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    Les bonheurs du théâtre populaire

    culture

    Lien publiée le 27 novembre 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Les bonheurs du théâtre populaire, par Marina Da Silva (Les blogs du Diplo, 25 novembre 2022) (mondediplo.net)

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    Photos : Philippe Caro

    Pousser la porte de la Belle Étoile, à La Plaine Saint-Denis, c’est entrer dans un espace de partage des utopies et des luttes dont le foisonnement d’affiches a enregistré les traces. Revendication de la libération de Georges Ibrahim Abdallah (1), soutien à la Palestine, manifestations féministes, des années 1980 et d’aujourd’hui, appels à la grève générale… La Compagnie Jolie Môme, qui fêtera ses quarante ans l’an prochain, y tient ses quartiers. Quand elle n’est pas dans la rue ou sur des piquets de grève avec ses drapeaux rouges et ses chansons. Le théâtre de La Belle Étoile, une ancienne salle des fêtes située dans un quartier ouvrier, aujourd’hui en pleine mutation, a été mis à la disposition de ce collectif d’artistes et de militants par la ville de Saint-Denis depuis 2004. Connus des habitants, ils ont construit un public, pour leurs propres spectacles et soirées cabaret, les débats et rencontres (notamment avec les amis du Monde diplomatique), et mènent une action d’éducation populaire en direction des enfants et adultes. Ils conduisent des maraudes pour les plus fragiles et des groupes comme Solidarité migrants Wilson ont aussi pu y trouver un abri. Une activité aujourd’hui menacée par des baisses de subventions drastiques qui coïncident avec le basculement du bastion communiste à une gestion socialiste, en 2020.

    Le spectacle actuel de la compagnie Jolie Môme, La Maladie Blanche, est une invitation à réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons et celui que nous voulons. Qui découvre le texte mettrait sa main à couper qu’il vient d’être écrit. Juste après la pandémie de Covid 19 qui a cloîtré une bonne partie du monde. Et au seuil d’une guerre aux portes de l’Europe. Mais il est daté de 1937 et signé de Karel Čapek (publié aux Editions la Différence en 2011, dans la traduction d’Alain van Crugten). Peu monté en France (sinon récemment pour La Guerre des Salamandres, par Robin Renucci), Karel Čapek est un auteur majeur en Tchécoslovaquie, considéré comme un précurseur de la science-fiction et apprécié pour son œuvre polémique et novatrice pleine de dérision et d’humour, pouvant friser le cynisme et l’absurde (2)

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    Photo : Philippe Caro

    La Maladie Blanche est sa dernière pièce, mise en scène au Théâtre national de Prague en 1937, juste avant sa mort en 1938. Il y est question d’ « Une pandémie venue de Chine (qui) frappe les quinquagénaires et perturbe les plans guerriers d’un Dictateur ». Et à laquelle un pouvoir dont le système de soins bureaucratique et incompétent est pris à défaut répond par l’enfermement des malades. Une foule de personnages et de lieux sont distribués dans ce drame en trois actes et quatorze tableaux que la compagnie a resserré sans rien changer, sinon le nom d’un des protagonistes, le docteur Galén qui devient ici Bougalen pour souligner son origine étrangère. Il sera le seul à chercher et trouver un véritable remède mais n’est disposé à le délivrer qu’aux indigents. Pour tous les autres, marchands de canons, conseillers d’État et dictateurs en tout genre, la guérison aura un prix auquel ils ne peuvent accéder. « Faire la guerre à la guerre » et s’engager pour la paix : Bougalen a été médecin dans les tranchées (tout comme le père de Čapek), ce qui a forgé sa détermination et ses convictions, qu’il assumera jusqu’à la mort.

    Cette fable philosophique porte un regard visionnaire sur une période historique du capitalisme et sa transformation entre les deux guerres mondiales. Mesures liberticides, montée des nationalismes, pouvoir politique en décomposition… Elle fait écho à la crise économique et sociale d’aujourd’hui dont se saisit la Compagnie Jolie Môme avec effroi mais aussi jubilation, pour transformer la peur et la passivité en puissance d’agir. Avec cette troupe inventive et partageuse — on ne connaîtra ni le nom des comédiens ni celui du ou de la metteur(e) en scène —, tout est pensé et construit en collectif, mise en scène, décors, costumes. Les interprètes n’ont pas de personnage attitré, changeant de genre, d’accessoires et de voix, à vue, dans un rythme enfiévré. Ils explorent aussi bien le théâtre brechtien que la commedia dell’arte, grossissant le trait et les gestes, accentuant ou dynamitant les codes sociaux. On est impressionné par leur énergie et leur talent car ils sont aussi chanteurs et très bons musiciens, passant à tour de rôle et d’envie de la contrebasse au clavier ou à la batterie.

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    Photo : Benoite Fanton

    Au Studio Théâtre de Stains, fondé en 1984 par Marjorie Nakache et Xavier Marcheschi, auxquels se joint ultérieurement Kamel Ouarti, on est aussi dans un lieu de création et de vie, soutenu par la Ville, où les artistes font du théâtre pour et avec la population, habitants, élèves, associations. Après une mise en scène subtile d’une adaptation pour marionnettes des Confessions de Jean-Jacques Rousseau par Xavier Marcheschi (reprise en mars 2023), Marjorie Nakache met actuellement en scène le roman de Samira el Ayachi, Les femmes sont occupées (Les éditions de l’Aube, 2019). Gabrielle Cohen et Farida Ouchani en interprètent tous les personnages dans une scénographie qui ouvre des espaces imaginaires, loin de toute représentation réaliste. La « femme occupée » du récit est une autrice qui, en pleine séparation, chargée de la garde de son enfant, veut absolument continuer à écrire : mais toute la société la pousse à se sacrifier. Un schéma classique mais qu’elle n’accepte pas. Une histoire nourrie de témoignages, de femmes, mais également d’hommes et d’enfants, recueillis auprès d’habitants de Stains et de Lille, dans une démarche de partage en amont et tout au long des représentations, caractéristique du travail artistique de la compagnie. Des récits intimes et collectifs portés par une parole chorale qui tous laissent apparaître que quel que soit son statut social, chaque femme a besoin de cette « chambre à soi » dont parlait Virginia Woolf.

    « La Maladie blanche »
    Compagnie Jolie Môme

    Les vendredi samedi et dimanche, jusqu’au 18 décembre.
    La Belle Etoile, 14, rue Saint Just, La Plaine-Saint-Denis
    Tél. : 01 49 98 39 20

    « Les femmes sont occupées »
    Studio Théâtre de Stains

    Jusqu’au 16 décembre
    Studio théâtre de Stains 19, rue Carnot, 93240 Stains
    Tél. : 01 48 23 06 61