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Le mythique club du Red Star a-t-il vendu son âme au grand capital ?

sport

Lien publiée le 8 juillet 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Le mythique club du Red Star a-t-il vendu son âme au grand capital ? (marianne.net)

En état de vétusté avancée, le stade Bauer du mythique Red Star de Saint-Ouen est enfin en travaux, après des décennies d’attente pour les supporters. Mais le projet confié à un promoteur fait grincer des dents côté supporters. Le club le plus socialiste de France a-t-il vendu son âme à l’ogre capitaliste ?

Loin des milliards qataris du Parc des Princes et de l’immensité du Stade de France, le Grand Paris conserve un petit club, mythique et populaire. Le Red Star FC, créé en 1897 à Paris, est installé depuis 1909 à Saint-Ouen, au stade Bauer. Comme l’indiquent son nom et son slogan, ses origines sont fièrement rouges, au cœur de banlieues qui furent longtemps communistes.

Ce 7 juillet, promoteur, élus et direction du club sont réunis devant journalistes et invités pour fêter le lancement du chantier de rénovation du stade. « C’est une fête aujourd’hui », se réjouit le P.-D.G. de Réalités. Son entreprise doit démolir et reconstruire le stade, et y accoler un vaste projet immobilier, 30 000 m2 de surface commerciale. Budget total : 200 millions d’euros, dont 35 pour le stade. Les supporters, eux, sont absents ce mercredi. Et ils sont sacrément en colère.

Voilà trois décennies que ce stade est au cœur de discussions interminables à Saint-Ouen. Il est dans un état si miteux qu’on a dû exiler le club à Beauvais en 2015 pour jouer ses matchs. Indigne d’un collectif qui est revenu à un bon niveau, aux portes de la Ligue 2. Dans les années 1990, on a même voulu installer les joueurs au Stade de France, puis on leur a vendu un projet d’« arena » flambant neuve sur les docks de la ville. Mais les supporters ont résisté. « Le Red Star c’est à Bauer, et Bauer c’est au Red Star ».

DE L'ACTION SOCIALE À L'ÉCOLE DE COMMERCE

En 2008, le nouveau président du club Patrice Haddad défend d’abord l’expropriation du stade avant de se ranger derrière l’avis des supporters : le stade restera à Bauer. Mais un tel chantier, plusieurs dizaines de millions d’euros, semble infinançable pour cette commune du département le plus pauvre de l’hexagone. En 2013, les supporters réunis dans le Collectif Red Star Bauer comprennent « qu’aucune majorité municipale ne financera jamais une rénovation ambitieuse ». Dès lors, ils assumeront : « nous ne sommes pas opposés au principe d’une rénovation sur fonds privés ».

Il faudra attendre encore cinq ans, en 2018, pour que toutes les parties s’accordent sur le principe d’une reconstruction complète du stade, cédé à un investisseur privé. Les fonds vont arriver via Réalités, un promoteur qui préfère se présenter comme « groupe de développement territorial ». Son projet, c’est de reconstruire le stade pour 10 000 personnes, un format intimiste, conforme au souhait des supporters, et d’y accoler un complexe immobilier de 30 000 m2, la « Box Bauer ». Dans cette « Box » : des restaurants, des magasins, une école de commerce et le nouveau siège de Réalités, dont le stade serait la plus grande réalisation, un véritable modèle. Et un bon coup financier.

Le projet de stade et son imposante "Box Bauer"
©DR

Cette opération immobilière ne s’inscrit pas en terrain neutre. À Saint-Ouen, le prolongement de la ligne 14 fait flamber les prix et donne un coup d’accélérateur à une gentrification en marche, que la mairie a même facilité. En 2019, alors que 9 communes du Nord de Paris signent une charte fixant des prix plafonds au mètre carré pour lutter contre la spéculation immobilière, Saint-Ouen ne s’y associe pas, et conserve un prix plafond bien plus élevé… Pour le promoteur Réalités, l’accusation de gentrification n’est pas un sujet : « la pauvreté, ça n’a jamais été un projet », lâche son P.-D.G. en conférence de presse. « Le mot bobo, ça n'existe pas à Saint-Ouen », insiste Karim Bouamrane, maire PS de la ville.

« LE RED STAR C’EST DANS NOTRE SANG »

Bloqué par le précédent maire UDI, le projet a finalement été lancé concrètement en 2020, par ce nouvel édile qui jure, main sur le cœur, « le Red Star c’est dans notre sang ». Il adoube le projet de Réalités et tout est signé pour une livraison du stade à temps pour les JO 2024. Le Collectif Red Star est associé aux discussions, et les supporters obtiennent certaines concessions. La plus emblématique, c’est l’interdiction pour un siècle du « naming » du stade, une pratique de plus en plus courante, signature du « foot business ».

Mais au printemps 2021, alors que le stade a été vendu en mai à Réalités par la mairie et que le permis de construire doit être signé fin juin, les relations entre les supporters et le promoteur s’enveniment. Le 29 juin, les protagonistes sont réunis pour un comité de pilotage « provoqué suite aux désaccords majeurs apparus ces dernières semaines », selon le Collectif Red Star. Les supporters expriment leur opposition à plusieurs points du projet, qui en l’état trahirait « son passé populaire et son identité architecturale » et quittent la réunion. « C’est du jeu de rôles », veut croire le président du club, interrogé par Marianne.

Au cœur des débats, la place du projet commercial dans l’ensemble. Les supporters s’alarment que l’emplacement prévu pour le « kop », la tribune des fidèles parmi les fidèles, soit rogné par un « restaurant panoramique » et sa baie vitrée donnant directement sur les fans, une « véritable aberration ». Interrogé par Marianne sur ces critiques ce 7 juillet, le P.-D.G. de Réalités Yoann Choin-Joubert a expliqué qu’un « rideau » pourrait être installé contre cette baie vitrée les jours de match. Il a également assuré qu’il y aurait « d’autres concessions ».

Sous le complexe immobilier, une modeste tribune pour les supporters les plus fidèles.
©DR

LE MODÈLE DE LENS

De son côté, le président du club Patrice Haddad souligne la possibilité d’installation du « kop » dans la nouvelle tribune Est, bien plus grande. Mais les supporters sont attachés à ce que cette tribune de fidèles soit placée derrière le but, comme dans la plupart des stades. Et celle adossée au projet immobilier est la seule possible : le stade ne comprend que 3 tribunes, le second but étant directement surplombé par une tour HLM. Patrice Haddad évoque auprès de Marianne le modèle de Lens, et le kop mythique des Sang et Or situé dans une tribune latérale du stade Bollaert.

Autre sujet de discorde, l’aspect de la tribune Ouest, emblématique avec ses toits irréguliers et ses poteaux. Le projet prévoit de faire disparaître ses poteaux, une atteinte « au charme et à l’identité visuelle du stade Bauer », selon le Collectif, qui critique la « paresse » des architectes. Garder les poteaux ? Impossible selon le P.-D.G. de Réalités, ils nuiraient aux retransmissions télévisées. Une affirmation « corroborée par aucun cahier des charges », selon le Collectif.

Les positions sont tranchées, mais le dialogue persiste selon le maire Karim Bouamrane, interpellé par une lettre ouverte ce 7 juillet. « La bonne nouvelle, c’est qu’il y a un état d’esprit hyper constructif » veut-il croire devant les journalistes. Reste qu’avec la vente d’un petit stade mythique des banlieues rouges parisiennes à un promoteur aux visées financières, c’est un bon bout d’histoire qui s’évapore.