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Sur les élections en Russie

Russie

Lien publiée le 7 décembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Inprecor

Léonid Krieger*

Du 17 au 19 septembre, les élections législatives ont eu lieu en Russie. Elles ont été marquées par une fraude et des intimidations sans précédent. Malgré tous les efforts militants de l’opposition, le parti Russie Unie de Vladimir Poutine a conservé la majorité constitutionnelle à la Douma. Cela signifie que Russie Unie n’a pas besoin d’une coalition avec d’autres partis pour faire passer les lois dont le régime a besoin. Le peuple russe s’attend à cinq années supplémentaires d’intensification de la répression étatique et à la poursuite des politiques d’austérité.

Quels changements – bien qu’insignifiants à ce stade – ces élections ont-elles apportés ? Et que devons-nous faire maintenant ? Pour répondre à ces questions, revenons au début de la campagne.

À Moscou, le 6 juin, a eu lieu un événement important : Mikhail Lobanov, un socialiste démocratique et dirigeant syndical, a été nommé candidat aux élections de la Douma. Son principal engagement vise à protéger les parcs et les forêts face aux entreprises du BTP, à construire un système d’éducation et de soins de santé de haute qualité et abordable, à augmenter les retraites et le salaire minimum, à abaisser l’âge de la retraite et à défendre les droits et les libertés civiques.

Le Mouvement socialiste russe, qui comprend un groupe de membres de la IVe Internationale, a activement soutenu la candidature de Lobanov. Nous avons fait campagne parmi les résidents du district où Mikhail a été nommé, nous avons affiché des autocollants et distribué nos journaux et nos tracts. Tout l’argent qui a dû être dépensé pour les besoins de cette campagne a été donné à Lobanov par des électeurs ordinaires.

Bien que Lobanov ne soit membre d’aucun parti, il a été candidat du Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR). Mikhail a accepté cela pour plusieurs raisons. Premièrement, s’il s’était présenté en tant que candidat indépendant, il aurait été obligé de recueillir 15 000 signatures d’électeurs de sa circonscription, ce qui est pratiquement impossible pour un certain nombre de raisons bureaucratiques. Deuxièmement, la candidature du PCFR a permis à Mikhail de convaincre plus facilement celles et ceux qui fondent leurs espoirs sur ce parti. Il s’agissait à la fois de personnes qui soutenaient les communistes pour leur programme socio-économique et de personnes qui votaient pour le Parti communiste parce qu’il représentait l’alternative la plus efficace à Russie Unie.

En absence d’un véritable système parlementaire en Russie, les électeurs devaient voter non pas pour le candidat le plus approprié politiquement, mais pour celui qui pouvait battre le candidat de Russie Unie. Le fleuron de cette méthode est le « vote intelligent » – une tactique inventée par le prisonnier politique Alexei Navalny et son équipe. Quelques jours avant les élections, le site web et l’application « vote intelligent » ont publié une liste de candidats recommandés, dont Mikhail Lobanov. Malgré le fait qu’Alexei Navalny soit un ancien populiste de droite, la plupart des candidats recommandés venaient du PC. C’est pourquoi une situation paradoxale s’est développée en Russie : des personnes se positionnant comme libérales ont voté pour les communistes lors de ces élections.

En 2019, grâce au « vote intelligent » 20 députés de l’opposition ont été élus au conseil municipal de la ville de Moscou contre 25 députés soutenus par le maire (élu en 2018) et son parti, Russie Unie. Pour éviter que cela ne se reproduise alors que l’opposition gagne en sympathie, les autorités ont eu recours à des falsifications par le biais du système de vote électronique.

Les membres de Russie Unie, tenant à rester au pouvoir, ont tout fait pour conserver la majorité des voix au Parlement. Plus de 5 000 falsifications ont été enregistrées.

Je me limiterais à décrire en détail un seul exemple de cette politique éhontée des autorités. À Saint-Pétersbourg, un candidat à l’Assemblée législative de la ville était Boris Vishnevsky, membre du parti libéral Yabloko. Deux autres candidats se sont inscrits dans sa circonscription, portant les noms de… Boris Vishnevsky et… Boris Vishnevsky. Il s’agissait de deux candidats pro-Kremlin, Aleksey Shmelev et Viktor Bykov, qui ont changé de nom et d’apparence peu avant les élections. Distinguer le candidat de l’opposition de ces « homonymes » était presque impossible. Et lorsque le 22 septembre, après les élections, le vrai Boris Vishnevsky est allé se plaindre des nombreuses falsifications, il a été agressé en arrivant au bureau de l’administration de son district. Parmi les agresseurs se trouvaient ces autres candidats.

Pendant le scrutin il y a eu des attaques contre des observateurs, des stylos à l’encre effaçable ont été remis aux électeurs et, dans certains bureaux de vote, les caméras d’observation se sont « soudainement » éteintes. Dans la ville de Cheboksary, le président de la commission a même mangé la liste des électeurs pour dissimuler sa falsification.

Même dans de telles conditions, Russie Unie a perdu 19 sièges et le Parti communiste a remporté 15 sièges de plus que lors des élections précédentes. On peut aussi remarquer de petits changements dans les sentiments politiques des gens : ils évoluent lentement vers la gauche. Ainsi, le Parti libéral démocrate de Russie, populiste et d’extrême droite, a perdu 18 sièges à la Douma, et Une Russie juste - Pour la vérité, de centre-gauche, a obtenu 4 mandats supplémentaires.

Il est également évident que les gens peuvent se tourner non seulement vers la gauche comme alternative, mais aussi vers les idées libérales. Dans le même temps, ils constatent que les vieux partis libéraux ne les aident pas à résoudre les problèmes sociaux et ils cherchent de nouvelles formations pour exprimer leurs opinions. Ainsi, le fait que, pour la première fois depuis 2007, non pas quatre, mais cinq partis aient des élus à la Douma a fait sensation. Ce nouveau parti c’est Nouveau Peuple (qui, toutefois, a été accusé d’avoir un lien évident avec le Kremlin) avec 13 sièges. Toutefois, le succès de ce parti peut être attribué non pas tant à l’affiliation avec les autorités qu’à l’abondance de l’agitation dans la rue. Mais le vieux parti libéral Yabloko n’a obtenu que 1,34 % des voix, car son chef, Grigory Yavlinsky, a exhorté les partisans du « vote intelligent » à ne pas voter pour son parti.

Pour la première fois depuis 2003, Russie Unie n’a pas gagné toutes les régions de Russie. Dans la région de Khabarovsk (Extrême-Orient), dans la République Sakha (Yakoutie), dans la République des Maris (Tchérémisses) et dans le district autonome de Nénétsie, il y a eu plus de voix pour le PC que pour le parti de Poutine. Dans la plupart de ces régions, il y a un mécontentement de la population, et des candidats sont parvenus à attirer les mécontents. Cela signifie qu’il existe une perspective de croissance de la protestation organisée non seulement dans les grandes villes de Moscou et de Saint-Pétersbourg, mais aussi « en province ».

Afin d’assurer la victoire de Mikhail Lobanov et d’empêcher de nombreuses falsifications, des observateurs du candidat étaient présents dans la plupart des bureaux de vote. Cela a permis à Lobanov de gagner avec 10 851 voix de plus !

Mais, malheureusement, aucun militant n’a pu observer le vote électronique, organisé dans six régions de Russie. Par exemple, à Moscou il est possible de choisir comment voter – de manière traditionnelle ou électronique. De nombreux travailleurs d’entreprises publiques et municipales se sont plaints que leurs directeurs les ont forcés, sous la menace d’un licenciement, à rédiger une déclaration exprimant leur « désir » de voter par voie électronique. Il semble que personne n’ait été forcé de voter pour des candidats spécifiques. Cependant, il n’existe aucun moyen indépendant de vérifier les résultats du vote électronique. Les autorités se contentent d’annoncer le résultat.

Le 19 septembre, les candidats de l’opposition, dont Mikhail Lobanov, ont gagné dans 9 des 15 districts de Moscou selon les résultats du vote traditionnel. Cependant, le 20 septembre, les autorités ont annoncé les résultats du vote électronique et « il s’est avéré » que les élections à Moscou ont été remportées exclusivement par les candidats du pouvoir ! Mikhail Lobanov et 8 autres candidats de l’opposition ont « perdu »… Les autorités ont apparemment truqué les résultats du vote électronique.

Le même jour, le 20 septembre, dans le centre de Moscou, le Parti communiste a organisé un rassemblement, auquel ont participé plusieurs centaines de personnes. C’est beaucoup, étant donné que l’événement avait été annoncé seulement quelques heures avant, que c’était un jour ouvrable et qu’il pleuvait. Lors de ce rassemblement, le PCFR a annoncé qu’il ne reconnaît pas les résultats du vote électronique et qu’il se bat pour que les candidats qui ont honnêtement gagné les élections deviennent députés.

Quand Mikhail Lobanov a pris la parole, la foule a scandé : « Lobanov ! Lobanov ! » Notre candidat a annoncé : «¡ Au cours de ces mois, nous avons prouvé que nous étions capables de beaucoup de choses. Un mouvement a surgi qui a détruit les espoirs des autorités russes. Nous avons vu les gens voter contre l’inégalité flagrante qui déchire notre pays. Ils ont voté contre l’inégalité, dans laquelle une poignée pitoyable de gens riches possède tout. »

Lobanov n’a pas oublié de mentionner la nécessité de construire un mouvement de base : « La vraie politique ne se résume pas aux élections. La vraie politique, c’est une lutte dans nos universités, dans nos quartiers, dans nos districts. C’est une lutte dans nos entreprises pour nos intérêts communs. Et nous allons continuer cette lutte. Nous sommes devenus plus forts et, par conséquent, nous sommes capables d’accomplir davantage. »

Toutes les personnes présentes au rassemblement ne soutenaient pas totalement les communistes, c’est pourquoi Mikhail a annoncé depuis l’estrade : « Je crois qu’il est de mon devoir, en tant que candidat pour lequel des personnes ayant des opinions et des positions différentes ont voté, de défendre ce qui nous unit. Le premier élément est la lutte contre l’inégalité politique et économique. Le second est la lutte contre la répression politique ou autre. J’exhorte tous les candidats à s’unir et à formuler des revendications communes ».

Sur les réseaux sociaux, des rassemblements ont déjà été annoncés les 23 et 25 septembre, où les gens pourront se réunir et demander l’abolition du vote électronique. Effrayées par une éventuelle augmentation du mécontentement populaire, les autorités ont déjà annoncé qu’elles vérifieraient les résultats du vote électronique (tout en ayant prévenu que cette vérification n’aurait pas de valeur légale).

Il ne faut pas oublier que le vote électronique n’est qu’un des innombrables moyens de truquer les élections. Selon des analystes indépendants, les autorités auraient pu truquer plus de 13 millions de votes, soit 30 % du nombre total d’électeurs. La commission électorale centrale annoncera les résultats définitifs des élections le 24 septembre. Toutefois, la véritable issue des événements dépendra de la capacité des candidats de l’opposition, des militants de base et des Russes ordinaires à descendre dans la rue et à exiger que les vrais résultats des élections, et non les faux, soient reconnus.

Moscou, le 22 septembre 2021

Léonid Krieger est militant du Mouvement socialiste russe à Moscou.