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Du sang, des larmes – et des luttes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Révolution : Tendance marxiste internationale
Le 24 août, Emmanuel Macron annonçait la fin de « l’abondance » et de « l’insouciance ». Le même jour, on apprenait que les grandes entreprises françaises venaient de battre, une fois de plus, le record du montant total des dividendes versés aux actionnaires : 44,3 milliards d’euros. Dans ce domaine, la France est championne d’Europe.
Entre le propos de Macron et les gabegies du CAC 40, il y a un lien direct qui peut se formuler ainsi : pour que la grande bourgeoisie française continue de mener grand train, la masse de la population va encore devoir se serrer la ceinture. Une fois distribuées les quelques miettes prévues dans la « loi sur la protection du pouvoir d’achat », le gouvernement va lever le bouclier tarifaire sur l’énergie. Bruno Lemaire évoque le début de l’année 2023 – et se veut rassurant : la hausse des tarifs sera « contenue ».
Mais ce qui est « contenu », aujourd’hui, c’est surtout l’augmentation des salaires, des pensions et des minimas sociaux. Tous ces revenus sont très en retard sur l’inflation, qui ne cesse de grimper. Selon une étude publiée par l’OCDE, début août, le revenu réel des ménages français a baissé de 1,9 % au premier trimestre 2022. Or ce chiffre n’est qu’une moyenne : la baisse est plus nette parmi les revenus les plus faibles.
Vague de grèves… et de propagande
Comme la nuit suit le jour, cette situation stimule la lutte gréviste pour des augmentations de salaire. La bourgeoisie française le sait et regarde avec angoisse en direction de la Grande-Bretagne, où une puissante vague de grèves gagne de nouveaux secteurs – et marque le spectaculaire réveil de la classe ouvrière britannique, après plus de 30 ans de relative atonie. Ces grèves ont des effets psychologiques et politiques qui dépassent largement leur cause immédiate. A travers la lutte collective, les travailleurs prennent conscience de leurs propres forces, accumulent de l’expérience et se préparent à mener des combats encore plus acharnés.
Pour tenter de prévenir un tel scénario, en France, la bourgeoisie envoie ses « experts » nous expliquer qu’il ne serait pas raisonnable de suivre l’exemple de nos camarades britanniques, car des augmentations de salaire « excessives » finiraient par se retourner contre les salariés eux-mêmes, sous la forme d’une nouvelle poussée inflationniste. C’est la théorie (fumeuse) de la « boucle prix-salaires », selon laquelle les augmentations de salaire nourrissent l’inflation.
Cette vieille rengaine de la « théorie » économique bourgeoise a été réfutée, il y a plus d’un siècle et demi, par le meilleur spécialiste du sujet : Karl Marx. Il expliquait qu’en général les salaires sont en retard sur l’inflation, de sorte que leur augmentation ne fait que rattraper – souvent de façon partielle – le mouvement de hausse des prix, qui lui-même dépend de divers facteurs : l’évolution du rapport entre la masse monétaire et la production de marchandises, l’évolution de la valeur réelle des marchandises (qui dans certains secteurs peut augmenter, pour différentes raisons), etc.
Comme le démontrait Marx, l’effet central et immédiat d’une augmentation des salaires, c’est une baisse équivalente des profits. Telle est la véritable raison de l’opposition de la classe dirigeante aux revendications salariales qui montent irrésistiblement, dans le pays. Compte tenu des problèmes de compétitivité de la bourgeoisie française, elle opposera une résistance acharnée à ces revendications. Mais comme le montre l’exemple des travailleurs britanniques, rien ne pourra enrayer la vague de grève, une fois celle-ci engagée. Pour défendre leur maigre pitance, les salariés n’auront pas d’autre choix que de se mobiliser. Même les travailleurs qui se tiennent à distance des syndicats, habituellement, seront prêts à s’engager dans des grèves dures.
Mentionnons, au passage, un autre argument des « Amis de la modération salariale » : « l’inflation, c’est la faute à Poutine. Et la modération salariale, c’est un acte de solidarité avec le peuple ukrainien ». En réalité, tout le monde sait que la poussée inflationniste avait commencé avant le début de la guerre en Ukraine. Que celle-ci ait accentué le phénomène, c’est indiscutable. Mais les travailleurs ne seront pas disposés à payer l’addition d’un affrontement entre les impérialismes russe et américain. Ils y seront d’autant moins disposés que la « solidarité avec le peuple ukrainien », au sommet de la société, s’accompagne d’une accumulation de richesses toujours plus vertigineuse.
Une situation explosive
De nombreux commentateurs le soulignent : la situation, en France, est de plus en plus explosive. Le cycle électoral d’avril et juin dernier a été marqué par une intensification de la polarisation politique. Macron ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. D’emblée, il est détesté – irréversiblement – par une large fraction de la jeunesse et du salariat. L’inflation s’installe et s’aggrave, alors qu’une nouvelle récession mondiale se profile. Or c’est dans ce contexte que le gouvernement se prépare à sonner la charge, une fois de plus, contre le système des retraites, l’assurance chômage et le Code du travail (entre autres). La bourgeoisie française l’exige, non par « idéologie », mais parce qu’elle doit défendre la compétitivité de ses investissements.
La direction confédérale de la CGT a annoncé une mobilisation dans la santé, le 22 septembre, suivie d’une journée d’action interprofessionnelle, le 29 septembre. Elles laisseront le gouvernement de marbre, exactement comme les dizaines de journées d’action de ces deux dernières décennies. De son côté, Mélenchon annonce une « grande marche contre la vie chère », mi-octobre. Dans la mesure où cette mobilisation aura un caractère plus politique que les journées d’action routinières, cela va dans la bonne direction. Au lieu d’opposer abstraitement les luttes « syndicales » et « politiques », il faut les lier étroitement. Il faut lier la lutte pour des revendications immédiates (salaires, conditions de travail, etc.) à la lutte générale pour renverser le gouvernement Macron et lui substituer un gouvernement de gauche doté d’un programme de rupture avec le capitalisme.
Cependant, ni Martinez ni Mélenchon ne visent la rupture avec le capitalisme. Ils s’imaginent – à tort – qu’il est possible d’en finir avec la misère et le chômage sans exproprier la bourgeoisie. Ce problème de direction de notre classe n’est pas nouveau : dans son Programme de transition, publié en 1938, Léon Trotsky soulignait que « la crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Le Programme de transition, avec ses « revendications transitoires », visait précisément à « aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. »
Parmi les revendications transitoires formulées par Trotsky, il en est deux qui sont d’une actualité brûlante : l’indexation des salaires sur l’inflation, d’une part, et d’autre part « l’échelle mobile des heures de travail », c’est-à-dire le partage du travail disponible entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, sans baisse des salaires.
On imagine bien les hurlements que provoquerait, dans la bourgeoisie, la popularisation massive de ces deux revendications. Dans son Programme de transition, Trotsky y a répondu d’avance et impeccablement : « Les propriétaires et leurs avocats démontreront l’“impossibilité de réaliser” ces revendications. Les capitalistes de moindre taille, surtout ceux qui marchent à la ruine, invoqueront, en outre, leurs livres de comptes. Les ouvriers rejetteront catégoriquement ces arguments et ces références. Il ne s’agit pas du heurt “normal” d’intérêts matériels opposés. Il s’agit de préserver le prolétariat de la déchéance, de la démoralisation et de la ruine. Il s’agit de la vie et de la mort de la seule classe créatrice et progressiste et, par là même, de l’avenir de l’humanité. Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! La “possibilité” ou l’“impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste. »