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Le mouvement ouvrier français et la loi de programmation militaire
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
413 milliards d’euros : c’est le montant record que la loi de programmation militaire (LPM), récemment adoptée par l’Assemblée nationale, prévoit d’attribuer à l’armée française. Dans le contexte d’une aggravation des tensions entre grandes puissances, ces dépenses pharamineuses visent à assurer la défense des intérêts de l’impérialisme français, dont le déclin s’est accéléré au cours des dernières années.
A gauche, les dirigeants de la CGT et de la France insoumise ont critiqué cette loi. Cependant, au lieu de dénoncer le caractère impérialiste de la politique étrangère du gouvernement, les directions de la CGT et de la FI sèment – chacune à sa manière – des illusions sur la possibilité de mener une « politique de paix » durable sur la base du système capitaliste.
Une LPM exceptionnelle
La loi de programmation militaire 2024-2030 vise à « fixer les orientations de la politique de défense » et à prévoir les dépenses militaires d’ici à la fin de la décennie. Son budget global de 413 milliards d’euros représente une augmentation de près de 40 % par rapport à la LPM précédente, qui devait couvrir la période 2019-2025, mais qui a été interrompue en 2023 du fait de la guerre en Ukraine.
La LPM prévoit notamment la construction et la mise en service d’au moins un nouveau porte-avion nucléaire pour remplacer le « Charles de Gaulle », des investissements visant à moderniser l’arsenal nucléaire, l’achat de dizaines de nouveaux blindés pour remplacer la majorité de ceux actuellement en service (dont la conception remonte aux années 1970) et le doublement du nombre de réservistes immédiatement mobilisables.
Face à l’ampleur des dépenses prévues, on comprend pourquoi « les caisses sont vides » lorsqu’il s’agit de financer l’hôpital public, l’Education nationale ou le système de retraites. C’est aussi ce que souligne la CGT dans son communiqué du 9 mars dernier. La direction confédérale y écrit notamment : « A l’heure où le gouvernement veut faire passer une réforme des retraites avec l’objectif de faire des économies sur le dos des travailleurs et travailleuses, des jeunes, des retraités, cette explosion budgétaire est inadmissible ».
C’est tout à fait correct. Cependant, le reste du communiqué de la CGT se trompe à la fois sur les véritables causes de cette « explosion budgétaire » – qu’il attribue à une « injonction de l’OTAN », donc des Etats-Unis – et sur la solution à apporter à la montée des tensions internationales. Le communiqué affirme qu’il faudrait « ouvrir la porte à des négociations, à la diplomatie et surtout en premier lieu [...] bloquer cette course folle au surarmement, qu’il soit conventionnel ou nucléaire ». Selon la CGT, la France devrait commencer par signer « le Traité d’Interdiction des armements nucléaires et respecter les traités et conventions qu’elle a signés... ».
Cette approche est totalement utopique. Les gouvernements capitalistes défendent les intérêts de leurs classes dirigeantes respectives. Les bourgeoisies des puissances impérialistes s’efforcent de conquérir des parts de marché, des zones d’influence et des sources de matières premières. Cette compétition, qui peut aller jusqu’à l’affrontement armé, est un élément essentiel du capitalisme depuis le début du XXe siècle. Aucun traité international n’éliminera cette dynamique fondamentale, impérialiste, du capitalisme contemporain.
Sur la base de ce système, la diplomatie et le droit international sont entièrement subordonnés à la lutte entre puissances rivales – qui violent ou respectent les traités en fonction de leurs intérêts. En 2003, par exemple, c’est au nom du « droit international » que le gouvernement français s’est opposé à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Mais en réalité, l’impérialisme français cherchait à défendre ses positions au Moyen-Orient, et notamment les juteux contrats que des entreprises pétrolières françaises venaient de signer avec le régime de Saddam Hussein. Inversement, la bourgeoisie française n’avait que faire du « droit international », en 2020, lorsqu’elle envoyait des conseillers et des armes au Maréchal Aftar, lequel tentait de renverser le gouvernement libyen reconnu par l’ONU – et que soutenaient les Etats-Unis, la Turquie et l’Italie.
Un impérialisme déclinant
Dans cette compétition entre puissances, l’impérialisme français a subi de nombreux revers, ces derniers temps. Les entreprises Castel, Total ou Bolloré – ces piliers historiques de la « Françafrique » – ont dû céder de nombreuses positions. Ce déclin se manifeste aussi sur les plans diplomatique et militaire. A partir de 2013, l’armée française a mené une guerre ininterrompue dans le Sahel et en Afrique centrale contre des groupes rebelles, parfois liés à l’Etat islamique ou Al-Qaeda. Cette intervention française fut un fiasco. Non seulement les rébellions ont gagné du terrain dans le Sahel, mais entre 2020 et 2022 une série de coups d’Etat a renversé des dictateurs « amis de la France » en Guinée, au Mali et au Burkina Faso.
A la même époque, une tentative de rébellion soutenue par la France échouait à renverser le gouvernement centrafricain, qui avait fait appel à des mercenaires russes. D’autres « conseillers » russes sont aussi arrivés au Mali après que l’armée française a dû évacuer ce pays, mais aussi le Burkina Faso et la Centrafrique. Bien plus que les « injonctions de l’OTAN » dont parle le communiqué de la CGT, ce sont ces échecs de l’impérialisme français, combinés à l’aggravation des tensions liées à la guerre en Ukraine, qui expliquent les budgets impressionnants prévus par la LPM.
Le ministère de la Défense ne fait d’ailleurs pas mystère des objectifs de la LPM. Dans son communiqué du 4 avril, il expliquait : « cette loi est au service d’une France souveraine qui défend son autonomie stratégique [et dois lui permettre] de maintenir son rang parmi les premières puissances mondiales ». Cette ambition transparaît dans toute une série de chapitres de la LPM. Pendant la décennie d’intervention militaire dans le Sahel, l’armée française a été dépendante des drones américains, car elle ne disposait pas d’un nombre suffisant d’appareils dotés des capacités de frappe requises. Par ailleurs, faute de disposer de suffisamment d’avions de transport stratégique, la logistique française reposait, pour une bonne part, sur des avions loués à des entreprises russes ou ukrainiennes. Dès lors, on ne doit pas s’étonner que la LPM attribue de gros budgets au développement et à l’achat de drones et à l’expansion du parc d’avions de transport.
Le « contre-projet » de la FI
En réaction à la LPM, la France insoumise (FI) a publié en mai dernier un « contre-projet » de près de 60 pages : « Loi de Programmation Militaire – notre vision ». Dans ce document, la FI partage les illusions de la CGT sur les perspectives de « coopération internationale » et de « désarmement » sur la base du capitalisme. Mais la FI se singularise en ajoutant une critique de la LPM en complète contradiction avec le « désarmement » en question : « il est plus que jamais indispensable que la France se donne d’urgence des marges de manœuvre et retrouve son indépendance. [...] La loi de programmation militaire (LPM) présentée par le gouvernement pour la période 2023-2030 n’est pas à la hauteur des menaces qui pèsent sur nos intérêts ». Le contre-projet de la FI formule donc ses objectifs généraux dans les mêmes termes que le ministère de la Défense. Selon le document de la FI, il faudrait « garantir » que la France ne subisse pas « un décrochage par rapport aux grandes puissances ».
Tout au long de son contre-projet, la FI réclame des budgets plus importants pour la rénovation des chars Leclerc et des Mirages 2000D, mais aussi des livraisons plus importantes et plus rapides de blindés et d’hélicoptères neufs, la constitution d’une « véritable “flotte” de drones sous-marins » et l’augmentation des budgets alloués au renouvellement de l’arsenal nucléaire. Pour faire bonne figure, le contre-projet de la FI propose de développer des avions de transport militaires fonctionnant au « carburant durable ». Nous voilà totalement rassurés !
En ce qui concerne les mesures progressistes, le contre-projet de la FI est bien maigre. Il ne prévoit explicitement que deux nationalisations : celle du groupe ArianeEspace et celle de « l’usine de production de câbles sous-marins d’Alcatel Submarine Networks ». Quant aux autres entreprises privées de la défense (Dassault, Arquus, Thales, etc.), la « vision » de la FI se limite à « donner à l’Etat la possibilité de [les] ramener dans le giron public ». Pourquoi seulement la « possibilité » ? L’expropriation des marchands d’armes est évidemment indispensable !
En matière de politique étrangère, le contre-projet de la FI s’aligne sur les intérêts généraux de l’impérialisme français : il ne propose ni de sortir de l’OTAN, ni de retirer les troupes françaises stationnées en Afrique. Au contraire, il défend le principe des interventions militaires à l’étranger, qui devraient servir à « défendre les intérêts français ou ceux de partenaires ou encore [à] assumer les responsabilités particulières de la France ».
Pour ce qui est de la domination impérialiste que la France impose aux pays africains, le document affirme qu’il « faut en finir avec les formules creuses » et « construire avec les peuples africains une relation libérée des restes du colonialisme et au diapason d’une société civile africaine malheureusement [!] de plus en plus opposée à la politique étrangère française sur le continent africain ». Il est difficile d’imaginer une formulation plus « creuse ». Elle est en tous points semblable aux discours classiques des politiciens bourgeois français à propos de l’Afrique. Par exemple, en visite au Burkina Faso en 2017, Emmanuel Macron affirmait qu’il fallait « ouvrir une nouvelle page de la relation entre la France et l’Afrique » et rompre avec le passé colonial – avant de poursuivre la politique de ses prédécesseurs, faite de pillage impérialiste, d’interventions militaires et de soutien à des tyrans impopulaires.
Un point de vue de classe
La position complètement erronée des directions de la FI et de la CGT est un prolongement de leur politique réformiste. Au lieu de semer des illusions sur le « droit international » – ou, pire encore, de reprendre la propagande « universaliste » de la bourgeoisie française –, le mouvement ouvrier doit combattre résolument l’impérialisme français. Un point de vue de classe en matière de politique étrangère doit commencer par :
1) S’opposer fermement à tout renforcement de l’appareil militaire de la bourgeoisie, car celle-ci en fera un usage nécessairement réactionnaire.
2) Exiger le retrait et le rapatriement immédiat de toutes les troupes françaises stationnées à l’étranger.
3) Démasquer l’hypocrisie de la bourgeoisie française, qui dissimule ses pillages et sa rapacité impérialistes sous un voile « universaliste » et « républicain ».
4) Nouer des liens de solidarité active avec la classe ouvrière des peuples victimes de l’impérialisme français – au lieu de déplorer, comme le font les dirigeants de la FI, que ces peuples s’opposent « à la politique étrangère française ». Les travailleurs de France et les masses des pays dominés par l’impérialisme français ont un ennemi commun : la classe dirigeante française, qui s’enrichit sur le dos des uns et des autres.