », par exemple, inquiète. Celui-ci punit la divulgation « d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne » permettant de l’exposer à « un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens ». Une « rédaction très large », pointe Anne-Sophie Simpere, qui pourrait recouper le contenu du fameux article 52.
Les associations et syndicats veillent aussi sur deux autres textes actuellement en discussion. D’un côté, le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ; de l’autre, le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », votée le 25 mai par l’Assemblée nationale, en procédure accélérée.
Une « démocratie défaillante » face à la multiplication des lois sécuritaires
Si le Conseil constitutionnel n’a pas examiné tous les articles, c’est qu’il s’est restreint à ceux listés par les saisines des députés et sénateurs. Or, ses prérogatives lui confèrent la possibilité de s’auto-saisir, et d’étendre son contrôle. Pour des lois « passées en urgence, relevant d’un déficit démocratique et très contestées comme celle-ci, il serait souhaitable qu’il le fasse » insiste Lorraine Questiaux. En attendant, renforcer le dialogue entre le monde associatif et les parlementaires « permettraient que les saisines soient davantage exhaustives. Car cette affaire l’a démontré : notre pouvoir est limité. »
Surtout, le fond du problème, à savoir le déséquilibre des pouvoirs, n’a pas été traité, selon Sophie Mazas. Celle-ci déplore la « faiblesse de l’institution » face à une loi « Sécurité globale » issue d’une « instrumentalisation du Parlement par le gouvernement ». Le projet de loi était en effet basé sur les préconisations issues d’une mission temporaire confiée aux députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. « Or les missions temporaires ne sont pas du travail parlementaire, elles répondent à une commande du gouvernement » rappelle l’avocate. Ni les parlementaires, ni le Conseil constitutionnel ne se sont penchés sur cette question de fond. « C’est décevant, mais pas étonnant : si on nous dit au niveau international que la France est une démocratie défaillante, ce n’est pas pour rien… » conclut l’avocate. Or, tout ceci intervient dans un contexte d’ « inflation législative inquiétante, avec des textes extrêmement liberticides » autour des questions de sécurité, observe Dominique Noguères.
« La résistance à l’oppression, c’est la question de demain »
Les coordinations Stop Loi Sécurité Globale se réuniront au niveau national en juin afin de définir les perspectives de mobilisation commune dans les prochains mois. « Avec toutes ces attaques, se mettre d’accord sur des stratégies est compliqué. Les fronts se démultiplient, et ça nous noie » glisse Sophie Mazas. Au niveau régional, les coordinations s’apprêtent déjà à surveiller l’application concrète des articles de la loi validés par le Conseil constitutionnel. Pour le second paragraphe de l’article 2 par exemple, sur l’occupation des locaux, il s’agira de se saisir d’un contentieux pour pouvoir « déposer une question prioritaire de constitutionnalité ; et nous le ferons » explique l’avocate Lorraine Questiaux.
Dans l’application de cet article, comme pour d’autres de la loi « Sécurité globale » ou différentes dispositions sécuritaires (usage du LBD, schéma du maintien de l’ordre...), « c’est la résistance à l’oppression, un droit fondamental, qui est en jeu » selon l’avocate ajoutant que « dans la conjoncture actuelle, cette notion revient inlassablement, et le Conseil constitutionnel va devoir en débattre. C’est la question de demain. »
Maïa Courtois