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“Le Point”, Corbière et Garrido : vie et mort d’un scoop frelaté
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
“Le Point”, Corbière et Garrido : vie et mort d’un scoop frelaté (telerama.fr)
L’hebdomadaire “Le Point” a publié ce jeudi sur son site un article accusant Raquel Garrido et Alexis Corbière, élus LFI, d’exploiter une femme de ménage sans papiers. Le directeur de la rédaction a reconnu des “erreurs” et a retiré le contenu du site.
C’est le genre d’affaire grave si elle est vraie, et tout aussi grave si elle ne l’est pas. Mercredi en fin d’après-midi, Le Point publie un « exclusif » sur Raquel Garrido et Alexis Corbière. Les deux députés insoumis de Seine-Saint-Denis emploieraient depuis plusieurs mois une femme de ménage sans titre de séjour, qui serait à la tâche jour et nuit pour satisfaire aux besoins du couple. Pire, ils lui auraient promis des papiers en cas de victoire de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, et la logeraient dans un appartement parisien qui leur permettrait de déroger à la carte scolaire. De quoi les ébranler dans un climat politique incertain.
Immédiatement repris par tous les adversaires politiques du parti de gauche, l’article est accompagné de captures d’écran postées sur son compte Twitter par son auteur, Aziz Zemouri. Celles-ci montrent des échanges supposés entre une dénommée Sana et Raquel Garrido. Dans l’un d’eux, l’élue écrit que « Monsieur (Alexis Corbière) te donnera 150 euros pour la semaine, on verra le reste après ». Emoji dépité de la jeune femme et réponse expéditive de sa patronne : « On te met un toit sur la tête, on te fait travailler donc soit t’es reconnaissante soir (sic) je prend (sic) quelqu’un d’autre maintenant ».
Alors qu’une capture d’écran ne peut constituer une preuve suffisante dans une enquête journalistique, plusieurs incohérences techniques apparaissent, comme de légères variations sur la photo de profil de Raquel Garrido, qui pourraient indiquer un montage. Joint au téléphone par Télérama, Aziz Zemouri assure « n’avoir aucune compétence technique pour trafiquer » des clichés, affirme qu’ils n’ont pas été retouchés et défend leur caractère authentique.
Ce n’est pas l’avis de son journal. Silencieux jusqu’alors, Le Point a fini par s’exprimer par l’intermédiaire de son directeur de la rédaction, Étienne Gernelle. Dans un communiqué lapidaire publié jeudi après-midi, il a annoncé la suppression de l’article. « Les vérifications complémentaires que nous avons menées nous ont révélé que des erreurs et manquements à la prudence avaient été commis », écrit-il, en présentant « [ses] excuses plates et sincères à Raquel Garrido et Alexis Corbière, ainsi qu’à [ses] lecteurs ». La société des rédacteurs de l’hebdomadaire a également fait savoir qu’elle attendait « avec impatience les conclusions de l’enquête actuellement en cours », décrivant une rédaction « profondément affectée par le manquement aux règles élémentaires de déontologie journalistique ».
Le couple, qui a très rapidement publié un communiqué de presse pour dénoncer « un ramassis de mensonges », a annoncé son intention de porter plainte pour diffamation. Après la diffusion des SMS, leur avocat, Me Xavier Sauvignet, étudie la possibilité de déposer plainte contre X pour usurpation d’identité et usage de faux, selon des informations de Mediapart, qui met en évidence les multiples changements de version du journaliste. Alors qu’il affirmait avoir rencontré la femme de ménage, il concède qu’il l’a seulement aperçue devant l’immeuble parisien qu’occuperaient toujours Corbière et Garrido (ce qu’ils démentent). À Télérama, il jure s’être rendu à son domicile, dans le quartier de la Goutte d’Or (XVIIIe arrondissement), où il aurait échangé avec elle à travers la porte de son appartement. « Elle ne voulait pas que ça sorte, mais j’ai été tellement choqué par son histoire que j’ai décidé de l’outer en me disant qu’elle trouverait peut-être un moyen d’être régularisée », ajoute-t-il. En tout, il aurait échangé avec elle sur WhatsApp entre le 2 et le 16 juin.
Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ? Initialement, l’article d’Aziz Zemouri devait être publié dans le numéro de cette semaine, en ouverture de la rubrique « Confidentiels ». Mais selon plusieurs sources internes, la rédaction en chef y aurait renoncé, le jugeant invérifiable. Il aurait alors été décidé de le mettre en ligne sur le site, où les scoops réguliers du journaliste « génèrent du clic ». Malgré le désaveu de sa direction, Zemouri campe sur ses positions : « Je maintiens mes informations, je n’ai pas fait de faute. Je fête ma trentième année de carte de presse, mes condamnations se comptent sur les doigts d’une main, c’est dérisoire. On m’envoie à l’échafaud. »
De fait, ce n’est pas la première fois que le journaliste se retrouve délicatesse avec les bonnes pratiques. En 1995, le tribunal correctionnel de Paris estime qu’il a bidonné un reportage sur le trafic d’armes en banlieue ; en 1999, il est condamné pour avoir diffamé le journaliste Jean-Claude Bourret ; en 2014, pour les passages d’un portrait collectif de Rachida Dati ; et il y a un an presque jour pour jour, pour avoir qualifié Sand Van Roy, l’actrice qui accuse Luc Besson de viol et d’agression sexuelle, de « call-girl ». En 2017, il a également été entendu par l’Inspection générale de la police nationale (IPGN), soupçonné d’être mêlé à « un pacte de corruption » impliquant deux commissaires de police et un ex-conseiller de François Hollande.
Dans l’attente d’une nouvelle procédure à son encontre, l’affaire n’a peut-être pas encore accouché de tous ses développements : croyant rédiger un message privé, l’ex-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, adversaire malheureux de Raquel Garrido lors des législatives et visiblement informé de la préparation de cette enquête frelatée, a publié un tweet pour le moins curieux sitôt l’article du Point supprimé. « Je ne sais pas la fiabilité de ceux qui me donnent des infos », écrit-il. Lesquelles ? Pour l’heure, il n’a pas répondu.