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    Lénine, Martinez et Mélenchon

    Lien publiée le 7 novembre 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Révolution : Tendance marxiste internationale

    Pour combattre l’inflation, les banques centrales européenne et américaine ont multiplié les hausses de leurs taux directeurs, ces derniers mois. Après des années d’une politique monétaire extrêmement souple (taux nuls, voire négatifs ; rachats massifs de dettes publiques et privées), ce resserrement brutal suscite de vifs débats parmi les économistes bourgeois. Au fond, ils ne sont d’accord que sur un point : « l’heure est grave ».

    Précisément : l’heure est trop grave, les dettes des ménages, des entreprises et des Etats sont trop massives, les chaines d’approvisionnement sont trop perturbées, l’inflation se nourrit de trop de facteurs – bref, la crise est trop profonde pour qu’il soit possible de prévoir avec précision l’impact des décisions des banques centrales.

    De nombreux économistes annoncent une récession aux Etats-Unis et en Europe, l’an prochain. Tout l’indique, en effet. Mais quelle en sera l’ampleur ? Nul ne le sait. Les banquiers centraux expliquent vouloir éteindre l’incendie inflationniste au moyen d’une récession « contrôlée » et « modérée ». Mais même « modérée », elle frappera durement la jeunesse et les travailleurs, qui sont déjà exaspérés par l’inflation. En outre, les banquiers centraux ne contrôlant pas grand-chose, la récession pourrait fort bien n’être pas « modérée ». Pire : il n’est même pas garanti qu’elle s’accompagnera d’un net recul de l’inflation.

    « L’école de la guerre »

    Telles sont les perspectives économiques auxquelles doit se préparer le mouvement ouvrier français. On doit les avoir en tête, car elles signifient que les augmentations de salaire arrachées par la grève, dans un nombre croissant d’entreprises, n’apporteront qu’un bref répit avant la prochaine tempête économique et sociale.

    Ceci dit, ces grèves sont d’une très grande importance. Leur signification dépasse largement la question de la fiche de paie. Dans un célèbre article sur les grèves, le jeune Lénine écrivait : « En temps ordinaire (…), l’ouvrier traîne son boulet sans mot dire, sans contredire le patron, sans réfléchir à sa situation. En temps de grève, il formule bien haut ses revendications, il remet en mémoire aux patrons toutes les contraintes tyranniques qu’ils lui ont infligées, il proclame ses droits, il ne songe pas uniquement à lui-même et à sa paie, il songe aussi à tous les camarades qui ont cessé le travail en même temps que lui et qui défendent la cause ouvrière sans craindre les privations. » [1]

    Lénine expliquait que, pour les travailleurs, la grève est « l’école de la guerre ». C’est toujours vrai de nos jours. Cependant, Lénine ajoutait ceci : « il nous faut souligner que les grèves (…) sont “l’école de guerre” et non la guerre elle-même, qu’elles sont seulement un des moyens de la lutte, une des formes du mouvement ouvrier. Des grèves isolées, les ouvriers peuvent passer, doivent passer et passent effectivement, dans tous les pays, à la lutte de la classe ouvrière tout entière pour l’émancipation de tous les travailleurs », c’est-à-dire à la lutte pour la conquête du pouvoir, le renversement du capitalisme et la transformation socialiste de la société.

    Politique et syndicalisme

    Cette seule citation permet de prendre la mesure de l’écart entre ce qu’expliquait Lénine, au seuil du XXe siècle, et l’extrême modération des dirigeants actuels du mouvement ouvrier français. A la tête de la plus puissante confédération syndicale, Philippe Martinez ne se préoccupe pas de « l’émancipation de tous les travailleurs » – non, car ce serait faire de la « politique », alors que le secrétaire général de la CGT, lui, veut s’en tenir au « syndicalisme ». En retour, il exige que la France insoumise (FI) ne se mêle pas de « mobilisations sociales ». Martinez appelle cela « l’indépendance syndicale » ; nous appelons cela une pure hypocrisie, que la droite et le patronat applaudissent chaudement, d’ailleurs, car c’est tout à fait conforme à leurs intérêts.

    Dans le monde réel, il n’existe pas d’actions purement syndicales, car il n’y a pas de frontière étanche entre syndicalisme et politique. Comme l’expliquait Lénine, même une grève locale pousse les travailleurs à réfléchir au sort de toute leur classe et à l’exploitation brutale sur laquelle repose la société capitaliste. Un dirigeant ouvrier digne de ce nom doit s’efforcer de politiser au maximum chaque lutte des travailleurs, d’orienter leur esprit vers l’objectif général, la conquête du pouvoir, sans laquelle tout « acquis » social sera remis en cause, tôt ou tard. C’est d’ailleurs ce que nous vivons aujourd’hui : la remise en cause systématique de conquêtes sociales vieilles de plusieurs décennies.

    Contrairement à une idée chère à Martinez (et tant d’autres), la politisation de la lutte des classes n’est pas un obstacle à son développement. C’est même le contraire, en particulier en période de profonde crise économique et sociale. De fait, la mobilisation nationale la plus puissante et la plus combative, depuis la rentrée de septembre, fut la manifestation politique organisée par la FI, le 16 octobre. Même la « journée d’action » syndicale du 18 octobre – dans un contexte pourtant électrisé par la grève des raffineries – était moins combative. Celle du 27 octobre fut un fiasco. Les « journées interprofessionnelles » routinières, sans perspectives, sans plan d’action et sans mots d’ordre politiques offensifs ne peuvent pas mobiliser très au-delà des rangs syndicaux. Et bien sûr, elles ne peuvent pas faire reculer le gouvernement d’un millimètre.

    Crétinisme parlementaire

    La manifestation organisée par la FI, le 16 octobre, fut un succès très prometteur. Depuis, malheureusement, la direction de la FI dépense l’essentiel de son énergie dans les mornes tranchées du Palais Bourbon. Dans la mesure où le gouvernement ne dispose que d’une majorité relative, à l’Assemblée nationale, les péripéties parlementaires se suivent et se ressemblent : amendements, « 49.3 », motions de censure ; nouveaux amendements, nouveau « 49.3 », nouvelles motions de censure ; etc.

    La FI doit occuper le terrain parlementaire, mais elle doit lier étroitement ce travail aux initiatives et mobilisations extra-parlementaires : manifestations, rassemblements, grèves, meetings et agitation de masse. Sans cela, les députés de la FI vont tourner en rond, d’une motion de censure à l’autre, dans l’indifférence générale de la masse des jeunes et des travailleurs, lesquels n’attendent plus rien de positif de cette Assemblée nationale, à juste titre.

    Sur son blog, Mélenchon discute la possibilité d’une dissolution de l’Assemblée nationale. On ne peut exclure totalement que Macron y soit poussé « à froid », c’est-à-dire sans y être contraint par une puissante mobilisation de la jeunesse et des travailleurs. Cependant, cela nous paraît très improbable, à court terme. Les députés LR n’ont rien de bon à attendre d’élections anticipées, dans l’immédiat. Les députés RN jouent les fanatiques de la motion de censure, mais en réalité ils ont tout intérêt à laisser pourrir la situation afin d’en récolter un maximum de fruits, le moment venu. Même dans les rangs de la NUPES, nombre de députés Verts, PS et PCF se disent, sur leur siège de velours : « j’y suis, j’y reste ! » En conséquence, tout ce petit monde s’arrange, en amont des motions de censure, pour s’assurer qu’elles ne passeront pas.

    En mettant le théâtre du Palais Bourbon au centre de leur politique et de leurs interventions publiques, Mélenchon et les députés FI s’exposent à ce que Karl Marx appelait le « crétinisme parlementaire ». L’antidote est connu ; nous l’avons signalé plus haut : la direction de la FI doit subordonner son activité parlementaire à différentes formes de mobilisations extra-parlementaires, dont la manifestation du 16 octobre a montré l’énorme potentiel. Les dirigeants et députés de la FI doivent jeter toutes leurs forces dans le développement de la lutte sociale – dans les rues, les entreprises, les facs et les lycées – contre le gouvernement Macron, contre le patronat, contre le système capitaliste. Et tant pis si cela déplait à Philippe Martinez.


    [1A propos des grèves. Volume 4 des œuvres complètes.