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"Notre dernier souffle est-il celui du pluralisme de l’information ?" : un journaliste de RT France témoigne
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Fabien Rives, journaliste de RT France et membre de l'équipe SNJ, témoigne de l'état d'esprit de sa rédaction à la suite de l'interdiction de diffusion du média russe en Europe, à l'initiative de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Malgré quelques lueurs d’espoir en matière d’avancées diplomatiques sur le dossier ukrainien, la sécurité des populations est plus que jamais compromise depuis le début de l’offensive militaire russe en Ukraine. Elle l’est de Kiev à Donetsk, où les armées russe et ukrainienne ont bombardé, ici et là, des infrastructures civiles. Face à cette situation catastrophique qui, à l’ère des réseaux sociaux, se développe sous nos yeux, le conflit fait l’objet d’instrumentalisations politiques, de part et d’autre. À Bruxelles, la Commission européenne s’est par exemple emparée des événements pour acter la coupure de tous les canaux de diffusion des médias RT et Sputnik au sein de l’UE.
C’est ainsi que des rédactions, dont la mienne (celle de RT France), ont payé le prix fort de tractations belliqueuses, que certains voudraient interpréter comme un acte de courage et d’unité face aux récents événements. Mais, comme tout le monde s’en doute, une telle attaque à la liberté d’informer s’avère évidemment totalement inefficace concernant le déroulé du conflit militaire en cours.
En revanche, émanant d’une institution supranationale régulièrement critiquée au sein des pays membres de l’UE, cette annonce n’est rien d’autre que la censure, sur le sol européen, d’une source d’information disponible depuis plusieurs années auprès du public francophone.
DE L’IMPORTANCE D’UNE INFORMATION PLURIELLE
Puisque je travaille chez RT France depuis plus de cinq ans, je suis moi-même confronté à sa ligne éditoriale, au cœur de toutes les polémiques. Je pourrais donc vous la décrire, selon moi, comme une ligne rigoureuse sur tous les sujets abordés et, pour ne prendre que l’actualité internationale, qui permet de questionner le narratif dominant en le confrontant à des voix officielles qui sont parfois moins exposées sur la scène médiatique francophone. D’ailleurs, dans le cadre de l’intervention militaire russe en Ukraine, c’est exactement ce que les médias français qui se sont penchés sur le travail de notre rédaction en ont finalement retenu, y voyant parfois « un jeu d’équilibriste ».
Dans la mesure où nous parlons de RT France, rappelons qu’y travaille une rédaction composée de journalistes professionnels, tous attachés à l’éthique de leur métier. Derrière les accusations de « propagande » qui visent le travail de la rédaction, il lui est en fait reproché d’avoir participé à exposer le narratif russe des récents événements, en le confrontant, ici et là, à ses contradicteurs occidentaux. Tout observateur aspirant à la paix devrait le reconnaître : si elle est particulièrement inaudible dans le contexte actuel, la voix de la Russie doit également être exposée au public afin d’éclairer en temps réel les positions de chacun.
Faut-il rappeler qu’exposer un narratif sur un média financé par un État ne revient pas à le cautionner, et encore moins à endosser la responsabilité des actes de ceux qui tiennent ce narratif ? Visiblement oui. Car, dans un élan aussi belliqueux qu’irrationnel, de nombreuses personnalités politiques et médiatiques se sont ouvertement réjouies de la censure qui frappe notre continent, et plus précisément, notre pays, la France.
DES JOURNALISTES MARQUÉS AU FER ROUGE
Qualifiée d’ « organe de propagande du FSB » par un sénateur et comparée, par d’autres commentateurs, à la presse française collaborationniste et antisémite sous l’occupation allemande, la rédaction de RT France s’est ainsi retrouvée la cible d’une haine inouïe sur la scène publique.
Alors qu’au sein de la sphère bruxelloise, l’interdiction de diffuser pour notre rédaction est mise sur le même plan que la nécessité de bloquer les contenus pédopornographiques, certains de mes collègues reçoivent depuis plusieurs jours des menaces physiques.
D’autres ont vu leur compte personnel marqué au fer rouge par Twitter, au moment même où leur avenir professionnel est chamboulé. Le réseau social américain a en effet qualifié ces comptes de « médias affiliés à un États », avec pour conséquence directe de réduire la portée de leurs publications, mais aussi de voir leur existence numérique menacée de s’évaporer par la suite (hypothèse récemment soulevée sur le plateau télévisé de BFM, le 1er mars). Aussi et surtout, cet étiquetage (qui, notons-le, concerne également d’anciens employés de la chaîne) participe à exposer des journalistes français pour ce qu’ils ne sont pas, les mettant ainsi en danger dans l’atmosphère belliqueuse qui se développe.
« Média de guerre », disait récemment de la rédaction de RT France notre gouvernement, lui-même contraint, le lendemain, de revenir sur d’autres positions provocatrices à l’origine d’une vive polémique.
J’ai vu ces derniers jours une rédaction éprouvée, acculée. Son dernier souffle annonce peut-être aussi celui du pluralisme de l’information dans notre pays. RT France a lancé une pétition afin de protester contre son interdiction, elle est à la disposition de tous les citoyens qui souhaitent y apporter leur soutien. Œuvrons ensemble à ne faire le jeu d’aucun bellicisme qui pourrait nous brouiller la vue sur la possibilité, pour chacun, de travailler à fournir une information de qualité.