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    Discussion – Un tournant dans la situation mondiale, par Jacques Chastaing

    Lien publiée le 7 octobre 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Discussion – Un tournant dans la situation mondiale, par Jacques Chastaing – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

    Du 13 juillet au 2 octobre 2022, une série d’événements pris dans leur ensemble, de l’Asie du Sud à la Grande-Bretagne en passant par l’Ukraine, l’Afrique ou les Amériques, ont dessiné un tournant mondial des luttes. Nous n’y avons guère pris garde, parce que nous les avons perçus un par un sans en saisir la dimension d’ensemble qui donne les contours d’une nouvelle période pour les luttes.

    Essayons d’en décrire les caractéristiques.

    SRI LANKA, BANGLADESH, PAKISTAN, INDE, IRAN

    Ce moment a commencé le 13 juillet 2022 au Sri Lanka où les insurgés, après avoir pris les bureaux du premier ministre, la télévision, encerclé le parlement, se sont emparé du palais présidentiel et se sont baignés dans la piscine du président.

    Puis, début août, commençait une grève de 150 000 ouvriers et surtout ouvrières, des plantations de thé au Bangladesh à la situation quasi d’esclavage à la fois économique et patriarcal, qui 15 jours après, était victorieuse avec, selon les autorités, un quadruplement de leur revenu. Cela entraînait en chaîne deux hausses importantes des salaires de 600 000 ouvriers et ouvrières du thé dans l’Etat indien frontalier de l’Assam, puis une hausse du salaire minimum de 67% dans un autre état indien de la région, connu aussi pour ses plantations de thé, le Sikkim, en même temps que des soulèvements se déclenchaient dans tous les Etats de cette région de l’est de l’Inde à la frontière du Bangladesh et de la Birmanie, dénonçant pêle-mêle la dictature militaire indienne dans la région comme la dictature militaire birmane sur les mêmes peuples et tribus qui vivent de part et d’autre des frontières. A l’initiative d’une révolte de femmes, d’ouvrières, tout cela dessine par dessus les frontières des Etats en place les contours d’une nouvelle union des peuples, un vaste Bengale d’avant les indépendances qui regroupait dans la paix les peuples d’un même ensemble, Bangladesh, Birmanie et Est Indien. En même temps, depuis août, encouragés par les succès revendicatifs des femmes dans les plantations de thé, des millions de bangladais descendent massivement dans les rues sans discontinuer jusqu’à aujourd’hui pour d’abord dénoncer la hausse des prix des carburants et maintenant exiger la chute du régime.

    Au même moment, début août, 40 000 ouvriers du textile entraient en grève pour des augmentations de salaires dans la capitale ouvrière du Pakistan, Faisalabad, dans la provinces du Pendjab, Quinze jours après, ils obtenaient une augmentation de 17% pour 300 000 ouvriers du textile, une victoire historique qui se continue aujourd’hui, par des luttes incessantes et gagnantes pour des améliorations diverses des conditions de travail et droits sociaux. Parallèlement, démarrait toujours en août et toujours au Pakistan, un mouvement populaire massif et quotidien toujours croissant à l’heure actuelle en cette fin septembre à l’initiative d’une organisation se réclament du marxisme dans la province frontalière de l’Afghanistan Kyber Pakhtunkhwa pour mettre fin à la terreur religieuse et au gangstérisme des talibans et à la complicité de l’Etat pakistanais dans la région qui fut leur berceau, traquant les talibans et leur dictature religieuse partout où ils se cachent.

    Dans le Pendjab indien, voisin du pakistanais, épicentre du soulèvement paysan indien de 2020-2021 et berceau avec l’État voisin de l’Haryana du SKM, la coordination radicale paysanne contre toutes les haines et divisions de sexe, religions et castes, qui a ébranlé l’autorité du pouvoir central d’extrême droite en Inde du BJP de Modi grâce notamment à l’engagement des paysannes à l’avant-garde de la lutte, prend une orientation révolutionnaire. Le SKM et la mobilisation paysanne ont fait reculer l’extrême droite pour la première fois de son histoire en Inde. Or, comme les organisations étudiantes à la tête de la lutte au Sri Lanka avaient hésité puis renoncé à prendre le pouvoir au profit d’un prétendu processus constituant institutionnel, le SKM qui était à deux doigts de renverser le pouvoir fascisant de Modi en novembre 2021, avait renoncé à cette prise révolutionnaire du pouvoir pour choisir lui aussi des solutions électorales traditionnelles. Cela avait donné au Pendjab indien le succès hors du commun d’un tout petit parti, l’AAP, sorte de Podemos indien. Mais bien sûr, l’AAP s’installa dans le système et ne fit pas mieux que les autres. Aussi en cette fin septembre, le SKM, qui a toujours une influence considérable en Inde et mène toujours de nombreuses luttes avec les 600 millions de prolétaires ruraux, pour en faire à l’heure actuelle, un des plus grands « partis » prolétarien du monde, a tenu des assises publiques de grande dimension pour tirer aux yeux de tous le bilan de son expérience malheureuse et en conclure qu’il ne se plierait plus aux jeux institutionnels en même temps qu’il prenait devant tous l’engagement dans la voie de la révolution.

    Pas très loin de là, en Iran, en septembre, les femmes se soulevaient contre la dictature religieuse des ayatollahs, jetaient leurs voiles et se coupaient les cheveux, entraînant l’ensemble de la population avec elles, faisant reculer une dictature féroce de 40 ans, poussant la révolte dans les confins du pays aux Kurdistan et Baloutchistan iraniens, près du Pakistan, pas loin de là, où de l’autre côté de la frontière on chasse aussi la dictature religieuse. Fait remarquable, ce soulèvement féministe entraîne un mouvement de solidarité mondiale rarement vu, témoignant combien la cause des femmes mobilise dans le monde, combien les femmes sont un moteur important dans les luttes actuelles et sont à l’offensive du Bangladesh à l’Inde ou l’Iran faisant reculer pied à pied l’exploitation et l’oppression là où elles sont parmi les pires.

    UKRAINE, GRANDE BRETAGNE

    En septembre, c’est l’offensive militaire ukrainienne qui démarre, témoignant plus clairement de ce basculement des temps. Jusque là, beaucoup admiraient la capacité de résistance du peuple ukrainien. Des réseaux de solidarité les accueillait et nombreux se demandaient jusqu’à quand ils allaient pouvoir tenir face à la machine de guerre russe. Aujourd’hui, ce qui domine c’est la question d’accueillir des déserteurs de l’armée russe et on se demande jusqu’à quand va tenir le dictateur Poutine.

    Cela ressemble du point de vue politique et moral – en changeant ce qu’il faut changer – à l’offensive du Têt en 1968 par les vietnamiens qui constitue le tournant de la guerre du Vietnam confortant la méfiance de la population américaine à l’égard du discours optimiste de l’administration Johnson, amenant ce dernier à renoncer à se représenter à l’élection présidentielle et ouvrant à la défaite américaine définitive de 1975.

    C’est ce tournant là, dont il s’agit à l’échelle mondiale. Les rapports de force changent, les classes populaires passent à l’offensive et marquent des points, gagnent, cherchent leur indépendance politique par delà les vieux appareils, les vieilles traditions.

    Et puis il y a les grèves britanniques.

    La décennie d’austérité depuis le krach financier de 2008, l’épuisement des services publics, l’effondrement du marché du logement, la vue des Britanniques faisant la queue dans les banques alimentaires et des enfants souffrant de la faim à l’école, l’écart toujours plus grand entre les nantis et les démunis, les multiples crises environnementales, semblaient depuis trop longtemps se mesurer non pas à des revendications partagées mais à des angoisses individualisées. Depuis les années 1980, nous nous sommes habitués à ce que la solidarité soit remplacée par la précarité, avec toutes les retombées sur le niveau de vie et la santé mentale qui en découlent.

    Mais depuis juin, la classe ouvrière britannique est de retour. Cela a commencé par une vague de grèves sans précédent mais que les vieux appareils syndicaux et politiques travaillistes ont émietté en une foule de grèves dispersées sans aucune coordination.

    Cependant, nous sommes confrontés à un hiver au cours duquel des millions de personnes, dont beaucoup travaillent à temps plein, seront incapables de payer leurs nourriture ou chauffage ou logement. C’est un événement, social et politique, qu’aucun d’entre nous n’a vu de sa vie. Et les gens ne l’acceptent pas.

    Aussi, sous la pression populaire, les directions syndicales ont accepté de coordonner un peu ce 1er octobre les luttes des cheminots et postiers en même temps que des dockers, chauffeurs de bus et avocats faisaient grève aussi. Mais plus encore, deux mouvements citoyens « parapluie », « Don’t pay » (ne payez pas) et « Enough is Enough » (trop c’est trop) – 800 000 membres pour ce dernier – nés en août, qui ont capté ce sentiment collectif des britanniques, pour des augmentations adéquates, des salaires corrects, des logements décents pour tous, des impôts plus élevés sur la richesse et les bénéfices exceptionnels, la fin de la pauvreté alimentaire et énergétique et le soutien au grèves, ont lancé leur première « journée d’action » le 1er octobre dans 150 villes du pays. Et ça a été un formidable succès. Des manifestations partout mais plus conçues par leurs acteurs comme des actes militants mais comme une nécessité ; des milliers de citoyens se sont portés en aide aux piquets de grève ; des cheminots manifestaient au cotés de postiers, enseignants, infirmières, tous se sont retrouvés. Quelque chose de nouveau et apparu : le pouvoir du peuple en germination. Une journée qui aura un impact important pour la suite en Grande-Bretagne mais aussi en Europe et au delà, tellement nos problèmes sont les mêmes.

    USA, BRESIL

    Regardons la menace de grève des cheminots du fret [ferroviaire] américain en cette mi septembre. La bourgeoisie américaine a littéralement paniqué. Démocrates et Républicains unis contre les ouvriers ont menacé de légiférer avec le Congrés pour interdire cette grève. Puis finalement, l’administration a reculé, et cédé au moins partiellement, pour éviter la grève.

    Et puis, ce 2 octobre, ces sont les élections au Brésil, un premier tour des présidentielles où la question principale est de savoir si Lula sera élu dés le premier tour ou pas tellement l’écart avec son concurrent Bolsonaro est important et tellement l’effondrement de l’extrême droite est important. Ce n’est pas la défaite de Trump face à Biden où l’écart n’était pas considérable, ce ne sont pas les nombreuses victoires électorales de gauche en Amérique Latine ces derniers mois qui se jouaient à peu de choses, c’est une véritable débâcle de l’extrême droite dans le plus important pays d’Amérique du sud. Là encore un tournant.

    Ce n’est pas le succès électoral de l’alliance droite/extrême-droite en Italie qui contredit cette tendance. Ce qui a marqué le scrutin italien, c’est d’abord et avant tout le rejet par les électeurs de tous les partis politiques et du système. Les électeurs ont fui les urnes comme ce n’est jamais arrivé dans l’histoire de la république italienne depuis la guerre. Dans tout le sud du pays, l’abstention a tourné autour des 50%. Un record ! Les électeurs après avoir voté en 2018 pour des candidats soit-disant anti-système comme le mouvement « 5 étoiles » sont passés carrément à la pratique anti-système par eux-mêmes en boycottant le scrutin. Ce n’est que parce qu’il n’existe plus de gauche en Italie puisque la gauche est devenue la droite, que les médias des milliardaires sponsors de l’extrême droite ont pu faire passer un bide électoral pour un « succès ».

    Partout, la tendance est à l’incapacité des vieilles recettes misogynes, racistes, xénophobes, nationalistes qui peinent à freiner la montée de l’offensive populaire tandis que celle-ci affiche de plus en plus son programme large visant une refonte complète et totale de la façon dont le système économique fonctionne avec un puissant désir de plus de solidarité communautaire, de lutte contre toute la culture des 40 dernières années qui a placé la cupidité au-dessus de l’humanité et un énorme appétit pour le changement avec des directions différentes, une volonté de contrôle et d’auto-organisation par en bas. Une génération qui a grandi atomisée et anonyme sur les réseaux sociaux semble découvrir lentement le pouvoir d’une voix collective dans des groupes organisés encore un peu aux côtés des partis politiques et des syndicats mais le plus souvent et de plus en plus en dehors d’eux.

    Voilà le tournant mondial dont témoignent ces événements. On passe du défensif à l’offensif. Nous donnons le tempo, commençons à fixer l’agenda et marquons la période de nos valeurs. On cherchait hier dans les luttes à défendre de manière corporatiste ou nationaliste les acquis passés, on cherche aujourd’hui dans les luttes à affirmer les valeurs d’un autre monde commun.

    Et même lorsque les vieux appareils du vieux système s’arqueboutent pour empêcher l’aspiration au nouveau monde de surgir, on sent bien qu’il est à bout de souffle. C’est le coup d’État militaire plus ou moins foireux au Burkina Faso ce 30 septembre, le second en 8 mois, de militaires contre des militaires, en fait pour tenter d’empêcher la montée populaire, qui devait se faire entendre à partir de ce 30 septembre à l’appel convergent des forces de la jeunesse contestataire du « balai citoyen » et de l’union de toutes les organisations syndicales, déjà à l’origine des soulèvements révolutionnaires d’octobre 2014 et de la grève générale de septembre 2015 qui ont fait tomber deux régimes.

    Après l’Afrique de l’Est déjà ébranlée par la révolution soudanaise par en bas qui dure depuis un an, le soulèvement au Burkina Faso y aurait additionné cette fois l’ébranlement de l’Afrique de l’ouest. Mais ce n’est que partie remise.

    Avec l’offensive militaire vietnamienne du Têt, l’année 1968 connut aussi les deux athlètes noirs américains qui firent le salut des Black Panthers sur le podium du 200 mètres aux Jeux olympiques d’été, ce qui eut un retentissement mondial et bien sûr les grèves générales dans de nombreux pays dont le mai 68 français. Le boycott de la coup du monde de foot au Qatar en fin d’année a quelque chose de l’esprit du geste des athlètes américains. Il manque encore la grève générale. Soyons sûrs qu’elle vient. Les trois mois de l’été 2022 l’annoncent. Préparons-là et préparons nous-y.

    Jacques Chastaing, le 2 octobre 2022.