[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

La mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles

Université

Lien publiée le 23 avril 2023

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

La mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles (theconversation.com)

Dans plusieurs universités de France, des organisations et enseignants comptent retenir les notes des étudiants en ce deuxième semestre 2023 à l’appel du collectif vacataires.org. L’objectif : soutenir la revendication consistant à augmenter la paie des enseignants vacataires. Ce personnel sous-payé et précaire, sur lequel reposerait environ un quart des heures de cours en universités, représente pourtant moins de 1 % des dépenses pour l’enseignement supérieur, d’après les calculs faits par le collectif.

Les enseignants vacataires sont un contingent d’environ 130 000 intervenants rémunérés à l’heure de cours selon des conditions fixées par un décret de 1987. Leur taux de rémunération est d’un peu plus de 40 euros brut pour une heure face aux étudiants, incluant les préparations de cours, corrections et autres tâches, ce qui est de l’ordre du tiers des taux appliqués aux personnels moins précaires.

Destiné en principe à accueillir des professionnels intervenant ponctuellement dans les formations universitaires, ce statut – nettement moins coûteux qu’un contrat de travail – a été utilisé de façon extensive et croissante par les universités. Ce seraient ainsi quatre millions d’heures de cours annuelles qui seraient délivrées à moindres frais, notamment par des doctorants ou docteurs en situation précaire.

Malgré leur forte présence à tous les niveaux, ces jeunes chercheurs bénéficient d’une très faible reconnaissance et ne sont généralement pas considérés par les universités comme faisant partie de leur personnel. Leur mobilisation nous renvoie à une grande question des sciences sociales : comment lutter collectivement quand on fait partie des oubliés, quelle stratégie adopter pour se faire entendre quand on relève des invisibles, des « sans » ?

Les « mobilisations improbables »

Se mobiliser efficacement quand on fait partie d’un groupe invisible, défavorisé ou privé de ressources est une chose difficile. C’est la situation à laquelle sont confrontés les enseignants vacataires des universités, qui additionnent a priori les handicaps. Très faiblement payés, devant cumuler parfois plusieurs emplois, ils occupent une position particulièrement dévalorisée dans un environnement universitaire complexe même aux yeux des habitués, où les enseignants sont divisés en statuts multiples, titulaires, contractuels, PRAG, PRCE, ATV, CEV…, qui ont tous leurs difficultés et revendications.

Par ailleurs, les enseignants vacataires les plus précaires enseignent dans des universités différentes chaque année, souvent pour des périodes de 3 ou 4 mois et craignent de ne pas retrouver de contrat. Ces conditions sont très peu propices à l’action collective. Du moins si l’on en croit l’approche traditionnelle de l’étude de la « mobilisation des ressources » de l’action collective. Celle-ci montre l’importance, pour agir ensemble, de former un collectif uni, conscient et disposant d’importants moyens et réseaux de communication pour se coordonner, et de rétributions incitant ou permettant aux militants potentiels d’y prendre part.

Les recherches sur les « mobilisations improbables » parmi lesquelles le travail fondateur de Lilian Mathieu sur les mobilisations de prostituées lyonnaises depuis les années 1970, ont cependant apporté de nouveaux éléments à l’étude des ressources permettant les mobilisations collectives. Certes, les similarités entre les cas des prostituées et des enseignants vacataires ne sautent a priori pas aux yeux. Mais leurs situations face à des perspectives de mobilisation présentent objectivement des points communs : elles et ils sont éparpillés et disposent d’une faible reconnaissance par les autorités. Beaucoup d’universités ne sont même pas en mesure de fournir des chiffres précis sur leur propre recours aux vacataires lorsqu’on les interroge…

Surtout, les syndicats ou grandes associations militantes ne leur ont longtemps accordé qu’une attention limitée puisqu’elles considéraient que l’enjeu principal était moins l’amélioration de leurs conditions de travail que l’abolition de leur statut tel qu’il existait.

Dans les cas étudiés par Lilian Mathieu, l’objectif revendiqué de plusieurs organisations vers lesquelles se sont tournées les prostituées comme le mouvement catholique du Nid, était à la base l’abolition de la prostitution. Dans le cadre universitaire, le niveau de rémunération des vacataires a longtemps été un oublié des luttes, le problème perçu comme central étant le recours abusif à ce statut précaire destructeur de postes pérennes.

Quelles ressources pour l’action collective, avec ou sans syndicats ?

Le travail de Lilian Mathieu a montré que des groupes relativement dépourvus parvenaient parfois à construire des mobilisations visibles en érigeant en ressources des caractéristiques originales. Ainsi, le fait d’être un groupe dont les médias n’attendaient pas la mobilisation peut être un atout pour décrocher des alliés extérieurs à leur condition.

C’est ainsi que des prostituées protestant contre le harcèlement policier ont occupé l’église lyonnaise de Saint-Nizier en 1975, créant un précédent marquant. Puis elles ont multiplié les actions dans les décennies suivantes avec l’aide d’organisations issues d’univers ne partageant a priori pas l’ensemble de leurs revendications, comme des mouvements féministes ou celui du Nid.

Au même titre que pour les prostituées, l’une des questions que soulève la mobilisation des collectifs d’enseignants précaires des universités concerne le soutien qu’apporteront à leur action les personnels enseignants titulaires et les fédérations syndicales. Pour celles-ci, s’engager pour une cause inhabituelle et dans un mode d’action encore nouveau ne va pas toujours de soi. Car la rétention des notes n’est devenue une façon reconnue d’agir en universités que dans la deuxième moitié des années 2010. Elle a été principalement mise en œuvre par des collectifs de précaires, certaines fois avec le soutien de sections syndicales locales ayant des membres communs avec ces collectifs, mais sans impliquer les fédérations.

On touche là à l’une des difficultés mises en évidence en 1977 par les sociologues Richard Cloward et Frances Piven dans leur travail portant notamment sur des mouvements d’ouvriers et de chômeurs. Si les grandes organisations de mobilisation disposent d’atouts évidents, leurs traditions, leurs logiques d’organisation et le poids de leur bureaucratie tendent à les enfermer dans des stratégies et modes d’action classiques. Cela complique les choses lorsqu’il s’agit de s’associer à des façons de faire plus originales ou offensives. Difficile de dire à ce stade, donc, si les précaires à l’initiative de cette mobilisation réussiront le tour de force d’y joindre les fédérations syndicales.

Mais qu’ils y arrivent ou non, ces enseignants ont construit au cours des toutes dernières années un tissu d’associations dans lesquelles, certes, seule une minorité de vacataires est impliquée, mais une minorité qui bénéficie d’un soutien croissant et a réalisé plusieurs précédents de rétention, souvent couronnés de succès. Ces précédents jouent un rôle extrêmement important en ce qu’ils rendent pensable non seulement la possibilité de reproduire une telle action à plus grande échelle, mais aussi celle de décrocher une victoire.