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Le messianisme de Thomas Munzer

histoire

Lien publiée le 5 février 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Le messianisme de Thomas Munzer - Chroniques critiques (zones-subversives.com)

Une révolte sociale éclate dans l'Allemagne de 1525. Le féodalisme déclinant s'accompagne de l'émergence du portestantisme. Thomas Munzer, figure de cette guerre des paysans, relie la lutte des classes et le messianisme révolutionnaire.

Thomas Münzer relie religion et révolution au XVIe siècle. Ce théologien rallié à Luther dirige le soulèvement armé qui traverse l’Allemagne en 1525. Il se dresse contre le clergé et les seigneurs féodaux. Cette insurrection regroupe des ouvriers des mines, des paysans et des hommes ordinaires. Friedrich Engels se penche sur cette révolte dans son livre La guerre des paysans, publié en 1850, qui fait écho aux révolutions de 1848. Peu après la révolte spartakiste de 1919, en 1921, Ernst Bloch publie son Thomas Münzer, théologien de la révolution.

Ce livre reste central dans la réflexion d’Ernst Bloch sur l’utopie, le désir et l’espérance. Même si Engels se penche sur Thomas Münzer et la guerre des paysans, les marxistes critiquent l’idéalisme du théologien et sa métaphysique spéculative. Au contraire, le marxisme d'Ernst Bloch se démarque du réductionnisme focalisé sur l’économie. Il critique le rationalisme abstrait du marxisme vulgaire et sa conception du changement historique par étapes successives.

                   

Guerre des paysans

Le prédicateur Thomas Münzer sillonne l’Allemagne dans les années 1520. Ses prêches ne visent pas tel ou tel individu mais condamnent toute forme de servitude et d’exploitation. Enflammés par ses sermons contre les idoles, des Allstedtois saccagent une chapelle de la Vierge. Luther est même accueilli à coups de pierres lorsqu’il se montre dans la paroisse de Karlstadt. Thomas Münzer s’exprime en allemand alors que Luther n’ose pas se démarquer de la Messe en latin. Les deux théologiens adoptent également des approches politiques différentes. Luther décide de se montrer accommodant avec les puissants et les gouvernements pour mieux légitimer son entreprise de réforme protestante.

Au contraire, Thomas Münzer ne cesse de dénoncer l’injustice imposée par les gouvernants. Il estime que même Luther contribue à affadir la foi chrétienne. Cependant, l’influence du prédicateur populaire commence à inquiéter les gouvernements. « Münzer n'exerçait pas seulement sa propagande et son effort d’organisation auprès des paysans, mais plus encore auprès des ouvriers mineurs en état de porter les armes ; son réseau de sapes explosives s’étendait chaque jour », décrit Ernst Bloch.

Les grands barons impériaux se transforment en princes quasi indépendants. Ils représentent la centralisation locale et provinciale au sein d’un Empire morcelé. L’empereur n’incarne plus l’État mais devient un simple prince d’Empire parmi d’autres. Ensuite, les armées de mercenaires et la bureaucratie fastueuse deviennent coûteuses. Le besoin d’argent devient plus important que l’expansion commerciale. Les princes renforcent leurs surprofits et exploitent davantage les paysans. Cependant, la population accepte de courber le dos.

La révolte ne s’explique pas uniquement par des causes économiques mais comprend également une dimension subjective. « A l’encontre des événements économiques ou en parallélisme avec eux, on voit toujours agir, non seulement de libres décisions volontaires, mais aussi des structures spirituelles d’une importance absolument universelle et auxquelles on ne peut dénier une réalité au moins sociologique », observe Ernst Bloch.

Les révoltes du XVe siècle semblent également influencées par l’Anabaptisme et par les utopies millénaristes. Les paysans se considèrent comme des humbles dont la condition semble similaire à celle des disciples du Christ. Surtout, l’anabaptisme porte également le projet d’une mise en commun des terres. Cette perspective annonce le courant des Niveleurs, dans la Révolution anglaise de 1648, qui propose une complète égalité politique.

Cette révolte des paysans est incarnée par la personnalité de Thomas Münzer. Le dirigeant social-démocrate Karl Kautsky insiste sur son enthousiasme mystique et sur sa force d’action révolutionnaire. Même si Thomas Münzer ne se distingue pas par ses talents d’organisateur. Mais il parvient à relier la théologie et le projet révolutionnaire. « Dans son idée de la révolution, prolétariat et millénarisme, dressés comme les deux cariatides du royaume communiste, constituaient un mélange qui n’était pas inoffensif », souligne Ernst Bloch.

         

Théologie révolutionnaire

L’Église devient progressivement une institution. Le clergé joue un rôle central dans l’empire carolingien. Néanmoins, l’Église apparaît également comme une communauté de croyants avec une force éducative et une vertu d’unification. « Cette réalité est encore très proche dans les grandes utopies sociales de la vie meilleure, par exemple chez Saint-Simon où elle apparaît avec une parfaite clarté, mais en même temps sur le mode le plus décevant », estime Ernst Bloch. Les utopies socialistes évoquent la communauté égalitaire des premiers chrétiens. Les militants socialistes prétendent également éduquer les masses pour les guider vers un monde meilleur, à l’image des prêtres et des religieux.

Le protestantisme entend reprendre le radicalisme des premiers Chrétiens. Cependant, cette exigence éthique devient vide de sens. Le communisme de l’amour et le droit naturel absolu disparaissent pour réduire la religion à la rigueur morale. « Le radicalisme va se "légaliser" dans cette éthique professionnelle de type petit-bourgeois qui est commune à tous les Protestants », ironise Ernst Bloch.

Luther prêche l’ascétisme et la vie simple pour mieux faire accepter leur misère aux paysans. Le culte du travail, de la souffrance et du sacrifice permet de se soumettre à l’exploitation. Au contraire, Thomas Münzer dénonce la souffrance du travail et attaque directement la domination de classe des grands seigneurs. « Tant que ces gens seront vos maîtres, on ne peut pas vous parler de Dieu », lance Thomas Münzer aux mineurs. La libération intérieure de la religion passe par la libération extérieure contre le système d’exploitation.

La révolution apparaît comme un moment messianique qui doit apporter « le Royaume de Dieu sur Terre ». La Bible évoque l’Apocalypse qui correspond à ce moment révolutionnaire. « Le monde de la foi n’annonce que les premières lueurs de l’Apocalypse, et c’est dans l’Apocalypse même qu’il trouve son ultime mesure, le principe métapolitique, voire métareligieux, de toute révolution, l’irruption de cette liberté qui appartient aux enfants de Dieu », interprète Ernst Bloch.

Le théoricien marxiste estime même que les nombreuses révoltes qui traversent l’histoire annoncent une révolution inéluctable. Le monde de la bourgeoisie ne peut que s’effondrer. « Un dynamisme interne l’entraîne à la perte de ses propres forces, en direction d’un horizon constructif, ouvert à tous les opprimés, à toutes les victimes de tous les mensonges accumulés depuis la Guerre des paysans et le gothique tardif, à tous les impératifs de la volonté absolue », annonce Ernst Bloch. Il dresse une continuité entre les hérésies religieuses et les révolutions qui secouent le capitalisme en Russie et en Allemagne entre 1917 et 1919.

Marxisme et messianisme

Ce livre sur Thomas Münzer permet d’appréhender la démarche singulière d’Ernst Bloch. Ce penseur révolutionnaire se démarque du marxisme orthodoxe, avec son déterminisme et son réductionnisme économique. Ernst Bloch propose une véritable analyse de classe de l’Allemagne des années 1520. Il décrit les rapports de pouvoir, avec des féodalités locales qui exploitent davantage les paysans pour financer leur administration et leur armée. Ernst Bloch n’élude donc pas les conditions matérielles de la révolte.

Mais il insiste également sur la dimension subjective pour expliquer les soulèvements. L’exploitation peut devenir plus violente et la misère peut s’approfondir, mais les luttes sociales ne s’expliquent pas uniquement par les fluctuations des courbes de croissance économiques. Les révoltes portent une subjectivité et un souffle révolutionnaire particulier. C’est à cette dimension que s’attache Ernst Bloch à travers le messianisme de Thomas Münzer.

Ernst Bloch propose également une véritable réflexion sur la religion. Il ne se contente pas de postures idéologiques qui réduisent la spiritualité à l’opium du peuple ou, au contraire, au langage qui relie les opprimés. Il diffère nettement du marxisme orthodoxe sur cette question. Ernst Bloch se lance dans un véritable débat théologique. Il propose une critique féroce du protestantisme et de l’interprétation dominante de la religion imposée par les institutions. La religion valorise le culte du travail, la souffrance et le sacrifice. Ce qui permet de mieux faire accepter une vie de misère aux exploités qui n’ont que l’au-delà pour espérer.

Mais Ernst Bloch présente également une autre interprétation des textes sacrés. Un messianisme révolutionnaire vise à apporter « le Royaume de Dieu sur Terre ». Le message religieux vise à la libération pour former une communauté d’égaux. Il s’oppose même à l’autorité des religieux. Il est facile de trouver des textes sacrés qui vont dans ce sens. Néanmoins, cette interprétation demeure marginale. Elle provient surtout des hérésies et de courants minoritaires au sein des religions. L’interprétation dominante de la religion débouche en réalité vers une soumission à l’ordre existant.

Le messianisme d’Ernst Bloch insiste également sur l’espérance et l’utopie révolutionnaire. Sa pensée permet de se projeter au-delà de la simple gestion de l’existant et d’une banale amélioration de l’exploitation à travers un programme de réformes sociales. C’est la grande force du messianisme révolutionnaire. D’autant plus que l’approche semble moins pessimiste et résignée qu’un Walter Benjamin beaucoup plus à la mode dans une gauche radicale plongée dans le défaitisme.

Mais l’espérance révolutionnaire ne doit pas déboucher vers l’attentisme. La perspective d’un soulèvement spontané des masses doit également s’alimenter par des luttes concrètes et immédiates. Même si les mouvements sociaux ne doivent pas non plus perdre de vue la perspective de rupture et l’horizon révolutionnaire d’une société radicalement nouvelle.

Source : Ernst Bloch, Thomas Münzer, théologien de la révolution, traduit par Maurice de Gandillac, Amsterdam, 2022

Extrait publié sur le site de la revue Contretemps

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Julien Théry, Religion et révolution sociale : Thomas Müntzer et la guerre des paysans, émission diffusée sur Le Média TV le 1er mai 2022

Vidéo : Christianisme et révolution : les écrits de Thomas Müntzer (1490-1525), conférence diffusée sur le site Les rendez-vous de l'Histoire le 9 octobre 2021

Radio : Thomas Müntzer et la guerre des pauvres, diffusée sur France Inter le 1er juillet 2019

Thomas Münzer, théologien de la révolution, paru dans lundimatin#348, le 23 août 2022

Le messianisme révolutionnaire selon Ernst Bloch Thomas Münzer, théologien de la révolution, publié sur le site du journal L'Humanité le 21 mai 2012

Jean-Guillaume Lanuque, Compte rendu publié sur le site de la revue Dissidences le 26 mars 2014

Igor Martinache, Compte rendu publié sur le site Liens Socio le 1er novembre 2022

Gilles Bounoure, Compte rendu publié sur le site de l'Hebdo Tout est à nous ! n°148 le 10 mai 2012

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Kévin Boucaud-Victoire, Thomas Müntzer : aux origines du communisme libertaire chrétien, publié sur le site de la revue Limite le 25 septembre 2015

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Robert Paris, Qui était le révolutionnaire Thomas Münzer ?, publié sur le site Matière et Révolution le 24 novembre 2016