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LAISSER ÊTRE ET RENDRE PUISSANT - Un entretien avec Tristan Garcia

Lien publiée le 8 novembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Laisser être et rendre puissant (lundi.am)

Ce soir nous accueillons le philosophe et écrivain Tristan Garcia pour un livre qui n’est pas encore paru et qui aura mis des années à passer des petites collines d’une courte conférence en 2017 aux vastes steppes d’une somme ontologico-politique (Laisser être et rendre puissant, à paraître) en passant par la vallée fleurie d’un entretien récapitulatif en 2021 (L’Architecture du possible).

S’il faut souvent examiner les faits et les événements pour saisir l’horizon empirique sous lequel l’action politique se dessine ; il faut aussi parfois, pour un temps, remonter aux structures de nos langages et aux logiques de nos subjectivités, aux toiles d’araignées ténues de nos métaphysiques invisibles, afin de clarifier théoriquement les voies du labyrinthe dans lequel, souvent sans le savoir, nous avançons les yeux fermés.

Dans un très mauvais blockbuster de 2015, À la poursuite de demain (Tomorrowland), on pourrait trouver une image du rapport entre métaphysique et politique. Lorsque la jeune héroïne Casey Newton effleure un pin’s en forme de « T », trouvé par hasard dans ses affaires, elle est brusquement projetée depuis le bayou de sa Floride marécageuse dans un espace parallèle parfaitement utopique où se dresse, à l’horizon des champs de blé dorés qui l’entourent, une gigantesque citadelle. Mais alors qu’elle se met en marche à travers les épis, vers cette citadelle qui l’attire, elle se heurte à un mur invisible. En essayant de le contourner sans le voir, elle sent soudain son corps se recouvrir d’une eau pourtant absente. C’est que Casey Newton a beau percevoir le pays d’or et d’utopie, a beau le voir sous ses yeux se déployer alentour, son corps, lui, déambule entre les maisons de sa présente Floride, et même si elle ne voit plus ni ses rues, ni ses clôtures, ni ses façades, son corps, lui, les sent, les vit, s’y cogne, physiquement, et manque de se noyer dans le fleuve de la ville.

La métaphysique est cette Floride, ce labyrinthe urbain, qui n’est plus visible lorsque nous avançons dans les champs politiques de la citadelle utopique mais qui continue de déterminer les devenirs de nos actions. Déterminer à quels espaces urbains ontologiques nos subjectivités participent en se croyant tout autre chose, c’est l’un des aspects du travail de Tristan Garcia dans Laisser-être et rendre puissant. Après une vaste épopée ontologique, il analyse dans son livre les modalités du possible, de l’impossible, du contingent et du nécessaire, de la puissance et de l’impuissance et leur articulation sous la forme de subjectivités éthiques, de « formations éthiques » (457), distinctes et en conflit : « Ces formes que prend la subjectivité entre semblables, déformée par l’histoire, par les intérêts et des camps ennemis, quand chacune tend à l’hégémonie, se nourrissent et se confirment les unes les autres dans la guerre générale. » (455) À la manière d’un stratège théorique, il passe du point de vue d’un camp engagé dans l’action et la bataille, au point de vue du champ de bataille lui-même où se disposent les différentes subjectivités dans les luttes pour l’hégémonie. Le rôle du philosophe est peut-être alors d’analyser ces subjectivités, et de trouver les tactiques par lesquelles non pas détruire ou éliminer les plus vilaines, mais désamorcer ou interrompre leur élan d’hégémonisation :

« Si elle n’est pas interrompue, chacune menace de se constituer en autorité absolue. Elle supprime de plus en plus d’autres subjectivités possibles et empêche toute puissance autre que la sienne. Sa manière laisse de moins en moins être et rend de moins en moins puissant. Parce qu’elle doit se donner les moyens d’être reconnue, c’est le destin de toute subjectivité engagée dans une guerre avec ses semblables. Elle s’approprie le champ de bataille, s’aveugle sur son propre camp, s’universalise elle-même.
Avec le temps, notre subjectivité en guerre tend donc à devenir un ensemble impossible d’une multitude d’hégémonies qui cherchent à s’annuler mutuellement.
Leur résister, c’est les interrompre — ou plutôt : interrompre leur prétention hégémonique. »

Résister, interrompre une hégémonie. Se découvrir une subjectivité d’un autre type : la subjectivité résistante. Son but : trouver entre les coups de coude et l’éclair éphémère des armes, une forme d’universel que Tristan Garcia appelle le « Commun distinct », susceptible d’apparaître à la suite des manœuvres par lesquelles les subjectivités s’émancipent et découvrent « la condition éthique de [leur] métaphysique » – car « l’émancipation est la condition éthique de l’apparition de quelque chose d’universel » (458)

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