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Soudan : la mobilisation du peuple continue

Soudan

Lien publiée le 13 novembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Soudan : la mobilisation du peuple continue - CONTRETEMPS

Un an après le coup d’État organisé par les militaires contre le processus de transition à la suite de la chute d’Al-Bashir, la mobilisation continue contre un pouvoir faible et divisé. Les structures d’auto-organisation populaire ont investi le champ politique et bataillent tant contre les partis traditionnels que la diplomatie occidentale, partisans d’un retour au statu quo. L’ordre du jour est bien de renforcer une solidarité encore trop faible au vu de ce que pourrait représenter la chute des militaires pour les pays arabes et plus globalement le continent africain.

La chute d’Al-Bashir  

Le coup d’Etat d’Al-Bashir en 1989 soutenu par les islamistes du Front Islamique National (FNI) dirigé par Al-Tourabi a plongé progressivement le Soudan dans une crise profonde. Ce nouveau pouvoir s’est engagé au nom du djihad dans une guerre coûteuse contre les populations du sud du Soudan, il a imposé une morale rétrograde dans le mode de vie des soudanais et soudanaises, favorisé la captation des richesses par la hiérarchie militaire. Il a aussi accentué la discrimination envers les populations de la périphérie, à tel point que le pays reste profondément divisé entre ce que les universitaires appellent « l’élite riveraine » ou le grand Khartoum et les autres régions délaissées et méprisées.

A partir de 2010 des manifestations s’organisent contre la crise économique et prennent rapidement une tournure politique anti-gouvernementale. La révolution de 2019 s’est nourrie de ces luttes. La puissance de la mobilisation est telle, que l’armée n’a d’autres solutions que de limoger Al-Bashir et prendre le pouvoir. Une manœuvre tout de suite contestée par les révolutionnaires qui vont exiger un gouvernement civil. Les féroces répressions n’y feront rien, l’armée est obligée de composer. Elle accepte la création d’un conseil de souveraineté composé de militaires et de civils, présidé par le général Burhan et un gouvernement civil dirigé par un économiste Abdallah Hamdok.

Ce gouvernement va doublement se fragiliser tant au niveau des militaires que de la population. D’un côté, il mène une politique d’épuration des militants islamistes dans la haute fonction publique et commencer à démanteler les structures financières de l’armée, de l’autre il applique une politique d’austérité imposée par le FMI et les gouvernements occidentaux. Les militaires vont utiliser la fatigue voire la rancœur populaire contre la politique économique et sociale de Hamdok pour s’emparer du pouvoir. Le général Burhan reste à la présidence du Conseil de Souveraineté et Mohamed Hamdan Dagalo dit Hemidti à sa vice-présidence.

Le bilan peu glorieux du pouvoir militaire

Depuis leur coup d’Etat du 25 octobre 2021, les putschistes n’arrivent pas à assoir leur pouvoir. Contrairement à ce qu’ils pensaient, le refus de la politique du gouvernement d’Abdallah Hamdok par la population ne leur a pas donné une assise sociale. D’autant que beaucoup ont en mémoire l’histoire du pays, coutumier des pouvoirs militaires oppressifs et corrompus.  

Les mobilisations ne faiblissent pas en dépit de la répression qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés et de prisonniers.

Pour tenter de sortir du blocage, les militaires ont initié une manœuvre. Dans leur déclaration de juillet 2022, ils se prononcent pour un gouvernement civil et la constitution d’un Conseil suprême sans réellement en préciser les contours. Cependant le ministre des finances a précisé1 que ce Conseil aurait pour mission de défendre la souveraineté du pays et à ce titre aurait en charge la Défense, les Affaires étrangères et le contrôle de la banque centrale du pays en d’autres termes l’essentiel des fonctions régaliennes de l’État.

Cette manœuvre n’a reçu aucun soutien significatif dans la société2 . Elle a pour but de tenter de faire porter la responsabilité du blocage aux opposants et de laisser un gouvernement civil gérer un pays exsangue au niveau économique. Le dernier rapport des Nations-Unis3 relate les estimations du FMI. Le produit intérieur brut réel ne serait que de 0.3 % et l’inflation serait de 245,1 % en 2022. Les prix moyens du sorgho et du millet ont augmenté respectivement de 150% et 250 % par rapport à 2021 et de 550 % et 650 % sur les cinq dernières années. Les pénuries d’électricité, de carburant, de denrées alimentaires et autres produits de base ont des conséquences dramatiques pour les populations les plus pauvres comme l’indique le rapport des Nations Unis précédemment cité :

 « On estime que près d’un quart de la population se trouve dans une situation de famine aiguë pendant la période de soudure, de juin à septembre. (…) Jusqu’à 11,7 millions de personnes (soit une augmentation de 2 millions) devraient être vulnérables, dont 3,1 millions en situation d’urgence. »

Un faible soutien du coup de force

Les putschistes s’appuient de plus en plus sur les militants islamistes4 . Sous l’ère d’Al-Bashir, la colonne vertébrale de l’appareil d’Etat mais aussi des entreprises publiques était constituée des adhérents et sympathisants islamistes du FNI. Ils suivaient ainsi une stratégie d’entrisme dans la haute administration prônée par son dirigeant Al-Turabi5 . Lors de la révolution beaucoup de ces hauts fonctionnaires ont été limogés. Progressivement avec le coup de force, ils ont été réintégrés dans leurs fonctions, démontrant ainsi que le gouvernement Burhane évolue dans le sillon tracé par Al-Bashir. Profitant de cette ouverture, les militants fondamentalistes se restructurent avec la création d’un parti : le Grand Courant Islamique6 .

Autres soutiens, plus étonnants de prime abord, sont certaines milices régionales qui ont combattu le pouvoir d’Al-Bashir. En effet, il n’a pas seulement mené une guerre contre le sud du Soudan devenu indépendant en 2011, il l’a menée aussi au Darfour, au Sud-Kordofan ou au Nil Bleu. Pendant de longues années, les populations ont subi les attaques des Janjawids dirigées par Hemidti au service d’Al-Bashir. Ils ont tenté d’opérer des véritables nettoyages ethniques contre certaines communautés. En réponse ces dernières ont constitué des groupes armés combattant les soudards d’Hemidti. Lors de la révolution de 2019, ces milices ont rejoint la coalition des forces du changement et participé au gouvernement civil d’Abdallah Hamdok. Djibril Ibrahim dirigeant du Mouvement pour l’Egalité et la Justice (MJE) reste toujours le ministre de l’économie et Minni Minawi, chef d’une faction de l’Armée de libération du Soudan (ALS) occupe encore le poste de gouverneur du Darfour. Comment expliquer que ces deux milices ont soutenu le coup d’Etat ? Plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés. D’abord, leurs dirigeants ne croient pas en la possibilité que des civils puissent conquérir le pouvoir et le garder du fait du poids de l’armée et de son histoire. Ensuite, Hemidti, l’ancien ennemi, a joué un rôle central dans la négociation avec ces deux milices. Il a misé sur la division entre Khartoum et la périphérie. Il a défendu l’idée que la révolution était dirigée par cette élite riveraine qui ne ferait que perdurer l’ostracisme dont sont victimes les populations de la périphérie. D’où l’idée de former un bloc composé des dirigeants issus de ces périphéries pour instaurer un rapport de force et, pourquoi pas, accéder un jour au pouvoir. Enfin, ces groupes ont été sensibles au fait qu’il fallait mieux se ranger du côté du plus fort, démontrant l’inconstance politique de la plupart des groupes armés de la région.

Un pouvoir hétérogène

Les divisions restent vives parmi les putschistes. La plus évidente est celle entre Burhan président du conseil, chef d’état-major militaire appartenant à l’élite du grand Khartoum, et Hemidti, vice-président, ancien chamelier, qui a réussi à transformer les janjawids en force paramilitaire, les Rapid Support Forces (RSF)7 . Ce pouvoir bicéphale est condamné à s’entendre du fait d’un rapport de force politique et militaire équilibré entre les deux dirigeants. Chacun d’eux a ses sources de financement. La hiérarchie militaire possède le plus grand établissement bancaire, la Omdurman National Bank, des entreprises de construction et agricoles8 . Les sources de financement des RSF sont les mines d’or9 , le rackett sur les migrants10 et le mercenariat au profit de l’Arabie Saoudite et les Etats Arabes Unis (EAU) dans leur guerre au Yémen11 .

D’autres divisions apparaissent au sein même de l’armée, la présence d’officiers islamistes proches du Congrès National issu du FNI, des unités particulières comme le National Intelligence and Security Service (NISS) agence de renseignement et police politique qui a une large d’autonomie avec des réseaux économiques spécifiques.

Cette hétérogénéité est source de faiblesse du pouvoir et d’instabilité. L’exploitation des faiblesses des uns par les autres ne doit pas franchir le niveau fatidique où l’ensemble de l’édifice du pouvoir pourrait s’effondrer. Chacun des protagonistes en est bien conscient.

Le Soudan au cœur d’une géopolitique

Les putschistes bénéficient de la mansuétude d’une grande partie des pays de la région. Deux jours avant le coup d’Etat, Burhane avait effectué un voyage en Egypte. Le feu vert donné par son puissant voisin a été décisif. Historiquement, l’Egypte est liée au Soudan puisque ce dernier était soumis à la colonisation dirigée par un condominium anglo-égyptien. Les armées des deux pays ont des liens très forts. L’Egypte a besoin du Soudan comme allié dans son contentieux avec l’Ethiopie à propos de l’utilisation des eaux du Nil avec la construction du barrage de la Renaissance. Un litige frontalier existe aussi entre le Soudan et l’Ethiopie qui revendique les terres fertiles de la zone d’Al-Fashaga. L’Arabie Saoudite et l’EAU, s’ils ont condamné le coup d’Etat, ne voient pas d’un mauvais œil un pouvoir central fort et autoritaire source de stabilité, élément d’importance pour ces deux pays. De plus ces deux monarchies du Golfe souhaitent continuer à bénéficier de l’aide des troupes des RSF dans leur guerre contre les Houthis chiites au Yémen.

Du côté des russes, ils tentent d’avancer leurs pions en ressuscitant un accord de principe obtenu à l’époque d’Al-Bashir pour l’installation d’une base militaire dans la ville de Port-Soudan.  Un lieu particulièrement stratégique :

« Port-Soudan est aux yeux de la Russie une position-clé́ au centre de la mer Rouge, corridor stratégique reliant la Méditerranée à l’océan Indien via le canal de Suez et le détroit de Bab-el-Mandeb, choke points12 où transitent 12 % du commerce mondial, et interface entre l’Afrique et le Moyen-Orient »13 .

De plus, la société Wagner est présente depuis 2017 au Soudan et, en alliance avec Hemidti, exploite des mines aurifères14 . La Russie apporte son soutien diplomatique à la junte.

Quant aux occidentaux, ils tentent d’imposer par la voie diplomatique leur solution. Une négociation avec les militaires permettant un retour à la situation antérieure avec de fait un partage du pouvoir entre militaires et civils. Une solution totalement rejetée par les révolutionnaires qui maintiennent leur mot d’ordre concernant la junte : « Pas de négociations, pas de partenariat, pas de légitimité. ». Évidemment, l’émissaire de l’ONU, Volker Perthes s’aligne sur la position occidentale provoquant l’ire d’une partie de la population15 .

Une auto-organisation qui bouscule les partis traditionnels

Il y a au Soudan deux grands partis historiques : le parti oumma et le parti unioniste. Leurs points communs sont nombreux. Au début, ces deux organisations étaient l’expression politique de confréries, la Khatmiya pour le parti unioniste et la Mahdiya pour le parti Oumma. Les mahdistes du parti Oumma ont mené une guerre d’indépendance victorieuse en 1885. Cette expérience prendra fin 13 ans plus tard avec la terrible répression menée par les troupes anglaises. Les mahdistes ont toujours prôné un Soudan indépendant alors que les partisans de la Khatmiya militaient pour une union avec l’Egypte comme solution d’indépendance d’où leur nom de parti unioniste.

Ces partis ont un caractère dynastique, leurs dirigeants ne peuvent être qu’issus de la famille Muhammad ibn Abdallah dit le Mahdi et pour les unionistes de la famille Mirghani, une des descendances du prophète Mahomet. En matière politique ils sont conservateurs, et libéraux au niveau économique. A part l’histoire et la concurrence d’appareil, sur le fond il n’y a pas de grande différence et dans le processus révolutionnaire ils n’ont pas joué un rôle moteur. Leurs dirigeants appartiennent à l’élite de Khartoum ce qui a facilité leur accession aux postes ministériels du gouvernement pendant la transition. Ils seraient prêts à accepter la médiation des Nations-Unis pour un retour à la situation antérieure s’il n’y avait pas la pression populaire.

La révolution de 2019 a vu apparaître des structures d’auto-organisation qui pour la plupart ont leur source dans les mobilisations précédentes. Ainsi l’Association des Professionnels du Soudan (APS) a été créée en 2012 et regroupe des métiers intellectuels comme les avocats, les universitaires etc. Son rôle a été décisif dans la révolution de 2019 et l’est toujours dans les mobilisations en cours.

En parallèle se développe une structure d’auto-organisation, les comités de résistances, présents dans les quartiers des grandes villes du pays. Beaucoup de leurs animateurs et animatrices avaient milité dans des organisations comme Girifna (Nous en avons assez), Al taghyr al an (le changement maintenant), Sharara (l’étincelle), ou Khalass (ça suffit) une structure présente dans la capitale régionale d’Al Qadarif, Gedaref.

Ces comités de résistances sont l’épine dorsale de la lutte contre le coup d’Etat de Burhan et Hemidti. Ces structures sont des lieux de mobilisation, de débat et de solidarité matérielle et se politisent au fur et à mesure de la lutte. Elles ont adopté une « charte de pouvoir populaire » résultat d’un long processus de discussion qui s’est déroulé à travers tout le pays. Le programme de cette charte défend les revendications démocratiques et de justice, et surtout détaille comment le nouveau pouvoir doit être exercé. L’idée principale est de favoriser un pouvoir populaire avec des structures de base qui décident et se coordonnent à l’échelle du pays. Cette charte est d’importance car elle propose une alternative politique aux tentatives de conciliation avec les putschistes.

Pour contrer les velléités d’entente avec la junte militaire, les Forces pour le Changement Radical, (FCR) se sont créées avec la participation de l’APS, d’organisations syndicales et de femmes ainsi que du Parti Communiste Soudanais qui a réussi au cours de son histoire à maintenir une influence certaine dans les mobilisations.

Les revendications féministes pendant la révolution sont centrales. La chute d’Al-Bashir est aussi en partie le résultat de la lutte pour les droits des femmes, niés pendant des décennies par l’alliance des militaires et islamistes.

Le mouvement féministe au Soudan a une longue histoire. Dès 1952 se formait l’Union des Femmes Soudanaises. Depuis, les luttes ont perduré en dépit des féroces répressions. Un manifeste féministe a été adopté par une cinquantaine d’organisations. Des manifestations ont été organisées contre les violences faites aux femmes avec notamment en ligne de mire l’article 146 de la Constitution soudanaise, qui autorise la lapidation des femmes coupables d’adultère.

Les luttes féministes se déroulent aussi à l’intérieur de la révolution contre les attitudes sexistes qui restent fréquentes. Ces batailles permettent ainsi de faire évoluer la société sur ces questions16 .

Une junte raciste et ethniciste

La construction d’un Soudan inégalitaire, composé d’une périphérie méprisée par l’élite d’un grand Khartoum est en partie la conséquence de la politique colonialiste anglaise. L’administration britannique a tenté d’empêcher la ferveur nationaliste de toucher la partie sud du pays en instaurant une séparation quasiment hermétique. Une fois le Soudan indépendant, cette élite riveraine n’a eu de cesse d’imposer sa vision à l’ensemble du pays. Des forces comme le Parti Communiste Soudanais et le SPLA de John Garang s’y sont opposés. Garang, le leader du sud du Soudan, n’avait d’ailleurs nullement comme dessein une sécession entre le sud et le nord mais un Soudan uni, multiconfessionnel, ouvert à tous. Après sa mort en 2005, ses successeurs tant Salva Kiir que Riek Machar se sont orientés vers une indépendance du Sud en se combattant pour la captation des ressources du nouveau pays.

Le venin de cet élitisme du grand Khartoum s’est propagé dans le Soudan actuel :

« Les périphéries du Soudan sont au cœur des conflits qui se succèdent dans le pays de manière quasiment continue depuis son indépendance en 1956. Leur rapport asymétrique avec un « pouvoir central » caractérisé par une centralisation extrême peut même être considéré comme la cause essentielle de ces conflits. L’incapacité du « centre » à mettre fin à cette asymétrie et à unir le pays explique aussi la longévité de ces conflits dans les « two areas » des monts Nuba et du Nil bleu, s’ajoutant au conflit du Darfour et conduisant à la séparation du Soudan du Sud en 2011. »17

C’est un des enjeux de la lutte révolutionnaire d’intégrer cette dimension anti élitiste et revendiquer une égalité de tous les citoyens et toutes les citoyennes et ce, quel que soient ses origines. Cette préoccupation chemine dans les consciences. Ainsi lorsque Al-Bashir en 2018 a accusé les manifestants d’être manipulés par les rebelles du Darfour, ces derniers lui ont répondu d’une voix « Nous sommes tous des Darfouris » 18 . Cependant cette idéologie ethniciste qui fait de certains citoyens, selon sa région, des citoyens de seconde zone continue à perdurer en dépit des efforts de la frange la plus consciente des révolutionnaires.

Renforcer le processus révolutionnaire

Le coup d’État n’a pas réussi, malgré la répression de la junte tout comme les manœuvres des pays occidentaux, à amoindrir la combativité populaire. Certes, certaines manifestations peuvent être plus ou moins massives, mais dans l’ensemble le degré de mobilisation reste élevé. Au fil du temps, une maturation politique se fait jour, les comités de résistance se projettent de plus en plus sur la scène politique au grand désespoir des partis traditionnels.

Il existe une synergie forte des différentes structures de luttes qui nourrissent la diversité de la révolution. Les révolutionnaires gagneraient à mener un travail de sensibilisation des soldats. Si la hiérarchie militaire, quelles que soient ses manœuvres, restera du côté du pouvoir, il n’en est pas de même pour les soldats de base. Ils sont issus pour la plupart des régions pauvres et sont souvent mésestimés, ils peuvent être sensibles aux discours de justice social. Au vu de la répression, tisser des liens n’est certainement pas chose facile mais pourrait s’avérer efficace pour la suite du mouvement.

On ne peut que regretter la faiblesse de la solidarité internationale. A ce jour, le Soudan reste le seul pays dont la population défend sa révolution. La solidarité internationale n’est pas à la hauteur. L’exemple à suivre et à amplifier est le travail mené en Grand Bretagne par différentes organisations19 . La solidarité devrait être plus conséquente surtout dans le camp occidental qui fait d’énormes pressions pour le retour au statut quo. Il y a donc nécessité de s’y opposer vigoureusement en portant la contradiction au sein même de ces pays.

Une victoire des révolutionnaires sur la base d’un programme de rupture tel qu’avancé par les comités de résistances ouvrirait une brèche dans la mise au pas du monde arabe et plus largement en Afrique.

En réponse au coup d’Etat d’Al-Bashir en 1989, Mohamed Wardi, un des grands chanteurs du Soudan, a composé la chanson « Rends-nous les clés du pays ». Trente ans plus tard, c’est par dizaines de milliers que soudanaises et soudanais ont repris cette hymne à leur compte, traçant la continuité d’un combat relaté dans ces vers20 :

Vers toi, le cortège s’avance

Devant toi, le peuple se serre et se dresse

Et il te dit « rends-les ! » (x2)

Rends-les, et tu ne les rends pas 

Y a-t-il un jour où tu as eu pitié de nous,

Pour que nous ayons maintenant pitié de toi ?

Rends les clés du pays (x3)

Rends-nous les robes et les foulards

Rends-nous les Corans et les chapelets de prière

Rends-nous les mosquées et les églises

Rends enfin les clés du pays !

Les trésors de nos ancêtres, rends-les nous,

Les esprits de nos enfants, rends-les nous,

Et nos propres fusils qui nous frappent,

Les fusils qui visent nos poitrines et nous appartiennent pourtant

Rends-les nous.

Rends-nous le temps perdu,

Ces années d’exil et de peine,

Les rêves que nous avons vécus,

Le rêve d’un pays si grand et qui meurt de faim,

Rends-nous enfin les clés du pays !

Où vas-tu fuir ? Dis-moi, où vas-tu fuir ? Où vas-tu fuir ?

Comment vas-tu fuir toute cette souffrance, et toute cette faim ?

Comment vas-tu fuir tes écoles coûteuses (ton éducation pour les riches) ? 

Comment vas-tu fuir un peuple qui t’a donné son lait et à qui tu n’as servi en retour

Que l’humiliation et la faim ?

Toi, qui irrigue le pays de poison !  

Comment vas-tu fuir ces souvenirs et leurs traînées de supplices et de souffrances ?

Comment vas-tu fuir le lait des mères et le jugement de Dieu ?

Comment vas-tu fuir quand tes deux mains sont trempées de sang ?

Et le sang dit, se joignant à nous : « rends-les nous ».

*

8 octobre 2022. Ce texte a d’abord été publié sur le site de la Quatrième internationale.

Paul Martial est responsable d’Afriques en Lutte et militant de la Quatrième Internationale en France.