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Hélène Adam, François Coustal, C’était la Ligue

Lien publiée le 15 juin 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/14463

Un compte rendu de Jean-Paul Salles

Ce livre nous raconte l’histoire d’une organisation d’extrême gauche française sur la longue durée, avec un brin de nostalgie. C’est sous le nom de Ligue communiste, section française de la Quatrième Internationale, qu’elle est née en avril 1969, au congrès de Mannheim, mais ses fondements sont plus anciens.

Certains des dirigeants de la nouvelle organisation, comme Pierre Frank, ont fait partie des pionniers du trotskysme, tout à la fin des années 1920. Malgré un modeste développement au moment du Front populaire ou à la Libération, malgré aussi la création en 1938, à l’initiative de Léon Trotsky, de la Quatrième Internationale, avant 1968 en France, jamais une organisation se réclamant du trotskysme n’avait réussi à sortir de la marge, même si des intellectuels d’un certain renom en ont été un moment membres, comme Benjamin Péret, Cornélius Castoriadis ou Claude Lefort, ou sympathisants comme André Breton. Mai-Juin 1968 a montré que la révolution pouvait être à l’ordre du jour même dans la France des Trente Glorieuses. Ainsi, on a vu grossir des organisations se réclamant du maoïsme, de l’anarchisme ou du trotskysme. Plus ou moins vite, beaucoup de ces organisations ont vite dépéri et sont mortes. Même le PSU, né en 1960, qui avait vu le nombre de ses militants plus que doubler en mai 68, n’a pas dépassé l’an 2000. Par contre, la Ligue communiste devenue Front communiste révolutionnaire puis Ligue communiste révolutionnaire en 1974 a survécu sous ce nom jusqu’en 2009, se transformant à cette date et sur sa volonté en Nouveau parti anticapitaliste (NPA).

Le livre C’était la Ligue raconte donc une histoire de 60 ans puisqu’il commence en 1948 – l’année où les trotskystes participent à des brigades de travail en Yougoslavie, en soutien à Tito – et se termine en 2009. Il est écrit par un militant né en 1950 et par une militante née en 1953. Ni l’un ni l’autre n’appartiennent à une corporation savante, ni à celle des historiens ni à celle des sociologues. Ils n’ont donc pas hanté les dépôts d’archives, notamment l’ancienne BDIC de Nanterre, désormais appelée La Contemporaine, qui s’enrichit régulièrement de dépôts de papiers de militants ou d’anciens militants. Ceci dit, ils compensent ce qui pourrait apparaître comme un handicap par une bonne connaissance des travaux universitaires, assez nombreux désormais, réalisés sur la Ligue. Cependant, ni la revue Dissidences, ni les biographies du Maitron ne sont utilisées. Pourtant la biographie du militant de Clermont-Ferrand Alain Laffont, longtemps conseiller municipal LCR, leur aurait été utile pour répondre à ceux qui reprochent à la Ligue son arrogance alors qu’elle n’a jamais été capable en France de diriger un village (nous pensons à Michel Onfray qui lui faisait ce reproche dans Le Monde du 6 juin 2009).

Il n’empêche … leur qualité de militants et surtout de dirigeants (l’une et l’autre ont fait de longs séjours au Comité central et au Bureau politique) leur donne une vision panoramique intéressante de l’organisation. Ainsi, ils nous aident à démêler, la plupart du temps avec clarté, les débats de tendances qui apparaissent byzantins au profane. Également, ils donnent vie à de nombreux militants, à de nombreuses militantes, qu’ils ont souvent connus et appréciés, précisant le rôle de chacun. Ils ne manifestent pas de rancœur vis-à-vis de ceux qui les ont quittés en cours de route, Henri Weber par exemple, et ils reconnaissent les grandes qualités de certains de ceux qui ont accompagné Gérard Filoche dans sa dissidence, le militant et syndicaliste ouvrier du Puy-en-Velay Raymond Vacheron par exemple. Peut-être ne parlent-ils pas toujours avec autant d’éloquence des militants de base. Ces militants valeureux à qui ni leurs patrons, ni les hiérarchies syndicales (de la CGT comme de la CFDT) n’ont fait de cadeau, les plongeant parfois dans la désespérance. Et leur organisation, cette Ligue à laquelle les auteurs pensent avec beaucoup de tendresse, leur fut d’un piètre secours. Non seulement parce que trop modeste numériquement et non implantée institutionnellement, mais aussi parce que les militants croulant sous les problèmes personnels étaient renvoyés à la sphère du privé. Leurs camarades étaient tendus vers l’objectif grandiose, faire une révolution victorieuse, renverser cet ordre capitaliste et patriarcal inique, ce qui permettra une libération définitive. « L’histoire nous mord la nuque », affirmait-on au début des années 1970 à la Ligue, donc ambitions personnelles, loisirs, études même parfois devaient passer au second plan. Le militant tout entier devait être dévoué à la révolution et à son parti. On ne doutait pas à l’époque que cette posture sacrificielle était indispensable au succès de la révolution. Mais reconnaissons-le, le parti que ces militants s’acharnaient à construire avait des traits qui l’éloignaient de la secte. Et les auteurs le montrent bien : discussions permanentes, tendances variées, fractions même dotées de leur presse publique. Et cela malgré les dangers de scissions – qui ont marqué l’histoire de la Ligue –, mais aussi garantie de voir adhérer des militants issus d’autres traditions politiques, tous événements fort bien documentés et expliqués. Le militant ou la militante de la Ligue ne sont pas des automates. Ils sont hommes et femmes de leur temps. Le parti ne leur interdit pas d’avoir des enfants ni de vivre leur sexualité même quand elle ne réponds pas aux normes traditionnelles. Seule la drogue est prohibée parce qu’elle risque de permettre les infiltrations policières dans l’organisation.

Sur la longue période d’ailleurs, la conception du militant évolua. Le modèle bolchevique des origines laisse place à un modèle de militant plus libertaire. Car l’originalité de la Ligue, bien montrée dans cet ouvrage, c’est de se laisser pénétrer par « l’air du temps », au risque de se le voir reprocher par certaines de ses concurrentes à l’extrême gauche, qui l’accusèrent d’être « opportuniste ». Opportunisme ou nécessaire aggiornamento quand la Quatrième Internationale et la Ligue abandonnent leur attachement à la dictature du prolétariat ? En filigrane depuis un texte fameux de la Quatrième Internationale de 1978, parfaitement explicité par les auteurs, et acté au XVe congrès de la LCR en novembre 2003. Cette perméabilité à l’air du temps a permis à la LCR de ne pas rater l’irruption de la deuxième vague féministe, même s’il y eut quelques hésitations au début. Elle fut un des rares groupes politiques à permettre à ses militantes de s’organiser en groupes spécifiques en son sein – les groupes Sand – pour résister au machisme qui imprégnait aussi l’organisation révolutionnaire. Elle ne rata pas non plus la montée des revendications écologistes. Son combat contre le nucléaire fut précoce et constant sur la longue durée. Elle fut également constamment aux côtés des colonisés en lutte pour leur émancipation. L’anti-impérialisme et l’internationalisme – une constance à la Ligue – ont rendu ces militants sensibles au sort des travailleurs immigrés africains ou asiatiques présents en France. Refusant « l’union sacrée » ou « l’union nationale » avec leur propre bourgeoisie et les partis qui la représentent, les militants de la LCR ont-ils fait preuve de complaisance avec ceux qui se dénomment eux-mêmes « les Indigènes de la République » ? Les auteurs donnent à la fin du volume les pièces du débat en livrant les positions contradictoires à la LCR.

Au lecteur de poursuivre la réflexion, de continuer à s’informer. Comme nous l’avons écrit, ce livre se clôt au moment où la LCR s’auto-dissout (2009) pour donner naissance au NPA. Tel qu’il est – avec ses 766 pages, ses « Repères chronologiques » très bien faits, sa liste des sigles, les données biographiques détaillées aussi sur l’auteur et l’autrice nous permettant de savoir « d’où parlent ces camarades » – ce livre est fort utile. Il est aussi très agréable à lire du fait d’une expression écrite très maîtrisée et d’un beau travail d’édition.