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Alice Ekman, Rouge vif. L’idéal communiste chinois

Chine

Lien publiée le 9 septembre 2021

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https://dissidences.hypotheses.org/14563

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

Alice Ekman est une analyste spécialisée de l’Asie, qui veut prouver, dans cet essai, que la Chine actuelle est toujours profondément communiste, en dépit du caractère hybride du pays et de ses structures, fruit d’héritages multiples qu’elle ne néglige pas. Ce serait surtout à compter de la présidence de Xi Jiping, au début des années 2010, que ce retour se serait fait jour. Mais de quoi parle-t-on exactement ? C’est bien là le problème majeur de Rouge vif, le manque de finesse et de précision quant aux termes utilisés. Les sources mises à profit sont d’ailleurs surtout des échanges avec des Chinois, et les discours officiels, sans démarche de maîtrise minimale de l’histoire du marxisme et du communisme dans leur totalité.

Car Alice Ekman, dans cette filiation qu’elle défend, cite aussi bien Marx que Staline, Lénine que Mao ZeDong, le marxisme que les pays du « socialisme réel », sans du tout opérer les distinctions pourtant nécessaires. En réalité, les exemples qu’elle énumère à l’appui de sa thèse, au risque d’ailleurs d’avancer des évidences, prouvent surtout un retour à certains éléments maoïstes, tout au moins de son époque dirigeante : recadrage idéologique, logique bipolaire, autoritarisme accru, importance de la propagande, contrôle croissant de la population (le fameux crédit social) et de l’économie… De là à conclure à une nature plus « communiste » qu’impériale de l’État chinois, c’est aller un peu vite en besogne, à propos d’un débat complexe. La politique étrangère chinoise, pour ne citer qu’un exemple, s’inscrit dans un modèle de vassalité et de supériorité typique des différentes dynasties impériales. Autre écueil, sa tendance à survaloriser les discours, estimant que l’utilisation d’un jargon marxiste vaut identification. Elle finit ainsi par rejoindre un penseur militant comme Domenico Losurdo (Fuir l’histoire ? La révolution russe et la révolution chinoise aujourd’hui), retenant le parallèle entre la Chine capitaliste et la NEP soviétique, et faisant de la Chine la championne d’un communisme réel, si on me permet cette expression, encore à venir.

Pourtant, son livre contient à certains moments des remarques pertinentes, mais qu’Alice Ekman ne relie pas forcément entre elles afin de construire une thèse explicative plus développée et plus convaincante. Ce retour d’un discours communiste plus franc doit en effet se rattacher à une peur profonde des hiérarques du Parti, celle d’une chute du type de celle qu’a vécu l’URSS. Il est donc essentiel d’affirmer la solidité de l’idéologie séminale, celle du Parti-État ayant débuté sa domination en 1949, à la fois pour fournir un espoir politique aux masses et pour incarner un contre-modèle face aux puissances occidentales, et particulièrement aux États-Unis. Mais ce marxisme chinois officiel est sélectif et malléable. Sélectif, car marginalisant des éléments allant dans le sens de l’auto-émancipation de la classe ouvrière. Malléable, car le marxisme de Xi Jiping est appelé à s’adapter à l’état du monde, partant aux intérêts nationalistes de la Chine.

Affirmer alors, comme le fait Alice Ekman, que la Chine mène une « politique étrangère internationaliste » est un contresens total. L’internationalisme communistee n’est fondamentalement pas l’imposition d’un modèle unique de développement, mais plutôt la prise en compte des spécificités de chaque pays ; et que dire du rejet de valeurs « occidentales » par la diplomatie chinoise, là où le marxisme est pétri de cet « occidentalisme » et se veut universaliste ? Bref, Rouge vif est un essai tragiquement superficiel, qui ne fait que survoler un sujet appelant des analyses autrement plus poussées et solides.