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Affaire "suisse" de Cahuzac: le parquet ouvre une enquête
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Contactée mardi 8 janvier, une porte-parole du procureur de la République de Paris n’a souhaité ni confirmer ni démentir nos informations.
L’ouverture de l’enquête du parquet intervient un mois après les premières révélations de Mediapart sur le compte détenu depuis le début des années 1990 par Jérôme Cahuzac à l’UBS de Genève. Le compte, non déclaré au fisc français, a été formellement clos début 2010, date à laquelle, alors simple député, l’actuel ministre du budget en a déplacé les avoirs à Singapour, d’après notre enquête.
Le 29 décembre, le directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a écrit une lettre au procureur de Paris pour lui demander l’ouverture d’une enquête sur le fond des faits qui ont été révélés.
Depuis le début de l’affaire, Jérôme Cahuzac a pris le parti de « démentir en bloc et en détail » – expression qu’il répète à l’envi à la radio et à la télé – les informations de Mediapart, sans jamais pour autant répondre en détail aux questions qui se posent, en bloc, face à sa défense parfois incohérente, souvent mensongère (ici ou là).
Invité à débattre face au ministre du budget hier soir sur le plateau de l’émission Mots croisés, sur France 2, le leader du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon a déclaré au sujet de l’affaire du compte suisse : « L’accusation est énorme. On imagine que l’initiative de porter cette accusation a été méditée avant d’être publiée. Si c’est vrai, c’est terrible, mais si c’est faux, c’est ignoble. »
« Nous n’en savons rien, mais des procédures judiciaires ont été engagées et peuvent lever tous les doutes, d’un côté ou de l’autre. Je demande que la justice ne traîne pas, que la garde des Sceaux fasse en sorte que l’affaire soit jugée le plus vite possible, parce que ça va pourrir la vie politique de ce pays », a-t-il ajouté.
Dans un enregistrement accidentel datant de la fin de l’année 2000, révélé par Mediapart le 5 décembre, Jérôme Cahuzac, alors en discussion avec son chargé d’affaires, le gestionnaire de fortune Hervé Dreyfus, évoquait son embarras concernant l’existence de son compte à l’UBS de Genève. « Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques », confiait notamment l’actuel ministre du budget dans cette bande obtenue dans des conditions rocambolesques.
Le détenteur de l’enregistrement, Michel Gonelle, avocat de profession, ancien bâtonnier du barreau d’Agen et ancien rival politique de Jérôme Cahuzac dans le Lot-et-Garonne, a pris attache le 15 décembre avec la présidence de la République pour certifier l’authenticité de la bande. Il s’est également dit prêt à la fournir à la justice et à témoigner devant un juge.
L’enregistrement est également passé en 2007 entre les mains d’un ancien haut magistrat, le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, comme il l’a confirmé lui-même à Paris Match. Mais le juge a assuré, de manière surprenante, n’avoir pas écouté la bande et l’avoir détruite.
Derrière la fermeté apparente de ses démentis, le ministre du budget a, en réalité, multiplié les contrevérités depuis l’éclatement de l’affaire il y a un mois. Ainsi, pendant plusieurs jours début décembre après nos premières révélations, le ministre et son « entourage » affirmaient publiquement dans les médias ne pas vouloir réclamer auprès de l’UBS de Genève une levée du secret bancaire, car, disait M. Cahuzac, « ce n’est pas à moi de prouver mon innocence ».
Or, on apprenait dans le même temps que l’avocat suisse du ministre, Me Edmond Tavernier, envoyait un mail à cette même banque – mais sans dire quel client il représentait – pour savoir quelle serait son attitude si une levée du secret lui était réclamée. La banque a fait savoir qu’elle ne répondait pas à ce type de questions, mais plusieurs organes de presse ont qualifié d'« incomplète » la vraie-fausse requête de Jérôme Cahuzac, formulée de manière très floue et, au surplus, anonyme.
Des questions sans réponses De la même manière, après avoir démenti s’être rendu à Genève début 2010 pour clore formellement son compte à l’UBS, avant d’en déplacer les avoirs dans un autre paradis fiscal, le ministre du budget a admis, le 5 décembre, au micro de RTL, que ce voyage était « probable », mais qu’il poursuivait un tout autre objectif. En l’espèce : rencontrer, en tant que député, des informateurs secrets qui avaient des éléments à lui transmettre sur des questions « fiscales ».
Depuis, Jérôme Cahuzac ne veut pas dire s’il s’agissait d’une mission officielle réalisée au nom de l’Assemblée nationale ; si des administrateurs de l’Assemblée l’ont accompagné ; s’il existe un compte-rendu de cette mission ; s’il est en mesure de produire le billet de train pris par les services de l’Assemblée, comme il l’a promis sur RTL ; ou de savoir qui étaient ces informateurs secrets et quelle était précisément la nature des « questions fiscales » dont ils voulaient entretenir le député socialiste sans traverser la frontière…
Mediapart a également révélé l’identité du correspondant de Jérôme Cahuzac lors de sa discussion enregistrée par mégarde fin 2000. Il s’agit du gestionnaire de fortune Hervé Dreyfus, que le frère du ministre, le banquier Antoine Cahuzac, lui avait présenté au début des années 1990. M. Dreyfus n’a, à ce jour, pas démenti la moindre des informations que nous avons publiées.
L’« entourage » de M. Cahuzac a quant à lui affirmé le 16 décembre dans les colonnes du Journal du Dimanche que si le ministre connaissait en effet Hervé Dreyfus, c’est parce qu’il a été un client de sa clinique d’implants capillaires. Seulement voilà : d’après les éléments précis recueillis par notre enquête, M. Dreyfus n’a jamais été client de cette clinique.
Mais ce n’est pas tout. Dans des mails récents dont nous avons pu avoir connaissance, Jérôme Cahuzac n’a jamais contesté l’authenticité de l’enregistrement, au contraire. Ainsi, le 5 décembre 2012, échangeant avec un vieil ami qui l’interrogeait sur un éventuel « montage », le ministre évoquait plutôt une « mauvaise plaisanterie sortie du contexte ».
Et alors que, publiquement, Jérôme Cahuzac se dit d’une grande sérénité dans cette affaire, les éléments recueillis par Mediapart montrent au contraire que plusieurs services de l’État ont été mis en branle pour traquer nos sources.
Le 11 décembre, par exemple, la chef de cabinet du ministre du budget, Marie-Hélène Valente, annonçait dans un mail avoir été prévenue par des sources préfectorales d’un échange téléphonique entre Edwy Plenel, le directeur de Mediapart, et une source – réelle ou supposée – du journal. La chef de cabinet annonçait attendre « la copie du rapport officiel » de la police et confiait qu’il faut « être prudent dans la remontée d’informations ».
À ce jour, et contrairement à ce qui a été répété dans les médias, Jérôme Cahuzac a déposé deux plaintes en diffamation contre Mediapart, non pas trois, comme il l'a encore affirmé lors de son débat avec M. Mélenchon. Et encore : la seconde écrase la première. Par ailleurs, aucune des deux plaintes ne vise l’article révélant l’enregistrement, qui ne fait donc l’objet d’aucune espèce de contestation judiciaire (pour « faux », par exemple) bien que le ministre ait affirmé tardivement ne pas être la voix que l’on entend dans la bande.
« Sur les 3 minutes 40 d’enregistrement, il y a 4, 5 secondes où effectivement ça peut être moi, mais il se trouve que ce n’est pas moi », a en effet confié Jérôme Cahuzac, le 19 décembre, à nos confrères de France Inter, affirmant que son frère Antoine, ancien patron de la banque HSBC, lui avait confirmé qu’il ne s’agissait pas de lui sur la bande…
Avec l’enquête ouverte par le parquet de Paris sur le fond des faits, sous un intitulé peu commode pour un ministre du budget en exercice – « blanchiment de fraude fiscale » –, la justice ne semble plus vouloir se satisfaire du simple démenti de façade du ministre.