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Jets privés, superyachts et méga pollutions : les ultra-riches dépensent des fortunes pour faire sécession
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis le début de la pandémie, les premières fortunes de France ont doublé leur richesse. Alors que 10 % de la population a besoin d’aide alimentaire, les carnets de commandes de superyachts se remplissent, les vols en jets privés se multiplient.
Depuis le début de la pandémie, la fortune des milliardaires de la planète a davantage augmenté qu’au cours des dix dernières années ! Les 43 plus grandes fortunes françaises ont accumulé 236 milliards d’euros supplémentaires : soit plus de 12 milliards par mois... Les cinq Français les plus riches – Bernard Arnault (LVMH), Françoise-Meyers Bettencourt (L’Oréal), François Pinault (Kering), les frères Alain et Gérard Wertheimer (Chanel) – ont même doublé leur patrimoine, a calculé l’organisation Oxfam. Cet accaparement mondial, rapide et considérable, de richesses est dû notamment à « la montée en flèche des cours des actions », à « la montée en puissance des monopoles et des privatisations », à la baisse des taux d’imposition pour les ultra-riches, et à « la réduction des droits et des salaires des travailleurs et des travailleuses », explique Oxfam dans son rapport publié ce 16 janvier, intitulé « Dans le monde d’après, les riches font sécession ». En parallèle, sept millions de personnes, soit une sur dix, dépendent, en France, de l’aide alimentaire pour vivre. Et ce n’est qu’une goutte dans l’océan des inégalités mondiales.
La Banque mondiale estime à près de 100 millions le nombre de personnes supplémentaires ayant basculé sous le seuil d’extrême pauvreté en 2020, en raison de la pandémie [1]. Au même moment, un nouveau milliardaire apparaissait toutes les 17 heures en moyenne ! Le magazine Forbes qui dresse la liste des milliardaires du monde entier, en a ajouté 493 en 2021, pour atteindre le chiffre sans précédent de 2755 ultra-fortunés.
Réunies au sein de ce club d’élite, les dix personnes les plus riches du monde viennent, selon l’indice Bloomberg Billionaires, d’ajouter 402 milliards de dollars supplémentaires à leur patrimoine au cours de l’année passée. En pleine pandémie, la fortune d’Elon Musk, a ainsi progressé de plus de 1600 % en deux ans, pour s’établir à 277 milliards de dollars. En France, celle de la famille de Bernard Arnault, patron du numéro un mondial du luxe LVMH, a bondi de 61 milliards en 2021, pour atteindre 176 milliards de dollars. C’est l’équivalent, d’après le rapport de l’Observatoire des inégalités, de la valeur de l’ensemble des logements de Toulouse (470 000 habitants).
Signe extérieur d’explosion des inégalités : les ventes de superyachts en hausse
Les moyens que les ultra-riches consacrent à leur « sécession » sont de plus en plus considérables : les dépenses en superyachts et en jets privés explosent. Le prix des superyachts, ces navires supérieurs à 30 mètres de long, peut s’envoler jusqu’à plus de 600 millions de dollars pièce. Qu’importe : leur multiplication est époustouflante. On en comptait à peine un millier en activité il y a 30 ans. Leur nombre a été multiplié par cinq : 5325 étaient comptabilisés début août 2021 (contre 966 en 1988) [2]. La tendance ne semble pas avoir souffert de la crise sanitaire. Selon le site spécialisé Superyacht Group cité par Reuters, leurs ventes ont progressé de plus de 8 % au cours des neuf premiers mois de 2021 par rapport à la même période de 2019, avant la pandémie.
Comme après la crise financière de 2008, les carnets de commandes des constructeurs débordent. D’après le rapport 2022 Global Order Book, 1024 projets sont en construction ou en commande pour 2022, en augmentation d’un quart par rapport aux 821 de l’année dernière. « Malgré quelques hésitations initiales en 2020 lorsque le Covid-19 a frappé, l’industrie des superyachts a largement surmonté la pandémie pour enregistrer une troisième année de croissance constante du carnet de commandes », précisent les auteurs. Mis bout à bout, ce sont pas moins de 40 kilomètres de navires de luxe qui seront construits, lancés et livrés d’ici 2026 !
Selon le sociologue Grégory Salle, auteur de l’ouvrage Superyachts. Luxe, calme et écocide, « Cet essor exprime de façon frappante, pour ne pas dire brutale, non seulement l’ampleur vertigineuse des inégalités, mais le fait que leurs différentes manifestations (sur le plan sanitaire, environnemental, géographique, etc.) forment un système. Un système qui n’a rien d’accidentel et ne fait que refléter l’état actuel du capitalisme. »
51 avions d’affaires commandés à Dassault en 2021
Cette ségrégation sociale s’observe aussi dans le ciel. Si, pour cause de pandémie, les compagnies aériennes multiplient les annulations de vols – dont 8000 à l’occasion du seul week-end de Noël dernier – et suppriment des postes par milliers (8000 emplois supprimés depuis le début de la crise pour Air France-KLM), les voyages d’affaires en jets privés décollent. Au début de la pandémie, la plupart des aéroports avaient fermé leurs portes aux vols commerciaux traditionnels et low cost, mais leurs pistes étaient restées ouvertes aux vols privés (ainsi qu’aux évacuations sanitaires, au transport de matériel médical, au rapatriement de concitoyens bloqués à l’étranger).
Les avions de luxe ont rapidement retrouvé leur clientèle dès le printemps 2020, « opérant un quart de leurs vols habituels au 15 avril [2020], en plein confinement, puis la moitié au 15 mai, alors que les restrictions de déplacement n’ont été levées que deux semaines plus tard », observait un article du Monde. Au niveau mondial, les vols en jets privés ont effacé les pertes enregistrées au début de la crise sanitaire. Selon le Global Market Tracker du site spécialisé Wingx, 3,3 millions de vols ont été effectué par les jets d’affaires dans le monde entier en 2021. C’est le plus grand nombre jamais enregistré pour une seule année et 7 % de plus que le précédent point culminant, en 2019.
De même que pour les superyachts, les commandes de jets privés affluent. L’association des constructeurs de l’aviation, General Aviation Manufacturers Association (GAMA), précise : « Jusqu’au troisième trimestre 2021, par rapport à la même période en 2020, les livraisons de jets d’affaires ont augmenté de 15,9 %, avec 438 unités. » De quoi satisfaire le français Dassault Aviation qui enregistre les commandes de 51 avions d’affaire Falcon en 2021, contre 15 en 2020.
Les jets privés, 50 fois plus polluants que les trains
L’empreinte carbone due à la consommation par habitant des 1 % les plus riches est (au moins) 100 fois plus élevée que celle de la moitié la plus pauvre de l’humanité (environ 3,1 milliards de personnes), argumentait Oxfam dans son rapport annuel précédent. Le constat est partagé par le rapport sur les inégalités mondiales (réalisé par un groupe international d’universitaires) : chaque personne parmi les 1 % des plus riches émet à elle seule 110 tonnes de CO2 par an.
L’incohérence et l’insoutenabilité du mode de vie des ultra-riches a été portée à son comble cet automne. En vue d’obtenir des engagements de réduction d’émissions nocives pour le climat, de nombreuses personnalités se sont rendues en jet privé à la Conférence internationale pour le climat de Glasgow, la Cop26. De quoi rejeter dans l’atmosphère environ 13 000 tonnes de CO2, l’équivalent de ce que produisent 1600 Écossais chaque année, selon le Daily Record.
Les jets privés, qui transportent en moyenne entre 4 et 5 personne par vol, « sont 5 à 14 fois plus polluants (par passager) que les avions commerciaux, et 50 fois plus polluants que les trains », pointe un rapport de l’ONG Transport et Environnement. Ces émissions de CO2 sont en forte croissance. L’étude constate que celles des jets privés européens ont explosé ces dernières années, avec une augmentation de 31 % entre 2005 et 2019, contre 25 % pour l’aviation commerciale européenne (Figure ci-dessous).
300 yachts émettent autant de CO2 que toute la population du Burundi
Quant à l’impact écologique des superyachts, il donne le vertige. Ces navires de luxe peuvent consommer jusqu’à 2000 litres de carburant à l’heure. Propriété de la famille royale des Émirats arabes unis, le yacht Azzam, long de 180 mètres, dispose d’un réservoir d’un million de litres de carburant pour alimenter les 94 000 chevaux de moteur. Il compte aussi une piscine à débordement et une piste d’hélicoptère. Pour le yacht dénommé « A », propriété du milliardaire russe Andreï Melnitchenko, il faut compter environ 1,4 million de dollars pour faire le plein (avec un réservoir de 750 000 litres) ! Une étude parue en 2019, affirme que chaque année, les 300 plus grands yachts émettent à eux seuls plus de 280 000 tonnes de dioxyde de carbone, autant de CO2 que les 10 millions d’habitants du Burundi. Il faudrait plus de 7000 ans à une personne « normale » pour polluer autant que le milliardaire russo-israélien Roman Abramovich. Propriétaire d’un superyacht et d’un Boeing 767 personnalisé, il est responsable d’au moins 3859 tonnes d’émissions de CO2 par an, illustre Oxfam dans son rapport.
En France, le quinquennat de Macron n’a rien fait pour réduire ce phénomène. La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) décidée par le président de la République en 2018, et son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), en a réduit l’assiette aux seuls biens immobiliers. Les biens tels que les yachts ou les jets privés ont alors cessé d’être assujettis à cet impôt des « plus riches ». Les milliardaires sont donc incités à acheter toujours plus de yachts et de jets privés, au bilan carbone désastreux. Leurs effets sur le climat, eux, seront acquittés par l’humanité toute entière.
Jérôme Duval
En photo : Le Rising Sun, propriété du producteur états-unien David Geffen, l’un des créateurs de DreamWorks, dont la fortune est estimée à onze milliards de dollars / CC Scott Smith