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Finlande : le gouvernement de gauche a échoué par manque d’ambition transformatrice

Finlande

Lien publiée le 14 avril 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Finlande : le gouvernement de gauche a échoué par manque d'ambition transformatrice - CONTRETEMPS

Le gouvernement de centre-gauche de la première ministre finlandaise Sanna Marin a perdu les élections du week-end dernier. Son gouvernement avait beaucoup promis, mais il n’a pas su prendre les mesures qui auraient permis aux Finlandais-es de la classe travailleuse d’obtenir de véritables avancées matérielles.

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Il y a quatre ans, la gauche finlandaise était heureuse. Pendant des décennies, la Finlande a été dirigée par des gouvernements qui, au nom de l’efficacité et de la mondialisation, ont lentement mais sûrement érodé le cadre des négociations collectives, de la propriété de l’État et de la planification indicative qui sous-tendait l’État-providence.

Le système social et de soins de santé grinçait et la lassitude se faisait sentir dans l’ensemble des services publics. La croissance économique était faible et le taux de natalité était en baisse. La classe politique et médiatique finlandaise a longtemps prétendu que la seule réponse était le néolibéralisme.

Mais il semblait qu’une autre voie était possible. En 2019, un nouveau gouvernement de centre-gauche promettait des réformes sociales et environnementales de grande envergure, notamment un rajeunissement de l’État-providence et un engagement audacieux en faveur de l’objectif zéro émission d’ici 2035.

La tâche incombait au Premier ministre Antti Rinne, un syndicaliste chevronné, qui dirigeait une coalition composée des sociaux-démocrates de Rinne, des Verts écologistes, du Centre Agraire, de l’Alliance de Gauche d’extrême gauche et du Parti Populaire Suédois de Finlande.

Mais moins d’un an après l’élection, M. Rinne est parti, démissionnant à la suite d’une grève nationale des services postaux qui l’a opposé au mouvement syndical qui lui servait de base de pouvoir. À sa place, Sanna Marin devait bientôt faire face à une série d’épreuves intenses : la pandémie de COVID-19 a ravagé le pays et la guerre en Ukraine a bouleversé la situation en matière de sécurité dans toute l’Europe.

Le bilan du gouvernement de Sanna Marin dans le cadre de la mise en œuvre de son programme est mitigé, et les divisions internationales entre les partis de la coalition ont souvent éclipsé ses réalisations.

Crises jumelles

Pendant la pandémie, la Finlande évita les confinements plus stricts en vigueur dans une grande partie de l’Europe, tandis que le système de santé finlandais adoptait une approche prudente pour mettre en œuvre les restrictions et la nécessité des vaccinations pour tous les groupes. Cette approche fut couronnée de succès pendant un an et demi : la vie quotidienne fut relativement épargnée par les interventions de santé publique et le nombre de décès dus à la pandémie resta faible.

Cette situation ne dura pas, et ne pouvait peut-être pas durer. Après l’automne 2021, la surmortalité en Finlande a été, en moyenne, plus élevée que dans le reste de l’Europe. Les critiques ont affirmé que les restrictions avaient été réduites trop tôt, tandis que d’autres ont blâmé le programme de vaccination et la décision de ne pas offrir de seconde injection de rappel aux personnes âgées de plus de soixante ans.

Puis, en février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une réaction nationale immédiate, atteignant les profondeurs de la conscience historique finlandaise. Impensable au cours des dernières décennies, la menace d’une grande nation cherchant à conquérir son voisin plus petit s’est imposée à la société et à la vie politique finlandaises.

Même avant la guerre, l’opinion publique avait commencé à s’orienter vers l’adhésion à l’OTAN, et l’invasion de la Russie n’a fait qu’accélérer cette tendance. Sanna Marin, qui avait auparavant déclaré qu’il était improbable que son gouvernement fasse adhérer la Finlande à l’OTAN, s’est rapidement retrouvée à prôner l’union militaire et à rompre les liens commerciaux qu’elle entretenait depuis des décennies avec la Russie.

Parmi les partis de la coalition gouvernementale, seule l’Alliance de Gauche s’est opposée à l’adhésion à l’OTAN ; les autres partis ont insisté pour aller de l’avant, et le 3 avril 2023, l’adhésion de la Finlande à l’alliance militaire a été confirmée. Quelles que soient les retombées des élections, il s’agit d’une question pour laquelle aucun changement de politique n’est attendu.

Réforme de l’État-providence

C’est en matière de politique intérieure que le gouvernement Marin a suscité le plus de controverses. Les gouvernements successifs ont essayé et échoué à réformer les secteurs de la santé et de l’aide sociale en Finlande, et son gouvernement n’a pas fait exception à la règle. Si les réformes ont permis de relever certains de ces défis, la mauvaise qualité des services de base dans les zones rurales de Finlande et le dysfonctionnement des soins de santé à Helsinki, caractérisé par des problèmes de longue date dans les maternités de la capitale, se sont poursuivis.

Le gouvernement a tenté d’améliorer les soins de santé principalement par le biais de réorganisations structurelles, en transférant davantage de pouvoirs des municipalités vers des régions plus vastes dotées de conseils élus, ce qui a permis de renforcer la coordination entre les secteurs de la santé et de l’aide sociale qui étaient auparavant déconnectés.

En théorie, les réformes étaient positives et renvoyaient aux meilleures traditions de l’État-providence : créer un cadre public fort pour encourager l’épanouissement humain en faisant confiance à l’État plutôt qu’à des prestataires privés. En pratique, le système ne disposait pas du financement nécessaire pour apporter de réelles améliorations. Le gouvernement n’a pas réussi à augmenter de manière significative le financement central ou à donner aux régions des pouvoirs fiscaux plus importants. En conséquence, les réformes ont été laissées à moitié achevées.

Des problèmes similaires ont affecté les principales politiques éducatives du pays. Sous l’impulsion de l’Alliance de Gauche, qui dirigeait le ministère de l’éducation, l’âge de la scolarité obligatoire a été porté de dix-sept à dix-huit ans. Destinée à lutter contre la marginalisation sociale, cette réforme vise à donner à tous les jeunes la possibilité de poursuivre leurs études.

Ces ambitions sont louables, mais le gouvernement a également hérité d’un héritage de réduction des dépenses dans le secteur de l’éducation, qu’il n’a pas réussi à inverser complètement. Le système éducatif finlandais, souvent en tête des tableaux de performance internationaux et célèbre pour ses repas scolaires gratuits, est depuis longtemps un sujet de fierté nationale. Les rapports sur le déclin du niveau d’éducation se sont donc révélés préjudiciables.

Malgré la présence des sociaux-démocrates et de l’Alliance de Gauche, issus du mouvement ouvrier, les résultats du gouvernement en matière de droits du travail n’ont pas toujours été à la hauteur. Le refus de satisfaire les revendications salariales des infirmières pendant la pandémie, la grève nationale des postes et l’incapacité plus générale à faire progresser les droits des travailleurs.ses ont semé la déception parmi es sympathisante.s de la classe travailleuse au profit de l’extrême droite.

Le « virage vert »

Les politiques climatiques des partis gouvernementaux et la rhétorique habile de la droite contre le « tournant vert » sont essentielles pour comprendre l’échec électoral du gouvernement. L’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2035 d’une manière socialement responsable a créé de profondes divisions.

Le Parti du Centre, soutenu par l’agro-industrie finlandaise, s’est opposé aux mesures visant à réduire l’utilisation de la tourbe pour la production d’électricité et à limiter la déforestation. L’évolution de la gauche finlandaise dans son opposition à l’énergie nucléaire et l’exercice d’équilibre des sociaux-démocrates entre les objectifs environnementaux et l’approche des entreprises et d’une partie du mouvement syndical axée sur l’emploi n’ont pas permis de combler ce fossé.

Si certaines acrimonies reflétaient des conflits d’intérêts, d’autres étaient des querelles mesquines ou motivées par la crainte des critiques de la droite de la part du Parti du Centre. Les pressions économiques résultant de la guerre en Ukraine ont également fait échouer le programme environnemental.

Avec la hausse de l’inflation qui a fait grimper en flèche les prix des carburants et des denrées alimentaires, la promotion de la justice environnementale est devenue difficile à justifier. Elle était perçue par certain.es comme une forme d’austérité écologique, comme l’ont appris à leurs dépens les Verts, qui se sont effondrés lors des élections.

Le problème de la dette

La crise économique a eu un impact profond sur les élections d’une autre manière, en plaçant la question de la dette nationale au premier rang des préoccupations.

La sphère politique finlandaise a une peur profonde, presque primitive, de la dette. Il est difficile d’éviter la dette lorsqu’une pandémie et une guerre sont en cours, ou lorsqu’on tente de mettre en œuvre des réformes profondes pour renforcer l’État-providence.

Le Parti de la Coalition Nationale, le parti favorable au marché et socialement libéral qui sera très certainement à la tête du prochain gouvernement, a su tirer parti de cette situation en gagnant le soutien de la classe moyenne qui craint l’endettement, et en mettant l’accent sur sa responsabilité fiscaleLe parti d’extrême droite Finns (Parti des Finlandais), qui pourrait jouer un rôle important dans la coalition, a tiré parti de la réaction des populations rurales contre la législation environnementale, a fait valoir la nécessité de réduire les dépenses publiques, a rendu l’immigration responsable de la criminalité, et a promis des peines sévères.

Perspectives pour la gauche

Après tout cela, Marin, qui a annoncé le 5 avril son intention de démissionner de son poste de présidente du Parti, peut encore considérer comme une réussite le fait que les sociaux-démocrates aient pu augmenter leur score électoral, bien qu’une grande partie de ce résultat ait été obtenue grâce au vote tactique d’autres partis, ainsi qu’à sa célébrité internationale.

Les Verts et le Centre s’attendaient à des pertes en raison de l’échec de leurs réformes phares, mais c’est l’Alliance de Gauche, le parti le plus à gauche de l’élection, qui a été le plus choqué par le pire résultat de son histoire, puisqu’il ne compte plus que onze députés.

Le prochain gouvernement finlandais pourrait être le plus à droite depuis des décennies, associant les néolibéraux à l’extrême droite. Il combinerait un programme d’austérité draconien avec une révision de la législation environnementale et des attaques contre les demandeurs d’asile et les droits de l’homme. Une autre alternative serait que les sociaux-démocrates rejoignent la Coalition Nationale dans un gouvernement « bleu-rouge » , l’option privilégiée par une grande partie de l’élite finlandaise, car elle donnerait au néolibéralisme une image plus moderne, plus amicale et plus professionnelle.

La gauche finlandaise est confrontée à des questions difficiles.  Il s’agissait de la constellation gouvernementale la plus à gauche possible au sein de la sphère politique parlementaire, avec à sa tête la Première ministre le plus à gauche possible ; elle a été rejetée par un virage vers l’extrême droite. L’une des raisons de cette défaite est que le gouvernement a promulgué des réformes ambitieuses, mais n’a pas réussi à trouver les moyens de les financer, notamment par le biais de la fiscalité.

De nombreux facteurs ont contribué à cette défaite et il n’existe pas de solutions simples. Il ne fait aucun doute que la gauche réagira à ces défis de différentes manières. Certains prôneront la modération ou le rassemblement de toutes les forces sous la tente sociale-démocrate. D’autres se concentreront sur l’activisme de rue et le travail en dehors de la sphère politique parlementaire.

Une question difficile se pose : la gauche n’est-elle pas en train de devenir un parti de citadins formés à l’université, proposant des visions utopiques tout en négligeant d’apporter des améliorations tangibles à la vie quotidienne des gens ? Sans réponse à ce défi, l’ascension de la droite risque de se poursuivre.

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Tatu Ahponen vit à Tampere, en Finlande. Il est membre de l’Alliance de Gauche et membre adjoint du Conseil du Parti.

Publié d’abord par Jacobin. Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.