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Une hypothèse afghane

Afghanistan

Lien publiée le 22 août 2021

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Une hypothèse afghane, par Jacques Chastaing. – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

RASSEMBLEMENTS MASSIFS DE SOUTIEN AU PEUPLE AFGHAN AU PAKISTAN.

C’EST PEUT-ÊTRE LA PEUR D’UN SOULÈVEMENT POPULAIRE QUI A MOTIVE L’INTERVENTION DES TALIBAN ET LEUR SUCCÈS SANS OPPOSITION

Sur la photo ci-dessus, on voit un rassemblement de soutien au peuple afghan dans le Waziristan (ancien bastion des Talibans dont ils ont été chassés) au Pakistan le 27 juillet 2021. Ce rassemblement se passe à Makreen, dans une région Pashtun à la frontière afghane, et est à l’initiative du PTM (mouvement de défense des Pashtuns) mouvement laïc se réclament du marxisme, tout à la fois anti-Taliban et anti gouvernement pakistanais militaro-islamiste (qui soutient les Talibans et sans qui ils ne seraient pas grand chose), présent sur les deux côtés de la frontière.

Les leaders du PTM mènent campagne sur le fait que jamais la guerre ne réglera la question afghane et qu’il faudrait un règlement démocratique associant les peuples eux-mêmes. Des rassemblements massifs de cette ampleur ont lieu dans cette région depuis début juillet 2021 jusqu’à aujourd’hui.

En même temps, en juillet puis début août 2021, le PDM (mouvement démocratique pakistanais) s’est reconstitué avec l’alliance de 11 partis d’opposition, affichant à nouveau ouvertement sa volonté de dégager le pouvoir militaro-islamiste du Pakistan par la rue et appelant à de premières manifestations à la fin août. Or le PDM, créé en octobre 2020, avait fait trembler le pouvoir pakistanais durant tout l’hiver 2020-2021, mobilisant comme jamais dans l’histoire de pays des foules immenses sur la promesse de dégager le pouvoir par la rue en marchant sur le palais présidentiel d’Islamabad fin mars 2021 à partir de toutes les régions du pays en même temps que les classes populaires et la classe ouvrière se mobilisaient autour d’une vague de grèves et de mouvements sociaux considérables dans les aciéries, la santé, l’enseignement, les services publics, chez les journalistes, les avocats et magistrats, les femmes, les paysans. Ils se battaient sur mille revendications – notamment contre les privatisations -.. avec fin mars la perspective d’une grève générale et d’une marche paysanne également sur la capitale et tous le même objectif, dégager le gouvernement.

La « longue marche » contre le pouvoir vers la capitale, comme l’appelait le PDM, réveillait en même temps les contestations régionales autonomistes ou indépendantistes de gauche, Pashtuns du PTM, les Baloutches et les Hazaras qui se mettaient tous en mouvement, multipliant manifestations et rassemblements, après une longue période de soumission par l’islamisation de force par le pouvoir. Cet énorme soulèvement social et laïc, de la même importance que celui qu’on voyait en Inde, balayait en même temps les Talibans dont les bases, chefs, militants et centres de formations se trouvent au Pakistan qui étaient effacés et n’avaient plus qu’à se cacher.

Malheureusement, après des rassemblements comme on en avait jamais vus, le PDM éclatait début mars 2021 sur des questions électorales. Le pouvoir à deux doigts de l’effondrement était sauvé in-extremis et renforçait alors répression et ses mesures anti-populaires, les Talibans étaient sauvés.

On comprend qu’avec la résurgence du mouvement Pashtun de gauche et la possible résurgence du PDM et derrière lui d’un mouvement populaire insurrectionnel et donc l’écroulement ou l’affaiblissement du régime militaro-islamiste pakistanais et la disqualification des Talibans, alors que l’armée américaine quittait le territoire afghan, les puissants de la région – et plus loin encore- pouvaient craindre avec un pouvoir afghan faible et corrompu un quais vide du pouvoir laissant toute la place au peuple lui-même, bref à une insurrection populaire. Il fallait faire vite vu les mobilisations au Waziristan et la possibilité de mobilisation fin août au Pakistan.

On comprend peut-être ainsi mieux pourquoi au delà de la déliquescence de l’armée afghane elle-même, les seigneurs de guerre, l’Alliance du Nord, les pouvoirs afghans anti-talibans alliés du gouvernement afghan, ne se sont pas battus contre les Talibans et les ont laissé passer sans combats. Il ne fallait pas que les choses traînent avec le risque à venir d’une irruption populaire sur la scène politique, ce qui signifiait pour eux la perte de la solution gouvernementale des Talibans et donc tout à la fois la perte de leur propre pouvoir face au peuple. On comprend peut-être aussi mieux les bizarres rencontres à Islamabad ces derniers temps entre les autorités pakistanaises et les forces militaires afghanes anti-taliban avec la promesse à la clef d’un gouvernement d’union nationale.

Bien sûr tout cela n’est qu’une hypothèse pour expliquer l’intervention des Talibans et leur étrange succès sans combat. Mais il y en a mille vues d’en haut affichées par la presse et les experts, alors une vue d’en bas sur des causes sociales qui font tellement plus peur aux possédants, pourquoi pas ?

Jacques Chastaing