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Ugo Palheta: Il y aura dimanche un bulletin antifasciste…

Lien publiée le 8 avril 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Il y aura dimanche un bulletin antifasciste… | Le Club (mediapart.fr)

Un triple désastre nous guette : un nouveau duel entre Macron et Le Pen ; l’élection de Macron ; et le désastre au carré, l’élection de Marine Le Pen.

Triple désastre

Un duel Macron-Le Pen renforcerait la clôture du champ politique et idéologique français autour de l’opposition entre néolibéraux autoritaires sauce Macron-Pécresse et néofascistes sauce Le Pen-Zemmour, initiant probablement une intensification de l’offensive réactionnaire à laquelle on assiste depuis quelques années. Toute perspective de changement social, même très partielle, serait alors effacée de l’horizon d’une bonne partie de la population – notamment celle qui n’est pas ou peu présente dans les luttes sociales, même si elle peut les observer avec sympathie. 

Une victoire de Macron aboutirait inévitablement à un nouveau cycle de précarisation de masse, d’appauvrissement pour les classes populaires, de contre-réformes destructrices pour l’ensemble des salarié·es, et de projets destructeurs pour l’environnement puisque Macron, malgré ses beaux discours, mène une politique violemment productiviste. Qu’on pense, entre mille exemples, à l’engagement de l’État français aux côtés de Total dans son méga-projet d’oléoduc de 1 440 kilomètres qui permettra d’acheminer le pétrole pompé dans l'ouest de l'Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie (et qui suscite de fortes mobilisations sur place).

Avec une victoire de Le Pen, on entrerait dans la deuxième étape de fascisation : celle de la construction possible d’un pouvoir fasciste. L’extrême droite rencontrerait évidemment des obstacles (dans la société, dans la rue, dans certains secteurs de l’État) mais elle disposerait de nouveaux leviers institutionnels pour imposer son projet, sans commune mesure avec ses moyens actuels. Il ne s’agirait plus d’éléments de fascisation avançant plus ou moins masqués dans le cadre de la démocratie capitaliste, mais d’une entreprise déterminée et volontaire de fascisation, appuyée sur les appareils d’État (notamment répressifs), et qui aura des effets immédiats sur les groupes les plus opprimés, en particulier les migrant·es, les minorités ethno-raciales mais aussi les minorités sexuelles et de genre, mais aussi sur les mouvements sociaux (syndicats combatifs, collectifs féministes et antiracistes, etc.).

La progression du FN/RN a reposé en bonne partie sur la banalisation de ses thèses par des partis et des intellectuels de droite comme de gauche. Ce parti n’aurait pu s’enraciner sans tout un processus d’imprégnation xénophobe et raciste dont les élites politiques et médiatiques sont les premières responsables. Pour autant, il serait faux et dangereux de prétendre que son accès au pouvoir ne ferait rien de plus que prolonger les politiques d’ores et déjà menées. Un parti dont le succès repose à ce point sur la xénophobie et le racisme, un parti qui est massivement perçu par les racistes de tout poil comme le meilleur défenseur de l’intérêt des Blancs, ne pourrait accéder et se maintenir au pouvoir sans donner en permanence des gages à son électorat. 

Le FN/RN au pouvoir serait notamment amené à institutionnaliser toujours plus les discriminations racistes, si fortes en France même si les « grands » médias et surtout l’élite politique s’en désintéressent totalement, et à lâcher la bride à une police d’ores et déjà largement acquise à ses positions, et notamment à l’idée de la nécessité d’une « purge ». En somme : aller beaucoup plus loin dans l’entreprise d’assujettissement des immigré·es et descendants d’immigré·es postcoloniaux, des musulman·es, des Rom·es et certainement des juifs·ves (quoi qu’en disent actuellement les dirigeant·es du FN/RN) ; et engager l’écrasement de la gauche, des syndicats et des mouvements sociaux. Les dissolutions ont commencé avec Macron, ciblant spécifiquement des organisations de défense des musulman·es, des collectifs pro-palestiniens et des groupes antifascistes ; elles s’amplifieront nécessairement avec un pouvoir d’extrême droite.

L'antifascisme doit se déployer sur tous les terrains

Dans cette situation, de quels outils disposons-nous ? Certain·es affirment que, pour affronter le fascisme, c’est la rue qui prime : le fascisme se combat dans la rue. Ce n’est pas faux, mais c’est très vague. Très vague parce que « la rue », au sens des manifestations de rue, n’a jamais suffi et ne suffira pas à endiguer la montée du fascisme. Il faudrait dire plutôt : le fascisme se combat par l’organisation collective (à tous les niveaux : dans les entreprises, dans les quartiers, dans les établissements scolaires et universitaires, etc.), par la mobilisation populaire et par des batailles politiques.

Or ce combat ne se résume pas à une ou quelques manifestations. Il constitue une lutte sans trêve, qui va s’étendre sur des années, sinon des décennies, parce que vaincre le fascisme supposera in fine de construire une tout autre société que la société capitaliste, raciste et patriarcale dans laquelle nous sommes contraint·es de vivre. Il n’y aura pas de grande bataille à laquelle il faudrait se préparer et qui déciderait de tout, mais une succession d’affrontements qui ont commencé depuis longtemps et qui ne vont pas cesser, supposant l’emploi d’armes diverses : manifestations de rue, grèves, structures d’auto-défense, batailles politico-culturelles, campagnes électorales, etc. 

Le combat antifasciste doit ainsi se déployer sur tous les terrains : celui des luttes syndicales, car les solidarités entre travailleurs·ses, sur les lieux de travail, sont un puissant antidote au poison raciste que sécrète l’extrême droite à longueur d’antenne ; celui des luttes antiracistes et féministes, car elles s’opposent frontalement à la conception fasciste du monde et dessinent l’horizon d’une société égalitaire, à l’opposé du projet hiérarchique et intrinsèquement violent qui est celui des fascistes ; celui des luttes environnementales, où l’extrême droite tente d’implanter sa rhétorique xénophobe en prétendant avec Jordan Bardella que « l’écologie c’est la frontière » ; celui de la bataille des idées et des imaginaires ; mais aussi le terrain électoral.

Critiquer durement l'antifascisme pour soirées électorales, de ceux qui se découvrent antifascistes seulement quand l'extrême droite est au 2nd tour et qui le reste de l'année contribuent à banaliser les discours racistes, ne signifie pas que l’antifascisme ne peut – ou ne devrait pas – se déployer sur le terrain électoral. Bien sûr, on a raison de considérer que l’élection n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique antifasciste, et davantage encore de la politique d’émancipation. Et on a doublement raison de penser que seule une mobilisation populaire de très haute intensité, dans laquelle des millions de gens en viennent à prendre leurs affaires en main, peut engager une rupture avec l’ordre des choses, en débordant les institutions politiques existantes et les partis institutionnels.

Mais le refus de l’électoralisme ne devrait pas faire oublier que les élections sont un moment important de politisation et de mobilisation, et qu’y obtenir des succès – non pas 3 ou 4% mais une audience de masse – fait nécessairement partie d’une stratégie de renforcement des forces de rupture et des projets d’émancipation, même lorsqu’on ne partage pas l’idée qu’il suffirait de remporter les élections pour disposer réellement du pouvoir et être en capacité de transformer radicalement la société.

Pour revenir à notre situation présente, comment affirmer qu’il faut combattre la montée du fascisme par tous les moyens nécessaires et refuser l’un des moyens immédiatement à notre disposition, à savoir le vote, pour enrayer un tant soit peu la progression de l’extrême droite ? Car oui : même avec un score global élevé pour les forces néofascistes au 1er tour, l’absence de Marine Le Pen au 2nd tour constituerait une défaite pour l’extrême droite, et plus encore un facteur de démoralisation, de désorientation et de division pour ses troupes et ses sympathisant·es. 

Cela ne résoudrait rien en soi mais ce serait un coup d’arrêt dans la mécanique qui contribue hautement à la progression politique de l’extrême droite depuis des décennies, à savoir ses succès électoraux. Or, dans une stratégie d’ensemble et durable contre le fascisme, comme dans toute stratégie, il faut savoir définir des objectifs tactiques atteignables, parce qu’on a (toujours) besoin de victoires partielles. On ne peut se contenter de dire et de redire la nécessité, présente et future, de la lutte, même en précisant que celle-ci doit être unitaire. Car on aura raison de rétorquer : et donc, quelle unité dans la lutte contre le fascisme au moment des élections ? Pourquoi cette nécessité de l’unité ne s’y appliquerait pas ?

La bataille pour une alternative politique

Un autre élément pousse dans ce sens : aujourd’hui les néofascistes se déploient principalement sur la scène électorale et médiatique, contrairement aux années 1920-30 où l’occupation de la rue et les attaques extrêmement brutales contre le mouvement ouvrier ont constitué une composante essentielle du succès du fascisme. De ce fait, les manifestations de rue – et même les grands mouvements sociaux que l’on a connus en France au cours des trente dernières années, y compris dans la séquence 2016-2020 – n’ont guère eu d’incidence sur la progression de l'extrême droite.

Cela ne veut absolument pas dire que l’antifascisme ne passe pas par les mobilisations de rue : celles-ci sont un élément central de la riposte antifasciste et elles peuvent déstabiliser les fascistes, mais elles ne suffisent pas. Il nous faut une alternative politique et il faut que se lève un espoir de rupture et d’émancipation autour de cette alternative. Or, celui qui peut battre Le Pen au 1er tour de cette élection, qui incarne dans cette élection une alternative politique, un désir de radicalité, ou tout simplement un moyen de défense pour des millions de personnes, en particulier semble-t-il pour les couches les plus opprimées des classes populaires, celles qui subissent le racisme et l’islamophobie, c’est Jean-Luc Mélenchon.

Que cela nous plaise ou non. Car il y a bien sûr des désaccords, et c’est normal ; des divergences qui ont pu être importantes au cours des quinze dernières années. Mais à celles et ceux qui rejettent cette option au nom de ces divergences, il faut faire remarquer que, sur des points fondamentaux qui ont à voir profondément avec la montée du fascisme en France, Jean-Luc Mélenchon et LFI ont tenu ces dernières années des positions justes et courageuses (contrairement à Y. Jadot ou F. Roussel), au vu des réactions unanimement désapprobatrices du côté des médias dominants et des élites politiques. En particulier, J.-L. Mélenchon et LFI ont dénoncé fermement l’islamophobie, telle qu’elle s’est encore un peu plus institutionnalisée avec la loi « séparatisme », et l’autoritarisme d’État, qui s’exprime à travers des violences policières endémiques et systématiquement impunies, en particulier dans les quartiers populaires et d’immigration.

Ajoutons que, sur d’autres points, ils ont contribué à rendre audibles et crédibles à une échelle de masse, durant cette campagne, une critique du néolibéralisme autoritaire que Macron incarne si parfaitement, mais aussi des propositions de rupture qui vont clairement dans le bon sens et qui sont des points d'appui, notamment la planification écologique : un élément central pour toute démarche de transition écosocialiste et dont nous avons impérativement besoin pour affronter le basculement climatique.

Ce n’est qu’un début, et une part essentielle du travail restera à faire après l’élection, concernant la lutte pour l’hégémonie mais aussi la construction d’une force politique de masse, ancrée dans les classes populaires. La campagne et le programme de l’Union populaire seront un point d’appui pour la suite et le succès remporté donnera des responsabilités à LFI, mais pour espérer y parvenir, il faudra que s’en mêlent des militant·es de divers horizons, des mouvements et des organisations qui sont pour l’instant restés en dehors de cette dynamique, dans l’esprit d’ailleurs indiqué par les militant·es des quartiers populaires et d’immigration, signataires de l’appel « On s’en mêle ».

D’un point de vue plus immédiat, si le 1er tour se soldait par un échec pour la gauche de rupture, incarnée par Jean-Luc Mélenchon, si nous étions à nouveau condamné·es au désastre d’un duel Macron/Le Pen, il faudrait ne pas céder au découragement et, dès l’entre-deux-tours, initier une mobilisation aussi large que possible.

Dans l'incertitude, prendre nos responsabilités

On affirme qu’il est improbable au vu des sondages que M. Le Pen soit battue par J.-L. Mélenchon. C’est vrai, mais ce n’est pas radicalement impossible, et personnellement je tiens à contribuer par mon vote à l'espoir d’un 2nd tour opposant au macronisme la perspective simple d’une amélioration immédiate de la situation des plus pauvres et des plus précaires, d’un retour en force des services publics et de la protection sociale, d’un coup d’arrêt aux politiques islamophobes et xénophobes, ou encore d’une rupture avec les politiques productivistes. 

Chacun·e votera comme il l’entend dimanche, et les formes de pression, de culpabilisation ou de chantage au vote « utile » sont bien souvent contre-productives. Pour autant, le débat entre « vote utile » et « vote de conviction » est toujours mal posé quand il oppose ces deux options terme à terme : celles et ceux qui voteraient uniquement par tactique d’un côté ; celles et ceux qui resteraient fidèles à leurs idées ou leurs valeurs de l’autre. Pour ce qui me concerne, le vote a toujours mêlé des aspects de conviction (le contraire conduirait au cynisme, c’est-à-dire à perdre de vue tout principe, toute valeur politique et même toute morale) et des aspects tactiques (posant la question de l’impact concret que peut avoir le vote de chacun·e sur la situation d’ensemble).

En l’occurrence, la question est surtout posée ici et maintenant du type de vote que chacun·e choisira : un vote pour témoigner de ses convictions, montrer qu’elles existent, mais de manière quelque peu intemporelle ; ou un vote qui, dans la situation actuelle d’une course de vitesse entre la gauche d’émancipation et le fascisme, peut avoir une grande importance politique. 

De ce point de vue, on peut très bien se sentir plus proche d’un candidat, considérer – c’est mon cas – qu’il est bon que Philippe Poutou ait pu formuler, à l’échelle de masse que permet cette élection, des analyses et des propositions que personne d’autre n’aurait formulées, et pour autant voter pour un autre candidat. Ce n’est contradictoire que pour celles et ceux qui fétichisent le vote comme l’expression ultime de leurs convictions et le score électoral comme le seul moyen d’exister politiquement. On peut très bien mener une campagne d’agitation, visant en premier lieu à user des élections comme d’une tribune, donc pour faire entendre une autre voix, des propositions audacieuses, élargir l’horizon du possible, etc., et dissocier cela du vote lui-même.

Enfin, on affirme que nos voix comptent finalement bien peu, si peu, et qu'elles ne permettraient pas de combler l’écart entre M. Le Pen et J.-L. Mélenchon. C’est peut-être vrai, mais tout est dans le « peut-être ». Dans l’incertitude, je souhaite personnellement que mon vote puisse avoir un (modeste) impact positif sur la situation. Plus globalement, en tant que militant, il me semble qu’individuellement et collectivement, on ne peut espérer être pris au sérieux par celles et ceux à qui on cherche à s’adresser que si l’on se prend au sérieux. Or, arguer de sa marginalité pour esquiver la décision juste dans la situation présente, c’est refuser de se prendre au sérieux. Et en se situant en extériorité du mouvement réel, c’est sans doute aussi se condamner à la marginalité.