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Taubira: cartes rebattues ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Taubira : cartes rebattues ? – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)
Christiane Taubira a annoncé ce matin qu’elle souhaite pouvoir dire mi janvier qu’elle sera candidate pour « la gauche », mais pas « une candidate de plus », mais donc, ainsi que ceci est interprété, la candidate unitaire à même de « sauver la gauche ». Coup de théâtre, lit-on parfois. Avant d’analyser ce dont il retourne exactement, il convient de revenir sur le semestre écoulé, relativisant ainsi cette notion de « coup de théâtre ».
Début juin dernier prévalait pour tous les commentateurs médiatiques le scenario aboutissant à un second tour Macron/Le Pen, visant à faire réélire Macron. Ce scenario était le scenario institutionnel « normal », prévu, au fond souhaité par la classe dominante. Mais il ne correspondait plus aux réalités de la lutte des classes, après les Gilets jaunes et la poussée vers la grève générale en défense des retraites. L’abstention majoritaire aux scrutins régionaux et départementaux l’a mis par terre. Macron et Le Pen ont alors subi leur première défaite électorale, conjointement. Loin d’être un facteur inactif et indifférent, c’est l’abstention populaire qui a produit ce résultat, c’est l’abstention populaire qui a infligé leur première défaite centrale à Macron et à Le Pen.
Par défaut, Xavier Bertrand, baron régional LR, était alors positionné comme pouvant accéder au second tour, et tenait à le faire en se situant «au dessus des partis », en dehors donc de LR.
Macron voulant restaurer les conditions politiques, du point de vue du capital, de sa propre candidature, lançait l’offensive antisociale et antidémocratique de division de la société sous des motifs soi-disant sanitaires, le 12 juillet au soir. Les plus grandes manifestations estivales de l’histoire de ce pays depuis la grève générale d’août 1953 lui ont répondu, mais elles se sont heurtées à l’union sacrée pour le préserver, de toute « la gauche » et de toutes les directions syndicales (faisant le jeu des courants antivax dits complotistes, etc.).
Jamais le fossé politique entre mouvement social réel et « gauche » n’a été si grand. Malgré cette protection apportée à Macron, sa candidature n’est toujours pas pleinement acquise : il a différé l’affrontement contre le droit à la retraite des salariés à après les présidentielles.
Les conditions créées par la protection de Macron et des institutions de la V° République apportée par « la gauche » et par les directions syndicales, ont également permis le déploiement de deux autres opérations politiques.
L’une est la fabrication du « phénomène Zemmour », épouvantail appelé à rabattre en faveur du vote Macron, ce que ne pouvait plus faire Le Pen, tout en élargissant le cercle de l’option répression/racisme/éloignement de l’Allemagne et rapprochement avec Poutine, dans la bourgeoisie française.
L’autre est la tenue de la primaire de LR à laquelle X. Bertrand a dû se rallier, pour s’y faire liquider dans un mouchoir de poche qui aboutit à l’investiture de Valérie Pécresse tenue en otage par Ciotti, c’est-à-dire par ce même courant de la bourgeoisie française envisageant de se passer de Macron pour à nouveau tenter de renforcer ce régime.
On remarquera l’absence d’enjeu des « candidature de gauche », ne pesant en rien et n’apparaissant en rien comme une perspective de débouché pour les combats sociaux. Ce constat vaut pour la totalité des huit candidatures (qui n’auront pas toutes leurs 500 signatures) allant de Jadot et Montebourg à Hidalgo et à Roussel, à Mélenchon, sans oublier Arthaud, Poutou et Kazib.
La période du mouvement antipasse et de la résistance à la casse de la santé publique est passée maintenant dans la grève générale en Guadeloupe, Martinique, Polynésie, Wallis-et-Futuna, d’une part, et dans une très profonde, très puissante et très généralisée, vague de grève pour les salaires en France métropolitaine, dans tout le secteur privé (et gagnant la fonction publique par le biais de la fonction publique territoriale). La campagne électorale des 8 candidats de gauche molle, dure, sociale-libérale, souverainiste, populiste, écolo, ou extrême, n’a strictement aucune interférence, ne fournit strictement aucun point d’appui, aucune perspective, à cette vague très puissante et très profonde.
Et les militants investis dans leurs campagnes électorales respectives, ou dans des actions visant à unir les candidats existants, désespèrent, voire se font peur avec la « zemmourisation de la société » pendant que les mille et un ruisseaux des grèves économiques se multiplient …
On ne saurait donc dire que, depuis maintenant un semestre, cette campagne présidentielle se déroule comme prévu. Mais par dessous tout les rebondissements médiatiques, une lame de fond n’a pas varié : celle des luttes sociales affrontant le pouvoir. La vague des grèves salariales est assise sur la poussée qui a résisté à l’attaque « sanitaire » de Macron et l’a fait renoncer à attaquer maintenant sur les retraites – sans que les directions syndicales, à ne pas confondre avec l’existence même des syndicats et le rôle de milliers de sections syndicales, n’y soient pour rien.
C’est cela la trame, et cette trame a besoin d’une perspective politique. Or, elle peut en avoir une, et une seule : porter aux présidentielles un coup direct, par l’abstention consciente majoritaire.
Tous les huit candidats effectifs ou potentiels de « la gauche », du « centre-gauche » à la « gauche extrême », sont en baisse dans les sondages. Où partent ces voix ? Évidemment pas chez « Zemmour », mais dans l’abstention. C’est là un mouvement réel, politique.
Contre ce mouvement, la maire de Paris investie par le PS, en grande difficulté, a ouvert un processus de crise (pour elle), soulevant la question d’une « primaire à gauche » censée résoudre le problème. Il n’aura pas fallu longtemps pour que ce processus pointe vers une solution présentée comme seul espoir, miracle possible, espérance suprême : Taubira !
Précisons tout de suite que les réactions tout aussi politiciennes d’autres candidats à l’encontre de cette proposition ne sont pas plus notre tasse de thé. D’autre part, candidate ou pas, nous défendrons inconditionnellement C. Taubira en cas d’attaques racistes ouvertes ou sournoises. Là n’est pas la question.
C. Taubira a d’abord dirigé un parti local guyanais, Walvari, issu d’une rupture d’avec l’indépendantisme, prônant l’union de toutes les classes et groupes sociaux dans le cadre du lien avec la France, et a ensuite fait une carrière politique nationale dans le cadre du PRG, le Parti Radical de Gauche, en alliance notamment avec l’affairiste Bernard Tapie. Députée en 1993 elle vote l’investiture de M. Balladur. Candidate à la présidentielle de 2002 (2,34 % des suffrages exprimés), son programme met en avant le passage à un système de retraites par capitalisation. En 2007 elle soutient S. Royal et déclare avoir été approchée par Sarkozy. Ministre de la Justice de Hollande, elle est ciblée par l’extrême-droite en raison du mariage pour tous, et démissionne début 2016 en opposition à la déchéance de nationalité que, brisant la tradition issue de 1789, avaient tentée Hollande et Valls. Une grande partie de son prestige actuel vient de cet épisode, mais, on le voit, elle ne représente certainement pas un courant issu du mouvement ouvrier !
Par une belle ruse de l’histoire, c’est le fantôme du vieux PRG, le plus vieux parti de la bourgeoisie française par ses origines, dont il se dit qu’à travers C. Taubira il pourrait « sauver la gauche » en 2021 !
C’est sans la moindre acrimonie que nous avons le devoir de dire aux jeunes militants qui pensent qu’il faut absolument une candidature unitaire et que Taubira pourrait être celle-ci, qu’ils se fourvoient.
Une figure de sauveuse, au dessus des partis, qu’est-ce, sinon un énième avatar bonapartiste ?
Mais, surtout, un avatar qui ne marchera pas. Pourquoi ? Mais parce que le mouvement réel, le mouvement social, le mouvement unitaire, n’est pas là. Il n’est pas dans les candidatures aux présidentielles, c’est cela la nouveauté. Majoritaire, il se cherche dans les grèves et dans l’abstention. Les militants attachés aux intérêts sociaux de leur classe doivent tourner le dos aux moulins à vent. Le boycott majoritaire est une bataille politique réaliste et qui en vaut la peine. Les candidatures de gauche unies ou non, c’est la défaite assurée, car recherchée au fond par toutes ces directions agissant dans le cadre de ce régime. L’abstention éclairée par la bataille politique pour le boycott, c’est une victoire possible, contre l’ordre établi, remettant tout à plat comme cela vient de se produire en Kanaky.
Et c’est même cela l’idée stable contre cette valse de moulins à vent que nous offrent les candidats : la réalisation de la démocratie par le peuple souverain. Bien sûr, il serait inepte de dire que les cartes ne sont pas rebattues : mais elles le sont sans arrêt depuis 6 mois car ce régime est en crise, et ce cirque va continuer si on ne construit par l’expression politique du mouvement majoritaire.
Dans un mois ou 6 semaines, toute une couche de militants ayant voulu croire au dernier moulin a vent seront sur le carreau. Ils n’auront pas de trou de souris. Il n’y en aura pas.
Mais les grèves continueront et chercheront à se centraliser, et l’abstention majoritaire et consciente ouvrira la brèche vers l’avenir.
Il est là, le combat pour l’unité !
VP, le 18/12/21.