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Le romantisme révolutionnaire

Lien publiée le 28 août 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Le romantisme révolutionnaire - Chroniques critiques (zones-subversives.com)

Des courants artistiques et littéraires remettent en cause le conformisme marchand et la rationalisation industrielle. Ils nourrissent un marxisme hétérodoxe qui attaque la modernité capitaliste et se tourne vers un messianisme révolutionnaire qui porte le projet d'une utopie nouvelle.

Le mouvement surréaliste exprime un romantisme révolutionnaire. Une filiation relie ces deux courants à travers des figures comme Walter Benjamin, Nerval, Rimbaud ou Lautréamont. La critique de l’existence humaine débouche vers l’amour, la poésie et la liberté. Ce romantisme surréaliste s’oppose à une société malade et dévorée par la logique marchande. La démarche des surréalistes ne se réduit pas à une esthétique ou à une école artistique. Au contraire, cette poésie romantique garde une dimension intemporelle et permet de jeter un regard critique sur la société moderne.

Benjamin Péret, dans son texte sur « Le noyau de la comète », évoque son attachement au romantisme qui entre en conflit avec le monde bourgeois. Il montre la distance entre les conditions sociales existantes et les véritables exigences humaines. Michael Löwy, sociologue et philosophe, reste un fin connaisseur du romantisme révolutionnaire. Cet intellectuel exprime des affinités avec les mouvements libertaires et s’implique dans le groupe surréaliste parisien. Il propose une compilation d’articles dans le livre La Comète incandescente.

                    Michael Löwy, La Comète incandescente

Critique de la modernité marchande

Le surréalisme apparaît comme l’exemple emblématique du romantisme au XXe siècle. Il porte l’aspiration à réenchanter le monde, mais aussi la dimension révolutionnaire du romantisme. « La révolte de l’esprit et la révolution sociale, le changement de la vie (Rimbaud) et la transformation du monde (Marx) : ces deux étoiles polaires qui ont orienté le mouvement dès ses débuts, l’on conduit à une recherche permanente de pratiques culturelles et politiques subversives », souligne Michael Löwy.

Le romantisme ne se réduit pas à une école littéraire. C’est davantage une sensibilité qui porte une vision du monde. Le romantisme s’oppose à la logique quantitative de l’univers bourgeois, à la réification marchande et à la platitude de l’utilitarisme. Les romantiques peuvent se tourner vers un passé idéalisé ou imaginaire. Mais cette utopie vise à construire l’avenir selon la démarche du romantisme révolutionnaire. Les surréalistes puisent dans la poésie romantique française ou allemande, comme Novalis.

Le surréalisme exprime une contestation radicale de la société bourgeoise. « L’opposition du mouvement surréaliste à la civilisation capitaliste moderne n’est ni raisonnable ni modérée : elle est radicale, catégorique, irréductible », précise Michael Löwy. Les surréalistes associent le monde moderne à la logique marchande qui s’étend sur l’ensemble des relations humaines. Ils se tournent vers un passé idéalisé, mais ils aspirent surtout à un autre avenir à travers une transformation révolutionnaire de la société.

Les surréalistes attaquent également le rationalisme abstrait et l’absurdité des conventions bourgeoises. Ils valorisent le jeu et le rêve. Contre la civilisation occidentale, les surréalistes vont puiser dans les traditions prémodernes comme l’alchimie, la kabbale, la magie, la mythologie, l’astrologie ou les arts primitifs. Ils refusent l’art comme activité séparée, ornementale et institutionnalisée. Les pratiques artistiques doivent surtout permettre de réenchanter le monde. Mais les surréalistes s’opposent aux valeurs du romantisme réactionnaire, incarnées par le nationalisme et la religion.

Les romantiques s’opposent à la machine, à la technologie et à l’industrialisation. « Le premier commandement de la religion mécanique est donc la soumission des humains aux Appareils et, en dernière analyse, la mécanisation achevée des corps et des esprits », résume Michael Löwy. La société industrielle, avec le taylorisme et le fordisme, impose le travail à la chaîne. Les ouvriers doivent se plier aux gestes et aux cadences imposées par les machines.

Les luddites s’attaquent aux outils de production avec des marteaux et des haches. Les romantiques, dans le domaine de la culture, s'attaquent à la mécanisation de la vie humaine. Ils craignent le cauchemar de l’automatisation des corps. Walter Benjamin observe que le travail impose une perte de l’expérience. Les ouvriers se transforment même en robots, avec des gestes répétitifs et vides de sens.

      video-mariategui

Marxisme et romantisme

José Carlos Mariategui accorde une place centrale à la culture dans son projet de transformation du monde. Ce militant politique et syndical insiste également sur la poésie, la littérature, les arts et tous les domaines de l’activité culturelle. Il développe un marxisme romantique qui s’oppose à la mécanique du progrès et au déterminisme historique. Il insiste sur l’utopie et sur le surgissement des énergies romantiques, comme pendant la révolution russe. Le marxisme ne repose pas uniquement sur un projet rationnel, mais aussi sur l’émotion et sur la passion révolutionnaire.

José Carlos Mariategui tient à se démarquer du romantisme allemand du XIXe siècle, incarné par Rainer Maria Rilke, qui reste ancré dans l’individualisme libéral. Le nouveau romantisme doit devenir collectif et se relier à la révolution sociale. José Carlos Mariategui critique les poètes et écrivains péruviens restés attachés à ce romantisme individualiste. Mais il insiste sur la dimension spirituelle du surréalisme. « Ce n’est pas une mode artistique, mais une protestation de l’esprit », estime José Carlos Mariategui. Surtout, les surréalistes attaquent la civilisation capitaliste. Ils rejoignent la démarche communiste et révolutionnaire. Pierre Naville incarne ce lien entre le surréalisme et l’engagement dans l’opposition communiste.

Ernst Bloch incarne un marxisme romantique qui le rapproche des surréalistes. Il attaque la civilisation industrielle moderne au nom de valeurs précapitalistes. Il contribue à faire resurgir la dimension utopique. Le Principe espérance, livre volumineux, explore diverses formes d’utopie qu’elles soient sociales, architecturales, techniques, religieuses, philosophiques, géographiques, musicales et artistiques.

« Il ne s’agit pas de s’abîmer dans une contemplation rêveuse et mélancolique du passé, mais d’en faire une source vivante pour l’action révolutionnaire, pour une praxis orientée vers la réalisation de l’utopie », précise Michael Löwy. Ernst Bloch attaque la civilisation marchande avec sa logique du profit, les villes modernes froides et fonctionnelles, la domination par la technique. Ses réflexions rejoignent celles de l’Ecole de Francfort sur la standardisation des modes de vie. Il critique la valeur d’échange et le calcul mercantile. Au contraire, il insiste sur la dimension qualitative.

La révolte de Mai 68 puise dans le romantisme révolutionnaire. La subjectivité, le désir et l’utopie deviennent des moteurs du mouvement révolutionnaire. La contestation des années 1968 relie le marxisme à la critique romantique de la civilisation à travers des auteurs comme Henri LefebvreGuy Debord ou Herbert Marcuse. La jeunesse rebelle et les slogans de la révolte semblent influencés par le mouvement situationniste. « Ce fut une rébellion totale, mettant en question non pas tel ou tel aspect de la société existante, mais ses buts et ses moyens », analyse Daniel Singer.

Cette révolte remet en cause toutes les formes d’autorité et de hiérarchies. Cette contestation se propage aux Etats-Unis, à Mexico, en Allemagne et en Italie. La critique de la modernisation des Trente Glorieuses se diffuse. La planification, la rationalisation de la production, la société de consommation et la standardisation des modes de vie sont remis en cause. L’expression du désir et de la subjectivité s’oppose aux contraintes sociales. Le mouvement révolutionnaire devient une fête et s’appuie sur la création collective de nouvelles formes d’organisation.

              

Pessimisme culturel

Michael Löwy évoque le « pessimisme culturel » dans son livre Kafka, Welles, Benjamin. Ces auteurs portent un regard sombre et critique sur l’évolution de la société marchande. Dans Le Procès, Franz Kafka semble attaquer les régimes totalitaires. Mais il décrit surtout la bureaucratie, l’absurdité et l’arbitraire de la justice qui s’observe également dans les régimes démocratiques. L’appareil d’Etat écrase les individus. « En d’autres termes, Le Procès s’attaque à la nature aliénée et oppressive de l’Etat moderne, y compris celui qui s’autodésigne comme "Etat de droit" », souligne Michael Löwy.

Toute forme d’Etat apparaît comme une hiérarchie autoritaire fondée sur l’illusion et le mensonge. L’adaptation au cinéma par Orson Welles évoque le contexte de la chasse anti-communiste avec le maccarthysme. Le roman de Kafka permet de décrire le fonctionnement de la machine judiciaire dans un Etat moderne. « Le roman n’exprime pas un message politique ou doctrinaire, mais plutôt un certain état d’esprit anti-autoritaire, une distance critique et ironique envers les hiérarchies de pouvoir bureaucratiques et juridiques », souligne Michael Löwy.

Walter Benjamin reste marqué par un profond pessimisme. Il déplore la marche implacable du progrès technique qui conduit vers la catastrophe. Mais ce pessimisme ne se réduit pas à une forme de résignation passive. Walter Benjamin reste attaché au marxisme et à la lutte révolutionnaire. Il définit le communisme comme « l’organisation du pessimisme ». Le marxisme romantique de Walter Benjamin se rapproche du surréalisme. Il valorise également le merveilleux et les sociétés pré-modernes.

« Le marxisme gothique qui leur est commun peut être ainsi définit comme un matérialisme historique sensible à la dimension magique des cultures passées, au moment noir de la révolte, à l’éclair qui illumine le ciel de l’action révolutionnaire », analyse Michael Löwy. Mais le penseur marxiste oscille entre romantisme et matérialisme. Son texte sur L’œuvre d’art à l’époque de la reproductivité technique s’inspire de ces deux courants. La critique matérialiste n’empêche pas l’expérimentation créative.

Walter Benjamin tente de libérer le marxisme de l’illusion du progrès. Il développe une critique du travail comme une mécanique de déshumanisation. « Les gestes répétitifs, mécaniques et dépourvus de signification de l’ouvrier se débattent avec la machine », décrit Michael Löwy. La civilisation urbaine et industrielle assèche toute expérience authentique pour imposer un comportement conditionné.

Walter Benjamin critique le conformisme de la social-démocratie et du marxisme traditionnel qui ne remet pas en cause la production industrielle et capitaliste. Cette approche considère que des réformes successives doivent permettre une amélioration progressive des conditions de vie. Ce qui révèle une vision linéaire et déterministe de l’Histoire. Au contraire, Walter Benjamin estime que chaque moment historique possède des potentialités révolutionnaires. Il insiste sur le surgissement de l’événement qui peut ouvrir de nouvelles possibilités.

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Perspectives révolutionnaires du romantisme

 

Michael Löwy propose une synthèse de ses recherches passionnantes sur le romantisme révolutionnaire avec ces deux livres courts et accessibles. Il évoque également des figures méconnues du surréalisme comme Claude Cahun, Vincent Bounoure ou Penelope Rosemont. Il faut reconnaître à Michael Löwy le grand mérite de se pencher sur toute une tradition oubliée par le marxisme orthodoxe. Ce courant romantique insiste sur la dimension qualitative contre le quantitatif. Il s’appuie sur la subjectivité, le désir et l’utopie. Il tranche avec une vision déterministe, scientiste, froide et mécanique portée par le marxisme-léninisme et les Partis communistes. Mais ce romantisme révolutionnaire ne délaisse pas pour autant la lutte des classes pour des rêveries inoffensives. Mariategui, Bloch ou Benjamin aspirent à renverser l’ordre existant par la révolte sociale.

Néanmoins, le romantisme peut aussi verser dans l'irrationalité. Certes, la critique du scientisme, du déterminisme historique et de la froide rationalité reste incontournable. Mais la glorification du rêve, du mythe, de la foi et de l’espérance peut sombrer dans une forme de religiosité plus ou moins aliénante. Un certain mysticisme peut préférer se déconnecter du monde réel pour fuir dans un ailleurs imaginaire. Ce qui ne permet pas d’affronter les difficultés matérielles, comme se nourrir et se loger. Ce mysticisme peut paraître comme un luxe, mais pas comme une solution pour affronter l’exploitation et ses conséquences concrètes. Ensuite, la glorification de l’espérance semble favoriser une posture attentiste et messianique, plutôt que de s’organiser pour lutter face aux problèmes du quotidien.

Michael Löwy exprime une certaine sympathie pour les aspects mystiques du romantisme, tout comme pour le courant de la théologie de la libération. Mais il reste un militant marxiste attentif aux risques de fuir entièrement dans l’imaginaire et de se détourner de la lutte des classes. En revanche, Michael Löwy reste un indécrottable trotskyste. Il se montre sensible à la dimension libertaire du romantisme, mais il sait aussi épargner le chef de l’Armée rouge. Il ose encore dresser l’apologie du texte de Breton et Trotsky sur l’art révolutionnaire. Pourtant, Louis Janover ou Frédéric Thomas montrent bien les contradictions petites bourgeoises d’un Trotsky qui propose l’anarchie pour les artistes mais la militarisation du travail pour la piétaille ouvrière qui doit vivre de sa force de travail. L’élitisme intellectuel se conforme bien à l’avant-gardisme politique de Trotsky. Un petit groupe de militants prétend guider les masses pour prendre le pouvoir.

Michael Löwy s’inscrit également dans le confusionnisme qui caractérise le courant issu de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Il dresse une filiation entre Mai 68 et l’altermondialisme. Sa lecture de Mai 68 comme révolte globale contre toutes les hiérarchies reste pertinente. En revanche, le rapprochement avec l’altermondialisme semble douteux. Une grève de masse et un moment de contestation se confond alors avec des pitreries réformistes qui défendent des dictatures exotiques comme au Vénézuela ou à Cuba. Michael Löwy est moins brillant quand il vend sa boutique trotskisante avec sa camelote citoyenniste. Mais il reste incontournable pour saisir les enjeux des questions ouvertes par le romantisme révolutionnaire avec son marxisme hétérodoxe et utopiste.

Sources :

Michael Löwy, La Comète incandescente. Romantisme, surréalisme, subversion, éditions le Retrait, 2020

Michael Löwy, Kafka, Welles, Benjamin. Eloge du pessimisme culturel, éditions le Retrait, 2019

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Pour aller plus loin :

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Vidéo : Défense du marxisme ? Autour de la pensée de José Carlos Mariátegui, Séminaire diffusé sur Canal U le 5 mars 2019

Vidéo : Michel Zimbacca et Jean-Louis Bédouin, L'Invention du Monde, film mis en ligne le 5 juin 2020

Jérôme Duwa, Le programme politique du surréalisme, publié dans la revue en ligne En attendant Nadeau le 12 janvier 2022

Evelyne Pieiller, La comète incandescente. Romantisme, surréalisme, subversion, publiée dans le journal Le Monde diplomatique de décembre 2021

Didier Epsztajn, L’étincelle dans le vent, mais l’étincelle qui cherche la poudrière, publié sur le site Entre les lignes entre les mots le 26 janvier 2021

Frédéric Thomas, LÖWY Michael, dit Michel Löwy, Carlos Ross, publié sur le site du Maitron le 9 avril 2012

Michael Löwy : « Sans révolte, la politique devient vide de sens », publié sur le site de la revue Ballast le 29 décembre 2014

Kévin "L'Impertinent" Boucaud-Victoire, Michael Löwy : « Mai 68, c’est la rencontre du romantisme révolutionnaire et de la révolte populaire », publié sur le site de la revue Le Comptoir le 17 février 2015

Marc Berdet, Entretien avec Michael Löwy, lauréat du Prix Walter Benjamin 2020, publié sur le site du Prix Walter Benjamin le 10 décembre 2020

Ella Micheletti, Michael Löwy : « Les révolutions sont des grands moments de réenchantement », publié sur le site Voix de l’Hexagone le 19 septembre 2020

Michael Löwy, Le romantisme révolutionnaire de Mai 68, publié sur Le Club de Mediapart le 16 février 2018

Michael Löwy, Eloge du pessimisme culturel, publié sur Le Club de Mediapart le 17 octobre 2020

Articles de Michael Löwy publiés sur le site de la revue Contretemps

Articles de Michael Löwy publiés sur le site du portail Persée

Articles de Michael Löwy publiés sur le site Presse toi à gauche !