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Michael Connelly : dans la froideur de la nuit (Les Ténèbres et la nuit)
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Michael Connelly : dans la froideur de la nuit (Les Ténèbres et la nuit) (diacritik.com)
es Ténèbres et la nuit, titre du nouveau roman de Michael Connelly, c’est l’univers de Renée Ballard, inspectrice au LAPD, qui patrouille tous les soirs, en solitaire ou avec une équipière imposée davantage motivée par ses prochaines vacances que par l’enquête en cours et encore moins préoccupée par le sort des victimes des « Hommes de Minuit ».
Michael Connelly retrouve et ressert Ballard, Harry Bosch et l’ombre de Mickey Haller, cette fois à la veille du Nouvel-An, quelques jours avant l’attaque du Capitole par les supporters chauffés à blanc de Donald Trump. Au cœur de la nuit, le Los Angeles Police Department est en proie aux réductions d’effectifs, à la désaffection du public (la mort de George Floyd et l’usage excessif de la force y sont pour beaucoup). Même si la ville vit au ralenti et au rythme des confinements successifs et de la peur du virus, la criminalité ne baisse pas pour autant.
Pire, depuis quelques semaines, un duo de violeurs sévit sur le secteur de la division d’Hollywood sans qu’aucune piste sérieuse ne permette aux forces de l’ordre d’envisager une arrestation prochaine. Renée Ballard et Lisa Moore sont sur cette enquête, avec l’équipe des crimes sexuels, mais le mode opératoire, l’aléa des agressions et l’absence de preuves compliquent la tâche des enquêtrices et des enquêteurs. La ville exige des résultats, malgré le manque de moyens, malgré la démotivation des troupes, malgré le machisme des responsables et la morgue des supérieurs hiérarchiques. À l’instar de Dennis Lehane qui rend grâce à Boston, Michael Connelly célèbre une ville en plaçant ses intrigues au cœur de LA et dans les precincts de West Hollywood ou les travées des tribunaux et les rues et les highways de la mégapole californienne.
De livre en livre, Michael Connelly rend hommage autant qu’il chronique un certain état des lieux de la ville de Los Angeles et de la police angelino. Il attache une attention particulière à la chronologie, les personnages de ses romans vivent, viennent, reviennent, meurent, tissant au fil du temps une trame narrative qui se nourrit des enquêtes et des histoires déployées. Dans le jargon de la série télé, on parlerait de crossover et Les ténèbres et la nuit est un de ceux-là : si le personnage central est l’inspectrice Renée Ballard, dont Michael Connelly détaille un peu plus le caractère, les envies et les failles, l’irruption d’Harry Bosch et de son passé (Ballard le tance en lui reparlant de ses enquêtes privées pour le demi-frère d’Harry, Mickey Haller) déplace l’équilibre de l’histoire.
Aparté : pour l’amateur de polars (livresques ou télévisuels), parce qu’il a construit un véritable univers, peut-être une deuxième Los Angeles criante de réalisme, Michael Connelly pourrait se vanter d’avoir su créer un métaverse qui ringardise rien moins que la production sérielle des années 60 aux Experts Vegas (ou Miami) qui ont plié le game. Jusque-là, on pouvait suivre les aventures d’un lieutenant Columbo inspecteur de la brigade criminelle à Los Angeles, contemporain de Frank Cannon, Mannix, Matt Helm et les Drôles de Dames lors de leur passage à l’académie de Police… des contemporains qui œuvraient et enquêtaient dans la cité des Anges sans jamais se croiser et encore moins se rencontrer et s’entraider. Chez Connelly, les protagonistes se croisent et interagissent, de livres en livres, d’enquêtes en enquêtes.
Les Ténèbres et la nuit se lit comme chaque Connelly : d’une traite et en apnée, en retenant son souffle autant que le personnage central, Renée Ballard, prise entre ses décisions, ses contradictions, ses doutes et ses aspirations. Presque mélancolique quand il s’agit de ramener un Harry Bosch vieillissant sur le devant de l’enquête, Connelly déploie une intrigue sans temps mort avec précision et acuité. Entre la rigueur documentaire, l’absurdité du monde pointée comme jamais (la misanthropie de Bosch finira-t-elle par gagner Ballard ?) et les combats longs à gagner (machisme et plafonds de verre règnent en maîtres), Les Ténèbres et la nuit est un livre où le féminin l’emporte (pour une fois) sur le masculin, avec une héroïne à l’empathie sans borne envers des victimes bien seules face à la violence faite aux femmes.
Michael Connelly, Les Ténèbres et la nuit, traduction de l’américain par Robert Pépin, 450 p., Calmann-Lévy Noir, septembre 2022, 22 € 50 — Lire un extrait