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    Frédéric Lordon : "Une grève reconductible causant un choc économique : Macron donne la méthode !"

    Lordon

    Lien publiée le 16 mars 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    VIDEO. Frédéric Lordon : « Une grève reconductible causant un choc économique : Macron donne la méthode ! » (revolutionpermanente.fr)

    « Je ne sens pas de colère », a déclaré Macron au Salon de l’agriculture à propos des retraites. A l’évidence, du côté de l’état d’enfermement du dirigeant, ça ne s’améliore pas.

    C’est même en train de prendre un tour très inquiétant. Un article de L’Opinion, pourtant le journal du Medef, explique « Pourquoi Macron ne cèdera pas », et nous livre quelques indications vertigineuses : « Le seul scénario où il lâchera, c’est si Paris est en feu » – c’est un proche de Macron qui parle. « Cela ne peut être qu’un scénario extérieur, un mort dans une manifestation » renchérit un conseiller.

    Nous sommes matérialistes, nous savons que la psychologie ne fait pas la politique : ce sont les structures. Mais la psychologie retrouve sa part quand, parmi les structures, il en est qui concentrent au plus haut degré le pouvoir dans les mains d’un seul, et que celui-là est un forcené.

    Que peut devenir la politique dite « démocratique » quand elle est aux mains d’un personnage comme celui-ci pour qui le fléchissement se monnaye aux prix du chaos, et même de manifestants morts ? Cet individu est la violence du capitalisme concentrée et personnifiée. Il la répand dans toute la société.

    L’ironie, toutefois, avec les destructeurs inconscients, c’est que, ne connaissant aucune limite, ils poussent la destruction si loin qu’elle finit par leur revenir dessus. Nous en sommes à un point où même une partie de la bourgeoisie commence à contempler, effarée, le cinglé qu’elle a porté au pouvoir, ainsi que le spectacle du scandale général. Déjà circule l’angoisse que l’impasse où, par extrémisme, s’est enfermée la macronie radicalisée ne conduise à une crise de régime.

    Je dis tout ceci parce que la domination porte souvent les dominés à sous-estimer la fragilité du camp d’en face. Or, en face, si ça n’est pas encore tout à fait apparent, ça commence à se lézarder. Ça n’est pas maintenant qu’il faut lâcher.

    Je dis tout ceci également parce qu’on ne peut pas sans ces éléments se débarrasser des illusions qui font les impasses stratégiques.
    Et je le dis enfin parce que l’heure de vérité approche – et elle approche pour tout le monde : pour le pouvoir, pour l’Intersyndicale, pour les travailleurs.

    Lorsque la loi aura été votée, et que Macron nous tirera un ultime bras d’honneur, que pourra donc faire l’Intersyndicale – à part constater que sa méthode reposait sur des hypothèses de décence démocratique toutes absolument fausses. Que cette méthode n’a donc plus de pertinence. Et qu’il faut passer à autre chose.

    Or nous savons très bien à quoi. C’est même le forcené en personne qui nous l’indique, dixit un de ses conseillers : « Un pays à l’arrêt, c’est-à-dire une grève reconductible qui produirait un choc économique ». Avec une invitation pareille, qu’est-ce que l’Intersyndicale attend ? Est-ce qu’il lui faut un Bristol en plus du mode d’emploi ? Aura-t-elle la ressource de se sauver de l’inanité – et nous de la défaite ?

    Par exemple : quand sera-t-elle capable d’ajouter à la lutte contre la réforme la lutte pour le pouvoir d’achat – la revendication, impérieuse, transversale, unificatrice, celle qui jettera tout le monde dans le combat globalisé.

    Les parcours de manif s’en déduisent : par le siège du Medef, par McKinsey, Bercy, LVMH. Assez en tout cas de République-Nation !

    En réalité, pour savoir à quoi passer, encore faut-il savoir qui se passe, et puis avoir le désir d’en faire quelque chose. C’est très simple : il se passe que ça suffit. Pas juste : la réforme des retraites ça suffit. Ça suffit plein d’autres choses. En fait, ça suffit tout.

    Faire quelque chose de ça commence alors par poser quelques robustes affirmations préemptives :
    Par exemple : si le gouvernement pense s’en tirer par la seule procédure législative, s’il veut nous faire avaler qu’éviter le 49.3 aura été un triomphe démocratique, nous lui disons : ça ne marchera pas.

    Si quelque direction syndicale lorgne du côté d’un petit arrangement négocié qui permettrait de sauver la face à tout le monde, genre « Allez 63 ans, avec en prime une grande conférence sur le travail, et promis on se revoit dans 18 mois pour faire un bilan » : ça ne marchera pas.

    En réalité, il n’y a plus rien qui va marcher. Après des décennies d’agressions, après 6 ans de macronisme forcené, le désir de tout bousculer monte dans le pays. Qui commence à en avoir soupé de demander poliment, qui commence à en avoir soupé des bonnes manières. Les bonnes manières, c’est comme tout le reste : maintenant ça suffit.

    Parmi les choses à bousculer il y a donc aussi le Syndicat des bonnes manières. On y trouve tous ceux qui, ayant des intérêts variés au maintien de l’ordre des choses, ont intérêt à ce qu’il n’y ait aucun éclat de voix, aucun écart de conduite. C’est que les bonnes manières supposent toute une série de problèmes déjà résolus, d’options déjà tranchées, c’est-à-dire de conflits déclarés classés, quand ils n’ont pas été forclos, pour qu’on n’y revienne plus, et que dans cette harmonie décrétée tout le monde puisse demeurer bien sage et le petit doigt en l’air.

    Dans le syndicat des bonnes manières, on trouve les capitalistes évidemment, la classe politique institutionnelle (pas tout entière, heureusement), et, ça va sans dire, les éditorialistes, la voix de leurs maîtres, l’équivalent audiovisuel de Nadine de Rothschild. A chaque manifestation, le syndicat des Bonnes manières veille, sur TF1 ou BFM, à la recherche d’une poubelle en feu ou d’un bris de vitrine dans un coin.

    Malheureusement, il faut le dire, dans le syndicat des bonnes manières, on trouve aussi, et ça n’est pas une tautologie, des syndicalistes, en tout cas des chefs. Incapables, par exemple, d’articuler « Mettre l’économie à genoux ». Parce que c’est mal élevé. Or quand l’économie est à genoux, contrairement à ce que blatère ce pitre de Gabriel Attal, ce ne sont pas « les Français » qui sont à genoux : c’est le capital. Et quand le capital est à genoux, ce sont les travailleurs qui se redressent.

    Disons-le : le syndicat des bonnes manières se dirige vers la même crise terminale que le monde dont il est l’ornement. Plus personne n’est enclin à écouter ses réprimandes. Dussopt, tout le syndicat des bonnes manières derrière lui, s’émeut de voir sa tête en effigie sur un ballon. Il serait bien content de n’avoir droit qu’à ça s’il savait la réalité des sentiments dans lesquels la population le tient, lui et ses semblables, de quel désir d’aller les chercher ils sont l’objet.

    Quant aux ministres assassins, je ne sais pas s’il y en a, mais je sais qu’il y a des politiques criminelles. Oui, il y a crime quand des gens meurent sur des brancards dans des urgences démolies. Il y a crime quand des mioches à bronchiolite doivent être transportés en train faute de soins sur place. Il y a crime quand on se suicide dans son école, dans son hôpital, dans son tribunal. Et s’il n’y a pas crime il y a au moins infamie quand un Français sur quatre ne mange plus à sa faim.

    Dans sa tête emmurée, Macron, comme tous les libéraux fanatiques, a rêvé de son moment Thatcher, rêvé de la réforme qui définitivement brise l’échine du travail, et fait entrer dans le panthéon international du capitalisme. Erreur : fallait pas.

    Il fallait pas, parce qu’avec les retraites, tout est en train de dégringoler en avalanche. C’est d’ailleurs une bénédiction : d’un coup se rouvrent toutes les questions forcloses. Le travail : organisé par qui ? au profit de qui ? avec quel sens ? La production : au service de quelles finalités ? dans quelles conditions ? La production, donc le climat : au prix de quelles destructions ? de quels périls pour la survie de l’humanité ? Et c’est d’un coup le sens entier de notre forme de vie sociale qui se trouve mis en question.

    Au moment où il est hors de doute que le pays entre dans une de ces phases où, possiblement, une part de son destin se renégocie, la seule question sur la table est : qui veut se saisir de la situation et qui ne veut pas ? qui veut faire quelque chose de cette énergie en train de se lever et qui veut l’étouffer ? qui veut ouvrir une possibilité et qui veut conserver la fermeture ?

    Nous avons traversé un long hiver, de plusieurs décennies – un hiver d’agressions, de reculs, de résignations, de désespérances aussi. Nous avons traversé un long hiver, mais maintenant c’est terminé. Nous aurons notre printemps, et au printemps, comme on, sait, il y a un mois de mai.

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