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Ruffin-Roussel, même combat ?
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Ruffin-Roussel, même combat ? | Le Club (mediapart.fr)
Par François Ruffin
"Ruffin dit la même chose !" C'est devenu un classique : Roussel me donne à intervalle régulier le baiser de la mort ! Nous sommes d'accord, peut-être, sur le diagnostic, mais pas sur l'horizon : s'agit-il de diviser le peuple ? Ou de le rassembler ?
« Je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire
Le nez dans le ruissel, c'est la faute à Roussel ! »
« Je ne suis pas pour une gauche des allocs… J’en appelle à mettre fin à un système qui nourrit le chômage par les allocations et le RSA... Je ne partage pas la proposition de garantie d’emploi, on va se couper du monde ouvrier, qui travaille dur ! » Fabien Roussel balançait ça, vendredi, en intro de La Fête de l’Huma. Et critiqué par le reste de la Nupes, il ajoutait : « Votre camarade François Ruffin dit la même chose. » C’est devenu un classique, depuis ce printemps : le premier secrétaire du Parti me donne, à intervalles réguliers, le baiser de la mort ! Et non, avec Fabien Roussel, nous ne sommes pas d’accord. D’accord peut-être sur le diagnostic, mais pas d’accord sur l’horizon : s’agit-il de diviser le peuple ou de le rassembler ? De diviser la gauche ou de la réunir ?
Ce qui nous rapproche : le diagnostic
Depuis nos terres d’élection, nous sommes inquiets : nous voyons nos régions industrielles, nos coins de campagne, non pas être grignotés, mais avalés, à vitesse grand V, par le Rassemblement national. 8 sur 17 en Picardie, 6 sur 12 dans le Pas-de-Calais, 6 encore dans le Nord, et la Moselle, et le Midi Rouge… dans des endroits qui furent le creuset du socialisme et du communisme, qui, durant un siècle, ont envoyé des bataillons de députés de gauche à l’Assemblée, même les années de défaite.
Nous sommes inquiets de la fracture électorale : autant Jean-Luc Mélenchon l’a emporté dans les métropoles (et tant mieux), a triomphé dans les quartiers populaires (et tant mieux), autant nous avons échoué à parler à cette France des bourgs, des sous-préfectures. Mais Fabien Roussel, au vu de son score présidentiel, n’y a pas non plus réussi…
Nous sommes inquiets parce que, après l’élection, nous n’apercevons aucun électrochoc. Il fut un temps où la moindre mairie tombée au FN suscitait des tribunes d’intellectuels dans la presse, des pétitions, des manifestations… Ce sont aujourd’hui des pans entiers du pays qui tombent à l’extrême droite, et sans secousse, sans diagnostic, sans révision stratégique. Depuis Paris et l’Île-de-France, qui concentrent les députés Nupes, et encore davantage les députés qui dirigent la Nupes, on voit la vie en rose. Les alertes sont gênantes, presque moquées comme des gémissements.
Ce qui nous sépare, maintenant : l’horizon
Voilà quinze ans que je le répète : « Nous avons un bloc social à construire, aujourd’hui traversé par un double divorce : les classes intermédiaires et les classes populaires. Et au sein des classes populaires, celles des quartiers et des campagnes. » Tel est mon dessein : rassembler, par-delà les frontières sociales, d’origines, ou géographiques. Ajouter, et non pas retrancher.
Quand j’entends, ainsi, et Dieu sait que je l’entends, le refrain sur « les assistés », « les cas sociaux », « l’assistanat », qui – d’après des chercheurs – est devenu « la principale disposition au vote Rassemblement national », ça n’est pas pour flatter cette division entre les modestes et les pauvres, mais comme un chirurgien constate une fracture : pour la réparer. Avec des propositions : le conflit haut/bas, les droits universels, le travail pour tous, le faire-ensemble…
Mon espoir, mon pari, c’est que nous embarquions toute la société, tout notre « bloc social », dans un dessein commun.
Alors que Fabien Roussel agit comme un chef marketing. Il tente d’occuper un segment électoral, négligé de fait par la France insoumise : « les travailleurs des campagnes ». Mais non pour les recoller au bloc, au contraire pour les séparer. Pour les mettre en opposition avec les autres, et au final les isoler.
C’est vrai, aujourd’hui, sur l’« assistanat » : lui ne répare pas la fracture, il ne cherche pas à la dépasser, il l’approuve, la valide. Et quel comble qu’un communiste impute le chômage de masse, non à un travail maltraité depuis quarante ans, écrasé par le capital, la mondialisation et le libre-échange, les usines qui ont fui nos terres, mais aux rustines qu’on a posées sur ce désastre, le RSA et les minimas sociaux.
Mais c’est vrai aussi, par exemple, sur l’écologie. On assiste à une espèce de tandem mortifère : les uns dénoncent le « barbecue viriliste » - une pratique populaire, qu’on trouve autour de tous les stades de foot, sur les piquets de grève, en bas des tours et dans les jardins. Et l’autre, en contrepoint, fait l’éloge de l’avalage de saucisses. Chacun sur son « segment », écolos des villes contre prolos des champs. Alors qu’il nous faut aller vers le « moins de viande, mais mieux de viande » : moins de viande pour la planète, et pour la santé. Mieux de viande, pour les non-végétariens, c’est-à-dire produite ici, pas en Nouvelle-Zélande et au Canada, nourrie dans les pâturages, et non aux hormones, pas élevée dans une ferme industrielle.
C’est tous les jours qu’il nous faut œuvrer au dépassement des contradictions, de contradictions internes au bloc à construire.
Je dis cela aux communistes en toute sympathie : parce que nous avons besoin de vous. Parce qu’avec votre histoire, le seul parti qui au fond fut un jour populaire, avec votre implantation dans le pays, nous avons besoin de votre diagnostic, de votre critique et de votre pratique : qu’est-ce qui coince ? Que pouvons-nous améliorer ? Nous avons besoin de vous pour bâtir une gauche du XXIème siècle, qui n’oublie pas « Ma France », comme la chantait Jean Ferrat, mais qui la conjugue avec d’autres Frances, « Nos Frances ».
Camarades, je suis bien sûr ouvert à la discussion pour trouver ce chemin.