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Un été meurtrier. Par Vincent Presumey

Lien publiée le 19 août 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2021/08/18/un-ete-meurtrier-par-vincent-presumey/

Les étés dans la lutte des classes en France …

Les mois de juillet et d’août, du fait des congés payés, conquis en juin 1936 par la grève générale, et des vacances scolaires, issues du fait que les enfants étaient pris par les moissons lorsque fut instaurée l’école publique, ne sont traditionnellement pas des mois de grandes luttes sociales et de crise politique en France.

Il y a à cela quelques exceptions, dont la plus importante, injustement (mais nullement par hasard) méconnue dans les récits historiques courants, fut la grève générale d’août 1953, quand les postiers FO et CFTC de Bordeaux partirent en grève contre la première grande contre-réforme capitaliste en France s’en prenant au droit à la retraite, entraînant la grève de tout le secteur public (sauf l’enseignement, en vacances !) et de nombreuses entreprises privées comme Michelin, et le retrait du projet Laniel contre les retraites. Commençait alors en fait l’agonie du régime parlementaire de la IV° République, que la guerre coloniale en Algérie permettra, par un coup d’État militaire, de remplacer par le régime « semi-présidentiel », comme disent les constitutionnalistes, ou bonapartiste, comme nous disons nous, de la V° République, en 1958.

L’été 2021 en France voit se succéder tous les samedis des manifestations dans tout le pays, qui, selon le ministère de l’Intérieur, ont réuni 214 485 (sic !!!) participants le 14 août, 237 000 le samedi précédent, 204 000 le 31 juillet, 160 000 le 24 juillet. Ou, selon notre camarade Jacques Chastaing qui est en ces matières une source infiniment plus crédible que toutes les préfectures de police, ils étaient près de 450 000 le 31 juillet, de 550 000 le 7 août, de 500 000 le 14 août. Ce sont là des chiffres énormes (même ceux, moins crédibles, du ministère !), et ce n’est pas le fléchissement du week-end central du mois d’août, mais sa modération, qui est significatif (c’est en principe le moment le plus estival et inactif de l’année civile !).

Le point de départ, c’est la crise de régime.

Dans un article que les camarades américains de New Politics ont accepté de publier, nous sommes déjà revenus sur la discussion des questions sanitaires, « vaccinales », relatives à la crise actuelle. Nous expliquions que l’origine de la crise réside dans la nécessité absolue, pour Macron, de contre-attaquer de manière antisociale et antidémocratique. C’est pour lui une nécessité absolue, dans son intérêt propre : il veut rendre crédible sa candidature à sa propre succession en 2022, qui n’est pas assurée. Et cela l’est dans l’intérêt général de la classe capitaliste : il veut rendre crédibles les élections présidentielles elles-mêmes, menacées d’une abstention massive à l’instar des élections régionales de juin 2021, qui menacerait le caractère même du régime de la V° République, dont le pilier est le président et dont la source de force et de légitimité est donc l’élection présidentielle.

Le point de départ immédiat de la crise actuelle réside dans ces élections régionales : le caractère très majoritaire de l’abstention, la claque infligée au pseudo-parti présidentiel LREM, et l’échec du RN de Marine Le Pen, tous ces faits faisaient vaciller le plan d’une élection présidentielle avec un second tour Macron/Le Pen, avant tout par sa transformation en un plébiscite à l’envers, détruisant la fausse légitimité du président (quel qu’il soit). C’est pourquoi nous étions à Aplutsoc, et nous sommes toujours, engagés dans un débat élargi sur le boycott actif des présidentielles. Mais tout s’est passé comme si le président Macron avait, à sa façon, intégré ces données et calibré sa contre-attaque à leur mesure.

Si Macron devait surmonter à sa façon le choc de l’abstention de masse de juin, c’est parce que cette abstention de masse venait de loin. Derrière elle, il y avait l’immense soulèvement social dit des « Gilets jaunes » et la poussée vers la grève générale en défense des retraites de fin 2019. Macron a besoin d’une victoire antisociale « à la Thatcher ». La rumeur qui a largement précédé son allocution finalement fixée au 12 juillet était qu’il annoncerait que l’âge du départ à la retraite passerait à 64 ans. En même temps, s’amplifiaient les informations alarmistes sur la 4° vague de l’épidémie de Covid en train de monter, une 4° vague pourtant tout à fait prévisible depuis le mois de mai.

Il faut mesurer l’ampleur de la crise de régime. Après les Gilets jaunes, décembre 2019 et les Régionales, Macron doit contre-attaquer pour sauver ce régime.

L’attaque macronienne.

Le 12 juillet au soir, Macron a choisi les personnels soignants comme cible « à la Thatcher », en misant, avec une ruse indéniable, sur l’isolement de ceux qui ne voudraient pas se faire vacciner. Les soignants, ainsi que les pompiers et d’autres professions accueillant du public (mais pas les policiers, chargés de mettre en œuvre le tout mais dispensés de toute obligation vaccinale !), furent menacés de licenciement au 15 septembre, puis de suspension de contrat sans salaire.

Quand bien même tous seraient vaccinés à cette date, il y a là un précédent gravissime contre le droit du travail et, pour les fonctionnaires, pour le statut : un quasi licenciement sans indemnité, sans droit à la défense syndicale, pour raison de santé avec connaissance par l’employeur de données privées, sans appel à la Médecine du travail. Rien que cela est une attaque centrale, un précédent offert au patronat, venant compléter les ordonnances contre le Code du travail et la loi dite de transformation de la Fonction publique.

Mais de plus, Macron sait pertinemment qu’il y aura beaucoup de non vaccinés menacés par ces mesures : la négligence gouvernementale, jusque-là, à promouvoir la vaccination, la méfiance nourrie par les contradictions et les mensonges de la politique suivie, les difficultés de la santé publique et de l’hôpital public, et la pénétration de théories non scientifiques dans une partie des personnels, tous ces facteurs font qu’il est acquis que des dizaines de milliers de professionnels de santé, notamment dans les secteurs les plus féminins et les plus mal payés, sont ciblés par cette attaque.

Ajoutons que plus de 70% de ces personnels est vacciné (sans que le gouvernement n’y soit pour rien), que bien entendu le port du masque, le nettoyage, etc. sont de rigueur, que les tests sont encore gratuits (mais ne le seront bientôt plus !) : ces faits atténuent grandement le danger sanitaire supposé de la part, principalement, d’aides-soignantes accusées du pire alors que ce sont elles les plus « en première ligne » depuis le début de l’épidémie.

Tel est le premier étage, ou le centre, de la fusée lancée par Macron au soir du 12 juillet. L’entoure le dispositif du « passe sanitaire », assorti de l’annonce de la fin de la gratuité des tests, qui a, depuis, dû être reportée au mois d’octobre. Au jour où sont écrites ces lignes (17 août), il y a, selon le site ministériel, 37,1 millions de personnes ayant « achevé leur parcours vaccinal », comme on dit. Sur 57 millions de plus de douze ans, il en reste donc 20,1 millions qui n’ont pas droit au « passe » sauf à faire un test bientôt payant ou à attraper le Covid. Il faut noter que ce chiffre au 17 août, est supérieur à celui que le premier ministre J. Castex avait annoncé comme son objectif dans son discours du 21 juillet, puisqu’il promettait qu’il y aurait 35 millions de vaccinés complets au 1° septembre. Cela veut dire que la masse de la population cherche à se faire vacciner, tant mieux, et que la majeure partie des personnels soignants n’est nullement en vacances.

Mais il restera de toute façon entre 15 et 20 millions de non vaccinés, qui ne sont pas des « antivax » – les évaluations les plus élevées parlent de quelques 4 millions d’opposants effectifs, dans lesquels on mélange d’ailleurs les antivax idéologiques, des personnes ayant des doutes pour leur santé, voire énervées par le gouvernement.

La très grande majorité de ces « non vaccinés », que l’on accuse déjà, ignoblement, de tomber malades et de saturer les hôpitaux où Véran, ministre de Macron, continue à supprimer des lits, sont des précaires, des ouvriers et employés, des chômeurs, des immigrés, la majorité des demandeurs d’asile, la majorité de habitants de l’ « outremer ».

Peut-être que dans certains pays, des mesures de précautions sanitaires envers les personnes non vaccinées sont acceptées parce que perçues comme normales. Mais Macron a explicitement présenté le passe comme une punition pour celles et ceux qui manqueraient de « civisme ». En réagissant par la dénonciation d’un « apartheid », des millions de gens ne commettent aucun blasphème, mais expriment le sentiment justifié d’une atteinte à l’égalité, donc à la liberté.

Attaque thatchérienne contre les soignants par le moyen de la division envers les « non vaccinés », atteinte à l’égalité des droits de tous par le moyen de la division envers les non ou pas encore vaccinés accusés d’être des « antivax », et pour finir annonce de la contre-réforme de l’assurance chômage au 1° octobre, et de la reprise de l’attaque contre le droit à la retraite. Tel fut donc le paquet-cadeau de Macron le 12 juillet.

Un calendrier de protection de Macron.

Avant d’annoncer ce calendrier, il avait connaissance de celui des directions syndicales. D’une part, comme d’habitude, CFDT, UNSA, CFTC et CGC n’avaient rien prévu. D’autre part, CGT, FO, FSU et Solidaires, et singulièrement la CGT, à l’origine de toutes les journées d’action en France, ont convenu de se voir … le 30 août, pour discuter de la proposition d’une grande « journée » … le 5 octobre.

Macron a placé son attaque dans ce cadre, pour ainsi dire protecteur. Il est probable que les directions syndicales vont devoir ajuster leur dispositif à la rentrée, mais là elles sont en vacances, elles s’abstiennent d’apparaître dans les manifestations montantes, laissant délibérément le terrain à d’autres forces politiques, quitte à expliquer ensuite que c’est en raison de leur présence qu’elles ne viennent pas …

L’été meurtrier des militants.

Cependant, cet été 2021 fut particulièrement meurtrier en ce qu’il a montré que le refus de soutenir les personnels soignants, le déni de l’attaque à la Thatcher de Macron, la dénonciation des non vaccinés comme autant d’arriérés, voire de fascistes, sont aussi, sont surtout, le fait d’une grande partie des couches militantes de gauche et d’extrême-gauche, et de cadres syndicaux qui sont à la fois des organisateurs de leurs collègues de travail, mais aussi des relais parfois activistes des doctrines officielles, se considérant comme devant encadrer, moraliser, surveiller la classe ouvrière peu éduquée, et au besoin la punir.

Beaucoup d’anciens militants révolutionnaires du temps de leur jeunesse, devenus des responsables syndicaux reconnus, en général dans le secteur public ou à statut, certes pas tous (l’auteur de ces lignes les connaît bien puisqu’il est l’un d’eux !), se sont révélés avec brutalité de véritables veilleurs de nuit, au sens où l’employait Marx à propos des démocrates petits-bourgeois, dans le Dix-Huit Brumaire : « Mais le mouvement lui-même, ils le résument en un seul mot de passe : « réaction ! », nuit où tous les chats sont gris et qui leur permet de psalmodier leur rengaine de veilleurs de nuit » (aujourd’hui, on ne dit plus « réaction », mais « fascisation de la société », etc.).

Facebook étant un lieu d’expression important de cette génération militante, je me permettrai, sans donner de nom, de donner quelques exemples. Immédiatement après le discours de Macron, je me faisais traiter de « démagogue » par un responsable SNUIPP-FSU et École Émancipée pour avoir alerté sur l’attaque à la Thatcher visant les soignants. Peu après, une camarade ayant une expérience importante dans les Comités d’Hygiène et de Sécurité pour Solidaires, m’expliquait qu’il est indispensable de sanctionner les personnels médicaux non vaccinés, refusant donc de dire quoi que ce soit contre le plan de Macron, si ce n’est qu’il serait un peu sévère, et, plus encore, m’expliquait à plusieurs reprises que l’alcoolisme au travail doit être puni, estimant sans doute cette comparaison très pertinente ! Puis, ce fut ce permanent fédéral FO dans l’agro-alimentaire, se disant « anarchiste », qui rompit toute discussion après que je lui ai demandé s’il n’était pas tombé sur la tête : il venait d’appeler à ne pas soigner les non vaccinés ! Je dois dire que c’est du côté de la CGT que l’on se heurte le moins à des réactions de ce type. Un camarade CGT du secteur agricole, d’une incontestable culture syndicale et historique, m’a pourtant expliqué qu’il serait judicieux de trouver une sanction alternative à celles que préconise Macron, et que la suppression de la Sécurité sociale envers les non vaccinés pourrait avoir des vertus pédagogiques …

Arrêtons-là ce florilège que l’on pourrait hélas développer longtemps : cet été, surveiller et punir les salariés semble être devenu la pulsion favorite de bien des camarades. Ceci n’est pas anecdotique, c’est un facteur actif, un facteur essentiel du rapport de force social, en faveur de Macron, et aussi, je vais y revenir, en faveur de Philippot.

La vaccination n’est pas un fétiche.

Il y a bien sûr un argument clef qui motive les camarades qui ont tout de suite refusé de dénoncer l’attaque thatchérienne contre le droit du travail, cela avant même toute manifestation anti-passe avec cette présence visible des antivax et de l’extrême-droite qui semble leur faire tant plaisir puisqu’ils peuvent la dénoncer, et qui, depuis, avec quelques accommodements secondaires dus au fait que de plus en plus de structures syndicales, UD CGT et FO, sections départementales FSU, fédérations de la Santé …, prennent position en défense des salariés, poursuivent une véritable campagne contre le mouvement qui s’est engagé cet été, avec les plus grandes manifs estivales de notre histoire.

Cet argument est très simple, très efficace, et je le partage : « Il faut se vacciner ». Seulement, même les données scientifiques n’existent pas en dehors de la réalité concrète et des rapports sociaux. La vaccination obligatoire a été acceptée socialement, parfois contre des préjugés religieux, et parfois malgré des contre-indications médicales, dans des périodes de progrès social. La Commune de Paris avait entrepris de promouvoir la très nécessaire (mais parfois dangereuse) vaccination antivariolique avec des primes aux familles. Nous ne sommes pas dans une telle situation.

La dénonciation de la véritable gabegie sanitaire macronienne, la revendication des moyens pour la santé publique et l’hôpital, y compris pour une vaccination généralisée accessible à toutes et à tous réellement – ce qui est loin d’être le cas partout -, sont des thèmes qui font bien entendu partie de la lutte contre Macron et sa politique au moment présent. Mais ils ne la résument pas et ils sont souvent mis en avant, non pas pour mener cette lutte, mais pour s’opposer aux mots d’ordre qui, inévitablement, apparaissent dans le mouvement réel des masses attaquées dans leur condition d’existence : non au passe, non à l’obligation vaccinale et aux licenciements déguisés.

C’est par ces revendications-là que s’engage, au moment présent, la lutte avec le pouvoir en place. Les éliminer ou les encadrer par une prétendue exigence vaccinale préalable, supposée purifier les autres revendications, c’est en fait s’opposer à la recherche du regroupement sur ces revendications immédiates, c’est diviser, c’est faire le jeu de Macron (et de Philippot).

De revendication générale justifiée, la vaccination devient ainsi un grigri qui n’est agité que pour s’opposer à ce mouvement réel. Ce n’est pas promouvoir réellement la vaccination, que d’en faire un fétiche à opposer aux couches sociales que Macron a décidé d’isoler et de réprimer.

Dire « faites-vous vacciner et puis c’est tout » aux aides-soignantes en première ligne contre l’épidémie depuis le début, ou aux peuples guadeloupéen et martiniquais, n’est pas une défense sérieuse de la vaccination. Ce n’est rien d’autre qu’une insulte. La santé publique a été sabotée par les gouvernements successifs en Martinique et en Guadeloupe. Les personnes en situation présente de révolte ne peuvent percevoir ceux qui leur disent « mais faites-vous vacciner point barre » que comme des auxiliaires de polices – et cela se comprend !

Dire cela ne veut pas dire qu’on est contre la vaccination, bien au contraire. Mais qu’on comprend le mouvement réel. Il faut pour cela, non seulement une méthode d’analyse, mais aussi, disons-le, de l’empathie envers les nôtres. Que des couches militantes entières, en France et à l’étranger où beaucoup ne comprennent rien à ce qui nous arrive, en viennent, au nom de « la vaccination », à croire que des mouvements de prolétaires et de peuples colonisés (Antilles) sont quasiment pré-fascistes, manifeste à la fois une carence analytique et un manque d’empathie, car les deux vont de pair.

Ceci concerne aussi l’approche de la jeunesse, où beaucoup sont à la fois tout à fait cultivés scientifiquement et profondément méfiants envers tout produit promu par les États et par les firmes. Comment ne pas les comprendre (sans que cela ne valide tout ce qu’ils peuvent dire) ?

Le redoutable test de l’ « outremer ».

Dans plusieurs des colonies françaises – de fort anciennes colonies, mais bien des colonies, malgré l’égalité civique concédée depuis 1946 à leurs ressortissants – l’offensive lancée par Macron le 12 juillet a pris la forme d’une épreuve de force, peut-être historique.

A la Guadeloupe et à la Martinique, précédées par la Guyane, ainsi qu’à La Réunion, et aussi à Tahiti et en Polynésie, ici depuis le voyage présidentiel de fin juillet au point que les habitants s’interrogent sur son rôle dans la contagion, l’épidémie frappe avec une violence inégalée. Or, l’ensemble de ces départements et territoires sont sous-équipés au plan sanitaire et sont beaucoup moins vaccinés que tout autre département ou région, le record de sous-vaccination étant atteint à la Martinique (14% mi-juillet). L’une des causes, dans le cas des Antilles, en est sans conteste la méfiance populaire compréhensible après des scandales sanitaires gravissimes comme le chlordécone, incitant à se rabattre sur des recettes traditionnelles sans efficacité antivirale. Mais ceci ne relativise en rien l’indifférence du pouvoir central envers la vaccination de masse des Antillais, Réunionnais, Tahitiens, jusqu’au 12 juillet 2012 où Macron prétend la mettre en route en la présentant comme punitive. Alors commence une campagne de presse présentant les populations comme responsables, en raison de leur arriération, du Vaudou, des sectes évangélistes, etc.

Il y a donc à la fois violence épidémique, violence étatique et coloniale, et violence méprisante et symbolique, envers ces peuples. L’importance de cette épreuve de force autoritaire ne doit pas être sous-estimée. Macron veut se rétablir comme candidat crédible à l’instauration d’une V° République restaurée, « jupitérienne ». Dans ce cadre, il faut une épreuve de force thatchérienne en métropole. Mais dans les colonies, ce qui est visé vient de plus loin encore. Casser toute organisation sociale venant d’en bas, autonome et indépendante, par une campagne autoritaire de vaccination présentant les habitants comme des superstitieux arriérés, c’est en Guadeloupe tenter de casser la tradition et l’héritage de la grande lutte sociale de 2009 où toute la population sauf l’État et une minorité coloniale s’était auto-organisée dans le LKP (Lyannaj Kont Profitasyon), un mouvement qui a eu de l’influence sur les luttes sociales en métropole. Il s’agit de casser la tradition et l’héritage des grands mouvements sociaux de ces dernières années en Guyane, à Mayotte.

Le LKP guadeloupéen et les syndicats, locaux comme l’UGTG ou sections locales des confédérations françaises, sont totalement engagés dans le mouvement anti-passe dans les colonies, à la différence de ce qui se passe en métropole. La plupart du temps leurs tracts et leurs communiqués sont également antivaccins, en tout cas hostiles à toute obligation, avec parfois des arguments nullement scientifiques. Cela s’explique : ces organisations, manifestement plus proches de leur « base » que ne le sont souvent leurs équivalents français, partagent la méfiance populaire que l’État colonial de la V° République, l’État du chlordécone et de Mururoa, a engendré. Cela s’explique et ne peut se corriger, s’il y a à corriger, qu’en étant avec eux, d’abord.

Force est de constater que ces prises de position sont jugées comme un plongeon dans le « complotisme » et, disons-le, dans le fascisme, par les couches militantes que j’ai appelées ci-dessus les « veilleurs de nuit ». Il est significatif que les conséquences de la dimension coloniale ne soient pas prises en compte dans ces jugements sommaires, qui rappellent la dénonciation des nationalistes algériens comme étant des musulmans arriérés, voici soixante-dix ans. C’est là le pire des tests de notre été meurtrier …

Macron nous a fait vivre son second tour !

Fin juin, le scénario convenu des présidentielles l’an prochain était compromis. Par un apparent paradoxe, l’offensive lancée par Macron le 12 juillet a produit une sorte d’équivalent politique par anticipation de ce second tour qui pourrait ne jamais avoir lieu ainsi. Car le silence syndical national, l’engagement actif des « veilleurs de nuit », la prise de position « courageuse » du PS pour la « vaccination obligatoire », etc., tout cela nous dessine une sorte de second tour où Macron devient le moindre mal par rapport à la peste « antivax », dans une orchestration fantasmatique qui, répétons-le, a précédé les premières interventions opportunes de l’extrême-droite, et dans laquelle beaucoup de militants qui disaient fin juin qu’on ne les reprendrait pas à choisir Macron contre Le Pen, se sont précipités la fleur au fusil.

Un bon résumé de cet engagement est donné par le titre du communiqué publié par le syndicat SUD-Education, le 16 août dernier. Ce syndicat offre un excellent reflet de l’idéologie ambiante dans les couches militantes « extrême-gauche », « gauche radicale », libertaire ou écologiste. Voici ce titre : « Pour la vaccination, contre l’extrême-droite ». Bien entendu (c’est habituel), il est appelé à la « construction d’un mouvement de grève dans l’Education nationale et interprofessionnel à partir de septembre », mais ce mouvement doit clairement être monté contre « leurs manifestations, leurs mensonges », à savoir ceux de l’ « extrême-droite » à laquelle sont amalgamées toutes les manifestations actuelles.

Un mouvement construit contre le mouvement social qui se cherche contre Macron, le mouvement réel qui a commencé, sera en fait un mouvement pour Macron, et n’aura pas lieu. Mais y appeler contribue non à la « grève interprofessionnelle », mais à la protection de Macron. « Pour la vaccination, contre l’extrême-droite », ce n’est dans les faits ni pour la vaccination, ni contre l’extrême-droite. C’est pour Macron, voilà tout !

Mouvement réel et extrême-droite.

Prétendre qu’il n’y aurait pas de mouvement social contre Macron en train de chercher les voies et les moyens d’aller de l’avant, serait un pur déni de réalité. Et prétendre que ce mouvement serait sans racines sociales prolétariennes, alors que la question du « passe licenciement » est centrale et que les soignants et pompiers y tiennent une place croissante, et surtout alors que, pour s’en tenir au quinquennat Macron fait de grands affrontements, il a été précédé et nourri par les mouvements des Gilets jaunes, de défense des retraites, et immédiatement par l’abstention massive et la claque conjointe à LREM et au RN aux Régionales, serait un déni comparable. Il y a, chaque samedi, en plein été, des centaines de milliers de manifestants. Si ce sont majoritairement soit des « antivax », soit l’ « extrême-droite », alors la situation française appellerait des contre-manifestations et des mesures de sécurité face à la montée des faisceaux. Il n’en est rien : l’ « antifascisme » fantasmatique n’a d’autre fonction que d’isoler, de dénigrer, et de plonger dans la confusion le mouvement engagé.

Ce mouvement souffre en effet d’une faiblesse majeure, d’une carence fondamentale. Les organisations syndicales au plan national et l’essentiel des forces dites « de gauche » le boycottent et le vouent au fascisme. Comment dans ces conditions pourrait-il ne pas être confus ? Inversement, sa puissance démontre que si les syndicats avaient appelé tout de suite, devant la provocation de Macron le 12 juillet, à l’annulation des menaces contre les soignants et d’autres professions et du passe sanitaire, en même temps qu’à une vraie politique sanitaire comportant les moyens pour une vaccination de masse rapide, alors le déferlement aurait été massif et Macron aurait été vaincu. C’est bien pour cela que cet appel a manqué …

En fait, le plus remarquable n’est pas la confusion de ce mouvement, mais la faiblesse de celle-ci dans les conditions où il est placé. Il a été soit immédiatement, soit dès le second samedi, acquis que l’unité se fait sur la revendication antipasse et non pas « antivax ». Les pancartes « je suis vacciné et je suis ici », nombreuses, sont applaudies. Quand des syndicats sont là, c’est apprécié. La composante des personnels soignants, des salariés, des sections syndicales, des pompiers, va croissant. Les articles de Jacques Chastaing que nous avons publiés de samedi en samedi montrent ce caractère réel, populaire, et sa progression.

Le fait qu’une intervention syndicale, ou une intervention politique de « gauche », n’aille pas forcément de soi et demande d’abord l’affirmation claire de l’engagement contre le passe et contre les licenciements déguisés, ne signifie absolument pas qu’il existerait une défiance « de droite » ou « d’extrême droite » (sauf quand des groupes de droite interviennent directement), mais relève d’une défiance de masse, présente dans les Gilets jaunes, et, en fait, depuis déjà les « Bonnets rouges » en 2013, présente dans tous les mouvements sociaux réellement profonds de la période actuelle. Croire ou faire croire que ces traits, associés à la présence effective de courants d’extrême-droite (je vais y revenir), prouveraient qu’on a affaire à un mouvement « fascisant », relève du même genre de méthodes par lesquelles certains firent passer les manifestations ukrainiennes de 2013-2014 pour « nazies », et les soulèvements de Deraa ou d’Alep en Syrie pour « djihadistes ». Méthodes de facture stalinienne, inacceptables …

Cela dit, oui, il y a, plus que précédemment lors des Gilets jaunes où pourtant ceci avait été tenté au début, un problème de pénétration politique dangereuse pour le prolétariat et la démocratie, dans ces manifestations. La responsabilité en incombe entièrement aux organisations qui, en protégeant Macron, font tout pour qu’il en soit ainsi, et aux « veilleurs de nuit » qui, d’ailleurs, se rattrapent de ce qu’ils avaient ressenti lors de l’irruption des Gilets jaunes et avaient dû ravaler : une aversion viscérale pour tout mouvement non préalablement contrôlé, encadré et canalisé. Ceci étant clair, il faut analyser le problème tel qu’il se présente.

Le plus souvent, les commentaires hostiles à gauche se bornent à décrire une « populace » atteinte d’une maladie étrange appelée « individualisme ». Ce genre de généralités ne permet pas d’identifier quels sont exactement les courants dangereux. Il s’agit d’une part des « antivax », d’autre part d’une partie de l’extrême-droite.

Les « antivax », en France, ne relèvent guère de l’extrême-droite. Leurs contingents les plus nombreux, en dehors du cas très particulier de l’ « outremer » dont il a été question plus haut, se situeraient en fait plutôt aux confins de l’écologisme et de l’extrême-gauche, dans des couches sociales hostiles au mode de vie urbain et se voulant proches de la « nature ». S’y ajoutent des courants religieux, y compris sectaires, et, tout récemment, les mouvances QAnon qui forment en France un réseau de petits groupes généralement jeunes qui en d’autres époques se seraient proclamés « autonomes ». Ce sont ces derniers groupes, présents lors de l’attaque du SO de la    CGT à Paris le 1° mai dernier, qui forment une interface entre le monde « antivax » et l’extrême-droite.

Celle-ci est loin de participer toute entière à ces manifestations. Marine Le Pen reste prudente, n’y va pas et n’incite pas à y aller. Deux figures de l’extrême-droite française, le maire de Bézier Robert Mesnard et la vedette télé Eric Zemmour, les condamnent et soutiennent la politique sanitaire de Macron. Divers groupes antisémites et fascistoïdes sont présents, comme ils le furent dans les Gilets jaunes. Un courant et une personnalité ont tiré leur épingle du jeu, celui de Florian Philippot.

Soyons attentifs au cas Philippot.

Celui-ci a tenté, sous l’ombre protectrice des forces soutenant la politique sanitaire de Macron, de préempter le mouvement, ayant pris l’initiative d’appeler à manifester tout de suite. En fait le gros du mouvement se développe en dehors de lui, et sur Paris, ses rassemblements se font à part, sont les moins nombreux et les seuls à ne pas être harcelés d’une façon ou d’une autre par la police du préfet de Macron, le sieur Lallement.

Philippot a été la tête politique du RN de Marine Le Pen pendant les présidentielles de 2012, puis l’a quitté et a formé en septembre 2017 un groupuscule « souverainiste », Les patriotes. Il faut suivre de près ses discours : ils reposent sur une analyse de la situation qui ne se dirige pas sur les présidentielles, mais sur une crise de régime explosant avant les présidentielles. Bien qu’il n’en ait sans doute pas la stature (mais qu’est-ce qu’une « stature » ? Macron l’avait-il ?), il fait un pari sur une explosion sociale et politique renversant Macron, pour se poser en sauveur du régime, contre la démocratie, contre la grève générale imposant des élections à tous les niveaux en cassant l’appareil d’État bonapartiste, pour l’avènement d’un chef « populiste » (lui) à la Napoléon. D’où les affinités remarquables entre ses prestations et certains aspects de la posture d’un … Mélenchon, dans la présidentielle de 2017.

Sur Paris, les rassemblements de Philippot sont isolés des autres manifs. A une échelle de masse, il n’est absolument pas considéré comme le « chef » du mouvement, et d’ailleurs pas très connu. Combattre ce type de manœuvres requiert une orientation avec une perspective : contre le passe, contre les licenciements déguisés, pour les moyens nécessaires à la santé publique et à la vaccination de masse (mais aussi à la recherche sur les traitements), pour la défense des retraites, de la Sécu, des services publics, dehors Macron, à bas la V° République et ses préfets, démocratie à tous les niveaux et assemblée constituante.

Le calcul d’un Philippot est que Macron va échouer, mais que la protection de Macron par la gauche et les appareils syndicaux vont lui offrir un espace pour être, lui, le sauveur de la V° République. Le fait même que ce soit un tel petit aventurer politique, de faible facture, qui fasse un tel calcul, montre à la fois sa fragilité et la réalité de la crise de régime.

La question antisémite.

L’antisémitisme existe à une échelle de masse et apparaît forcément dans tout mouvement social s’en prenant aux capitalistes et à l’État, car il fonctionne comme un faux anticapitalisme fantasmant le complot d’une caste de privilégiés. Il était présent dans le mouvement des Gilets jaunes, comme il fut présent à toutes les étapes … en Russie en 1917 ! On ne le combat pas en condamnant les mouvements sociaux et populaires comme antisémite, mais en le détruisant de l’intérieur de ces mouvements, ce qui exige d’en être de vrais partisans, leur donnant une perspective.

Compte tenu du blocus organisé par la « gauche » officielle, du caractère populaire du mouvement, et de l’espace pris dans ces circonstances par les groupes d’extrême-droite dont il vient d’être question, il était inévitable que des expressions antisémites y apparaissent.

Pour autant, la plupart ne sont pas spontanées, mais organisées, notamment la campagne d’affiches autour du mot « Qui ? », inspirées par les propos antisémites du général en retraite Delawarde. Une telle affiche, brandie par une ancienne collaboratrice de Philippot, a circulé sur les réseaux sociaux un peu comme les photos de Pravyi Sector dans les manifs ukrainiennes de 2013, sans dire d’où venait l’affiche et en la présentant comme l’expression dominante de ces manifestations, calomnie dangereuse faisant le miel de l’extrême-droite. Plusieurs communiqués du RAAR (Réseau d’Action contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) sont tombés dans cet amalgame.

Englobés dans ces calomnies, de nombreux militants, notamment à l’initiative de sections locales du NPA, ont affronté directement de tels groupes bien organisés, qui, à l’insu de la foule, tentent de contrôler l’accès à la parole dans les manifestations de Montpellier. Ce samedi 14 à Besançon, à l’appel de syndicalistes c’est toute la manifestation qui a hué un groupe de nazillons. Cette image là n’est bien entendu pas « virale » comme celle de l’affiche antisémite …

Oui, il faut combattre et virer les fachos. Mais cela n’aura jamais lieu si l’on s’imagine ce mouvement comme quelque chose d’impur qu’il faudrait purifier, ou qu’il faudrait rendre « de gauche ». Le fond du mouvement, la raison pour laquelle il y a en plein mois d’août des centaines de milliers de manifestants, c’est la défense de la liberté et de l’égalité devant la loi, contre Macron. Combattre et virer les fachos peut réussir sur cet axe-là, qui est celui du mouvement lui-même dans sa grande majorité.

Conclusion : la principale bataille est dans les quatre semaines à venir.

Tout le monde l’a bien saisi, y compris les directions syndicales au silence d’abîme infini pour l’instant : la période toute prochaine sera décisive. Rentrée scolaire, rentrée « politique » tentant de remettre les choses sur l’axe des présidentielles, rentrée sociale, échéance des licenciements déguisés au 15 septembre, réunion des instances syndicales locales et nationales …

F. Philippot, qui l’a compris aussi, veut retenter ce qu’il n’a pas réussi : préempter l’affrontement, c’est pourquoi il appelle à une montée massive à Paris le samedi 4 septembre. Symétriquement, des appels comme celui, critiqué ci-dessus, de SUD-Education, s’ils se multiplient, contribueraient à isoler le mouvement qui se cherche. Mais celui-ci, instinctivement, espère que la rentrée voit débouler dans ses rangs les syndicats, le monde de l’enseignement et la jeunesse. C’est à cela qu’il faut œuvrer.

Une unité syndicale contre le mouvement engagé ou pour en lancer « un autre » ne fera que le jeu de Macron (et de Philippot,) mais par contre l’engagement des structures syndicales, et des syndiqués, dans le combat, peut lui permettre de surmonter ses confusions en se dotant de ce qui lui manquait, parce qu’il en a été privé volontairement.

Il y a une échéance : le 15 septembre. Interdire les licenciements faussement « vaccinaux » de soignants, de fonctionnaires territoriaux, de pompiers … est une bataille décisive. Les patrons et les chefs de service ont peur, c’est l’État central qui les a mis en première ligne. Si nous battons Macron là-dessus, la suite s’ensuivra.

La seule raison, à ne pas exclure, pour laquelle il pourrait nous battre en battant les soignants, serait que l’union sacrée « vaccinale » avec lui paralyse la mobilisation, avec notre classe, des organisations syndicales, empêchant ainsi la réalisation de l’unité. C’est cela qui ferait « le jeu de l’extrême-droite ». C’est là-dessus qu’il faut porter le fer.

VP, le 17/08/2021.