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CGT : une nouvelle direction mais une crise qui perdure
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CGT : une nouvelle direction mais une crise qui perdure | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)
Le 53e congrès a été qualitativement différent des précédents, comme le laissaient présager depuis plusieurs mois les prises de positions critiques de l’orientation de la direction qui circulaient, portées par un certain nombre de fédérations et d’unions départementales, assorties de candidatures au secrétariat général de le confédé, opposées à celle de Marie Buisson, mise en avant par Philippe Martinez, le secrétaire général sortant.
Une entrée en matière chaotique
Dès l’accès dans l’enceinte du congrès, un premier incident se produit avec le blocage de délégués de la Fédé commerce non validés. La gestion lamentable des premiers votes, la tribune refusant de procéder à un décompte des voix alors que les résultats étaient manifestement serrés, va donner lieu à une série d’affrontements imprévus. Un comptage est imposé après un envahissement bien organisé de la tribune. La composition de la commission des mandats, sans intégration de déléguéEs volontaires supplémentaires, est validée de justesse par 416 voix pour et 407 contre et 89 abstentions. Le règlement intérieur n’est adopté largement que grâce au retrait du passage qui imposait le respect des « critères définis par CCN » pour l’élection de la future commission exécutive confédérale. En effet, le CCN demande depuis deux congrès aux fédérations et UD qui proposent des candidatEs d’en présenter au moins deux, un homme et une femme, sans quoi il est très difficile pour le CCN d’établir une liste paritaire ensuite. L’UD des Bouches-du-Rhône, qui présentait Olivier Mateu, a refusé de remplir ce critère. Si l’amendement se référant aux « critères définis par le CCN » avait été maintenu au règlement intérieur du congrès, les congressistes n’auraient pas pu ajouter Olivier Mateu à la liste des candidats. L’élargissement de la commission d’amendement du document d’orientation est largement adopté, permettant l’intégration de délégués « critiques ».
La direction a choisi d’envoyer Marie Buisson à la tribune pour introduire le débat, alors que la tradition et l’usage auraient voulu que ce soit le secrétaire général sortant, Philippe Martinez, qui assume cette tâche. L’objectif était clairement d’imposer son élection comme une formalité. Son introduction aux débats s’est déroulée dans un climat étonnement serein. Une intervention consensuelle mais qui reprend tout de même la plupart de thèmes d’actualité ou en débat. D’abord des rappels dénonçant le capitalisme, système d’exploitation des hommes, des femmes et des ressources. Ensuite un tour du monde pour affirmer le soutien de la CGT aux peuples notamment en Palestine, en Turquie, aux kurdes et exiger le retrait des forces militaires russe d’Ukraine. Sur la situation en France une dénonciation radicale autour des conditions de travail, des salaires, des attaques contre les travailleurEUSEs immigréEs. Et bien sûr l’engagement dans la mobilisation contre la réforme des retraites, contre les violences exercées sur les manifestantEs. Sans oublier les mobilisations sur l’urgence climatique, là aussi malgré la répression notamment à Sainte Soline. La construction de la CGT est évoquée avec la nécessité de la formation, du renforcement des Union locales et la défense des bourses du travail. Et une place importante pour la lutte contre les discriminations sexistes, les violences sexistes et sexuelles avec plusieurs références à a la sororité. En conclusion un appel à poursuivre, à amplifier la mobilisation contre la réforme des retraites par la grève si possible reconduite, pour des manifestations massives avec les revendications de la CGT (32 heures hebdomadaires, retraite à 60 ans et 55 pour les métiers pénibles).
Un coup de tonnerre
Le lendemain, au retour de la manifestation à laquelle participaient les congressistes, la prise de connaissance de la déclaration de Martinez rejoignant Berger dans la demande d’une médiation dans la mobilisation en cours va contribuer à plomber l’ambiance des débats de l’après-midi et aboutir à une conclusion totalement imprévue, inédite : le rapport d’activité est rejeté par 50,3% contre et 49,7% de pour. Lors du 52e congrès, alors que le score de la direction sortante était déjà historiquement bas, le rapport était encore approuvé par plus de 70% des mandats. La dégringolade est donc vertigineuse.
Une opposition existait depuis des années des fédérations et unions départementales porteuses de l’adhésion à la FSM et de la candidature d’O. Mateu, grâce auquel elle a gagné en visibilité. À côté de celle-ci, s’était constituée dans les mois qui ont précédé le congrès une autre galaxie oppositionnelle, autour de la candidature de Céline Verzeletti, co-secrétaire de l’Union Fédérale des Syndicats de l’État et membre du bureau confédéral sortant. Elle regroupe notamment de très grosses fédérations comme celle des cheminots, des services publics (fonctionnaires territoriaux), des mines-énergie. Et s’y retrouvent plusieurs courants politiques : POI, PCF tendance Roussel, dont Laurent Brun, responsable de la fédération des cheminots, est un fervent partisan. Ces structures sont globalement positionnées « à gauche » de la direction sortante (si l’on omet leurs positions sur le sexisme, l’internationalisme et l’écologie…), mais ne sont pas parvenues, ou n’ont pas voulu, définir une orientation alternative. Plus hétérogène que la première, mais aussi plus nombreuse, cette dernière est essentiellement unie par des critiques sur le fonctionnement antidémocratique de l’appareil confédéral. Ces critiques (prises de position du secrétaire général sans mandat, place démesurée des « conseillers » confédéraux, permanents non élus…) sont justes, mais peinent à masquer les propres pratiques des dites fédérations, souvent tout aussi bureaucratiques, au nombre desquelles il y a la purge de l’Union syndicale de la Ville de Paris. L’agenda des différentes oppositions ne se recoupe que partiellement, mais elles se sont accordées pour sanctionner la direction sortante. Elles ont été majoritaires sur le vote du rapport d’activité « grâce » au comportement invraisemblable des présidences de congrès les deux premiers jours et à la déclaration de Martinez rejoignant Berger sur l’invitation à rencontrer Borne pour une médiation. Cette déclaration, et plus généralement les appels de l’intersyndicale uniquement à des journées d’action classiques après le 7 mars, ont effacé le positionnement globalement correct de la CGT dans les deux mouvements sur les retraites et le crédit qu’elle en a retiré auprès de larges couches de salariéEs. La direction sortante n’a pas même tenté de défendre ce bilan, sans doute convaincue que ses méthodes anti-démocratiques habituelles et les réflexes légitimistes de la plupart des Unions départementales suffiraient à assurer sa réélection.
Retour à la normale
La suite des débats, dans une ambiance moins électrique, a mis en évidence à la fois les fractures existantes mais aussi l’existence de majorités à géométrie variable en fonction des thèmes. Tout d’abord le rapport financier qui est adopté avec 67% de pour. Dans le document d’orientation, largement amendé, on aura ainsi une succession de votes plus ou moins surprenants ou dommageables. Dans un souci d’apaisement, les commissions des différentes parties du document d’orientation intègrent beaucoup d’amendements. D’autres sont votés par le congrès comme la réintégration des soignants non vaccinés. Beaucoup d’interventions et amendements « classiques » : récits de mobilisations dans plusieurs secteurs, appels au renforcement des Unions locales et à la sauvegarde des bourses du travail, sauvegarde et défense des services publics...
Sur les questions féministes une vraie fracture existe entre d’un côté les militantEs, notamment les militantes, qui souhaitent consolider les acquis à la fois dans l’orientation et dans les pratiques internes et de l’autre ceux, mais aussi celles, qui contestent la parité (dans les instances, dans les prises de parole, et y compris très violemment dans le congrès) ou l’analyse de l’oppression spécifique des femmes. Malgré le climat détestable, diverses interventions sexistes et des violences commises pendant le congrès, la document d’orientation est néanmoins amendé dans le bon sens (présomption de sincérité des victimes, nécessité de mesures conservatoires en cas de signalement contre un militant ou dirigeant)… En revanche, plus inquiétant, les passages du document d’orientation relatifs à l’’unification syndicale sont atténués, et ne mentionnent plus explicitement la FSU et Solidaires, des références au collectif « Plus jamais ça » sont rayées du document à l’issue d’un vote très serré. La critique de la participation de la CGT à ce collectif, qui regroupe syndicats, associations antilibérales et écologistes, était un point de ralliement des oppositions, mêlant des questions démocratiques (les instances de la CGT n’ayant pas été consultées sur le sujet) et des déclarations réactionnaires sur les bienfaits des centrales à charbon et la nécessité de faire passer l’emploi avant tout.
Sur les questions internationales, au delà des affirmations générales sur la solidarité envers les peuples, la guerre en Ukraine est à peine évoquée mais le renforcement des liens avec la FSM repoussé (72% de contre) après une forte intervention d’une syndicaliste iranienne en exil expliquant comment la Fédération collabore avec le régime dans son pays pendant que le pouvoir réprime les manifestantes.
Au final, le document d’orientation est adopté avec 73% de pour, score tout à fait comparable à celui de congrès précédent, illustrant ainsi que, pour une partie des oppositions, l’enjeu n’était pas là.
Game of Thrones
Tout au long des débats des intervenantEs ont utilisé tout ou partie de leur temps de parole pour soutenir la candidature d’Olivier Mateu au poste de secrétaire générale ou pour dénoncer à (demi) voix la politique de la direction sortante en visant à déstabiliser la candidature de Marie Buisson. Dans la matinée le bureau du congrès informe que le CCN s’est, au bout de la nuit, mis d’accord sur une liste de 66 noms avec 54% pour et 45% contre, laquelle ne comporte ni Mateu ni Lépine, les principaux animateurs de la sensibilité pro-FSM. L’ensemble de la liste est validé par le congrès avec autour de 90% de voix sauf Marie Buisson, massivement rayée (57%), Talbot, représentant de la fédération des services publics qui avait démissionné de la CEC en protestation de la suspension de Benjamin Amar (76%), et Verzeletti, rayée par une partie des partisan.es de la direction sortante mais aussi des ami.es d’Olivier Mateu (77%). Mateu et Lépine sont rajoutés sur la liste par une partie des délégués, mais avec seulement 36% des voix, ils échouent à atteindre le seuil des 50% +1 voix nécessaire pour être élus 36%, de même que Debon, représentant des privéEs d’emplois (32%).
S’ensuit une nuit de tractations pour parvenir à la constitution d’un bureau et à la désignation d’une secrétaire générale. La direction sortante conserve une courte majorité dans la commission exécutive mais est incapable de l’élargir en intégrant une partie des oppositions, et Marie Buisson échoue à faire approuver son bureau par le CCN. Verzeletti, quant à elle, n’a pas suffisamment de soutiens dans la nouvelle commission exécutive. Les principales candidates en lice s’étant neutralisées réciproquement, la seule solution, à 7h du matin, est de faire appel à une nouvelle figure, qui ne soit pas identifiée à l’un des camps en présence, avec un bureau de compromis. Secrétaire générale de l’UGICT, le regroupement des cadres dans la CGT, et très investie sur les questions féministes, Sophie Binet, incarne plutôt la continuité de l’orientation de la direction sortante, mais le bureau fait une large place aux fédérations qui soutenaient Verzeletti. Et Laurent Brun, élu « administrateur », va jouer le rôle de numéro 2 de la centrale. Notons que jamais personne n’avait estimé qu’un homme ait eu besoin de numéro 2, le signal est donc immédiatement de réduire la légitimité de la première femme élue à ce poste…
Le bureau, est élu par le CCN avec 64 pour 39 contre et 11 abstentions, Sophie Binet, secrétaire générale élue avec 61 pour 11 contre et 16 abstentions et Brun administrateur avec 57 pour 10 contre et 19 abstentions.
Vendredi matin, lors de la séance de de présentation des éluEs, l’acceuil fut sans incident, moyennement enthousiaste. L’intervention de Sophie Binet, dans la lignée de la motion d’actualité (91% de pour) appelle à mener la bataille sur les salaires, les conditions de travail et à ne rien lâcher sur les retraites, affirmant qu’ : « Il n’y aura pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation. On ne reprendra pas le travail tant que cette réforme ne sera pas retirée », mais sans renoncer à la lutte sur le climat, le féminisme et contre les violences sexistes et sexuelles auxquelles elle accorde une large place dans son intervention. Elle évoque aussi, à juste titre, la nécessité d’en finir avec la violence dans les débats internes, qui a atteint des sommets avec plusieurs altercations physiques au cours du congrès. L’orientation de médiation et de sortie du conflit par le dialogue et la négociation avec le gouvernement, qui commençait à poindre son nez par la déclaration de Philippe Martinez, a donc été écartée par le congrès, puisque Sophie Binet n’en a plus parlé dans son discours d’investiture. Peu après, en conférence de presse, elle ajoute qu’un élargissement du bureau sera discuté au prochain CCN afin de mieux représenter les territoires. Sa préoccupation étant de résorber le fossé qui s’est creusé tout au long de la semaine entre les petites unions départementales, qui ont soutenu Marie Buisson pour la plupart, et les grosses fédérations. Cette césure reflète les écarts de perception de la réalité sociale entre les derniers bastions CGT, en déclin mais qui conservent de fortes capacités de mobilisation et se préoccupent peu des précaires et sous-traitants de leurs propres industries, et les structures interprofessionnelles qui perçoivent mieux l’éclatement du salariat et les difficultés qu’elle entraîne.
Le congrès enregistre une inflexion à gauche sous la pression des oppositions hétérogènes. Mais cette inflexion risque de se limiter à des prises de positions, le débat sur les difficultés objectives, c’est-à-dire le recul de la syndicalisation congrès après congrès, quelle que soit les structures et leurs orientations respectives, l’échec à entraîner de larges pans de notre classe dans les mobilisations, ayant été à nouveau esquivé, comme la nécessité que le syndicalisme constitue une force pour entraîner les salariéEs dans des conflits durs contre classe dominante, s’appuie sur les secteurs combatifs pour construire les luttes, construise la grève générale… Et il marque également des reculs, du fait des composantes sectaires et conservatrices des oppositions, sur la nécessité de l’unification syndicale ou la prise en compte de l’urgence climatique. L’orientation de la CGT ne devrait pas en être fondamentalement modifiée, car au vu des rapports de force les différentes sensibilités seront contraintes à des concessions réciproques pour éviter la paralysie. Cet équilibre précaire annonce probablement plusieurs années de turbulences internes. Malgré celles-ci, nos priorités restent la reconstruction de structures syndicales démocratiques au plus près des salarié.es, le regroupement des luttes par-delà les différences de statuts et de boites, la défense d’orientations qui allient syndicalisme lutte de classe et la prise en compte des oppressions et de l’urgence écologique, avec touTEs les militantEs qui les partagent, quelle que soit leur sensibilité.